ARM est un rappeur breton qui officie déjà depuis une quinzaine d'année. À l'origine chanteur du groupe Psykick Lyrikah, il s'est lancé en solo en 2015 et a depuis sorti trois albums : Psaumes (2016) en collaboration avec le producteur Tepr, Dernier empereur (2017) et plus récemment, Codé (2019), duquel est issu le titre On a, dont le clip est à voir sur KuB.
Maxime Lebizay, a.k.a zo (de l'abcdr du son) a raconté ARM en ces mots :
Quand Arm a débarqué dans le rap français, il y a presque quinze ans, son empire était réduit à une mixtape et quelques bouts d’errance magnifiés dans un petit disque noir intitulé Des Lumières sous la pluie. L’album, signé sous le nom de Psykick Lyrikah, lui avait valu un franc succès d’estime, mais aussi l’étiquette d’un rap d’intello. Le groupe préféré des profs de français comme le rappeur rennais en riait lui-même en interview. Une étiquette qui trouvait sa colle dans une plume singulière, qui flirtait parfois avec le spoken word lors d’escapades avec Olivier Mellano ou Dominique A. Certains avaient vu cela comme des actes manqués, comme si Arm n’était pas tout à fait un rappeur, comme s’il n’en avait pas la parure. Et puis il y a eu ce moment charnière, au début des années 2010, où la vie a demandé au MC de Psykick Lyrikah s’il voulait rester terré sous le grain de la pluie de néons et des sentiments qu’il rappait depuis 2004, ou bien s’il voulait renaître dans la tempête. Occupé à briser les codes avec humilité et discrétion jusqu’alors, Arm a répondu à cette question en choisissant la seconde option. De celle-ci, Dernier empereur en est l’aboutissement.
Car ce disque est la conclusion d’une reconquête, d’abord personnelle, menée depuis trois albums. De celle qui fait corps avec les éléments et défie un monde dont les abîmes doivent être apprivoisés. Si l’écriture d’Arm, aussi minérale qu’atmosphérique, continue de rapper la ponctuation de la vie, elle n’a jamais eu l’épiderme aussi tanné. Ses points de beauté, ses virgules cicatricielles, sont renforcés par un grain de voix passé au crépi. Tantôt arrogant, tantôt voix intérieure qui écrit des lettres à l’absent, le rap de Dernier empereur défie le mot si. Celui-la même qui traduit trop souvent les hésitations et qui pousse à refaire l’histoire au lieu de vivre la sienne. À ces pages peuplées d’hypothèses, parfois vides, parfois trop raturées pour les lire, Arm répond par un mélange de sentences et de lignes poétiques, qui mettent du sang sur le bleu des mots. Dix titres durant, il offre autant de certitudes que de possibilité de réappropriation de ses propres phrases. Il oscille entre réalités qu’il faut décomposer et visions à réaliser, au point que les mots de ce disque offrent une possibilité d’appropriation énorme. Ces grilles de lectures infinies, elles sont de celles qu’offrent les défis, sachant que la poésie est un gros, très gros défi. Un défi qu’Arm n’a toujours pas perdu.
Voilà aussi pourquoi en dix pistes, ramassées en une trentaine de minutes, l’auteur de Dernier empereur termine sa campagne plutôt que de célébrer son sacre de façon ostentatoire. Cette campagne, c’est celle où les rêves, faussement vaporeux, sont enfin devenus une attitude. Et puis il y a ce terrain, où personne n’aurait jamais imaginé le rappeur de Psykick Lyrikah il y a dix ans. Celui de ses charlestons empruntés à la trap, menaçants et suintant l’urgence d’un monde à défaire. Celui de ces roulements de grosse caisse, dans un album qui commence sur les chapeaux de roues, avec cet auto-tune utilisé comme un mégaphone. Ici, le nouveau mètre-étalon du rap est l’amplificateur de ce blizzard à cracher comme au premier jour. Comme en 2004 et lors du premier album de Psykick Lyrikah en somme. Sauf que cette fois-ci, c’est déclamé avec plus de hargne, avec cette épaisseur nécessaire pour défier des villes qui ressemblent de plus en plus à Neo Tokyo et où la nuit est devenue le moment le plus propice pour conquérir le toit du monde, celui si cher au rappeur depuis 2010 et l’album Les Courants forts. Entre ciel et bitume, entre vitesse et une introspection qui touche presque au recueillement, le langage d’Arm a appris à être large dans les rues étroites comme diraient les premiers X-Men du rap français. Voilà pourquoi ce disque traverse aussi bien les zones urbaines éclairées au tungstène que les tempêtes et orages personnels, et brandit les rêves comme une ligne de conduite. Pétri dans un mélange de clair obscur où Arm promet d’aller chercher la lumière, quoi qu’il arrive, Dernier empereur ne dévie jamais de sa trajectoire et ne perd jamais de vue cette promesse. Même lorsqu’il parle à l’absent.
C’est d’ailleurs à cette lumière que revient de conclure l’album, sur des nappes synthétiques guidées par une boucle de piano et fondues dans une guitare saturée. Cette lumière qui magnifie la musique d’un rappeur qui a définitivement choisi de préférer la poésie au romantisme de la souffrance. Un artiste que ses auditeurs, ceux qui le suivent depuis ses débuts, ont vu devenir adulte. Longtemps, certains ont cru qu’Arm écrivait à l’envers, alors que comme il le rappelle lui-même c’est juste le monde qui n’est pas dans le bon sens. Quant à ceux qui ne le connaissent pas encore, ils découvriront dans ce tourbillon de dix titres ignorant ni la tempête, ni la douceur, un homme qui ne laisse pas ses rêves au bord de la route mais qui les emporte avec lui. Et qui, à force de se hisser au-dessus de la mêlée avec toute sa singularité, peut enfin se prêter à ce jeu que les rappeurs affectionnent : s’autoproclamer, se parer d’un titre. Ainsi en 2017, succédant aux Psaumes qu’il avait sorti l’an dernier avec Tepr, Arm est devenu Le Dernier empereur. Celui des sens. Un titre qu’il porte sans avoir besoin d’oripeaux. La pudeur à fleur de peau.
Ses clips De passage, On a ou encore La nuit avec TEPR sont à voir sur KuB