Jacques Mahé de La Villeglé, dit Villeglé, naît en 1926 à Quimper, fait des études aux Beaux-arts de Rennes où il rencontre Raymond Hains en 1945. L'été 1947, à Saint-Malo, il commence à collecter des objets trouvés tels fils d'acier, débris du mur de l'Atlantique, échantillons de catalogues. Fin 1949, il s'installe à Paris et oriente ses collectes vers les affiches lacérées par des mains anonymes, donnant comme titre à ses appropriations le nom du lieu où le rapt est commis.
Il fait partie de ces artistes qui fondent en octobre 1960 le groupe des Nouveaux Réalistes, à l'initiative de Pierre Restany, groupe au sein duquel Raymond Hains, François Dufrêne et Villeglé représentent les affichistes. Depuis lors, une impressionnante bibliographie accompagne l'œuvre de Villeglé, désigné tour à tour comme révolutionnaire du regard, promeneur, artiste collectionneur, ravisseur, chapardeur ou lacérateur/littérateur.
À cette dernière épithète, nous ajouterions volontiers homme de lettres afin de ne pas perdre de vue son intérêt pour le Lettrisme et la poésie sonore, pour insister sur la formidable érudition présente dans ses propres écrits et sur l'invention de son Alphabet socio-politique. Mais la simple chronologie ne suffit pas pour comprendre et circonscrire une telle démarche. En opérant des allers-retours permanents entre les œuvres de Villeglé, en bousculant les dates, de nouvelles analogies surgissent, tels les strates et les croisements révélés par chacun de ses rapts. Rien d'étonnant pour un artiste disant de « la Bretagne (qu'elle) est une région d'inter-signes ». Cela oblige tout observateur de son œuvre à une gymnastique de l'esprit constituée de rapprochements subjectifs, faisant de chacun d'eux un Lacéré Anonyme élargissant encore la déchirure. Car il y a de l'entourloupe facétieuse chez Villeglé, comme dans l'exposition de Rennes, en 1985, intitulée Le Retour de l'Hourloupe, selon les assonances que Jean Dubuffet associait à ce mot. Entourloupe, raccourci d'entourloupette, n'apparaissant qu'en 1947, l'année décisive pour les collectes d'objets. Entourloupe, par exemple, avec l'affiche Rue du Départ, datée du 12 juillet 1968, sur laquelle nul signe n'indique la rue, et Gaité-Montparnasse , de mai 1987, sur laquelle on lit très distinctement « rue du départ », titre du film de Tony Gatlif. De quoi y perdre son (quartier) latin. De même qu'il y eut l'exposition en 1965 De Mathieu à Mahé, puis en 1995, Prix choc, travail à quatre mains entre Villeglé et Gilles Mahé, on pourrait ainsi multiplier les correspondances de noms, de dates ou d'événements. Non seulement « Villeglé collectionne l'addition des gestes aléatoires », comme le dit Bernard Lamarche-Vadel (écrivain, poète, critique d'art, et collectionneur), mais il permet à tout un chacun de renouer avec le hasard, de revendiquer le moindre regard et de le signer anonymement.
Portrait paru dans Critique d'art #30 - automne 2007
Danielle Robert-Guédon est écrivain. Elle a publié Le désespoir du singe, Le grand abattoir, Je reçois aux éditions Balland, Les vivants, les morts et les marins aux éditions Joca Seria ainsi que de nombreux textes pour des revues d'art et de littérature.
Il décède le 6 juin 2022 à Paris.
A retrouver sur KuB sur la page Villeglé, retour à Saint Malo.