Par Caroline Trouin
Jean-Jacques Rault a commencé par travailler la terre. À Mellionnec, en Centre-Bretagne. Comme il est issu d’une longue lignée de paysans, à ses yeux, c’est normal. Comme tout ce qu’il entreprend, se préoccupant vite de syndicalisme agricole et de développement durable. Et puis survient l’envie de s’exprimer, sur le monde paysan, sur le monde autour de lui. Il tâtonne, suit un moment la filière journalistique avant de comprendre qu’il ne se résoudra pas à être salarié au sein de structures inféodées au pouvoir. Ce ne serait pas cohérent.
Sa rencontre avec Manuela Frésil, cinéaste, va catalyser son désir de films. C’est Jean-Jacques qui a proposé à Manuela Frésil de venir tourner Notre campagne à Mellionnec. Lui et sa famille participent amplement. Un peu plus tard, alors qu’il a laissé la ferme et abordé d’autres rivages, Manuela l’embarque comme assistant réalisateur sur un de ses films. J’avais 40 ans, pas envie d’enfiler un bleu de travail trop petit, j’ai pressenti que le cinéma pouvait être la voie.
Direction Poitiers, pour un master 2, dans le cadre duquel il faut réaliser un premier film. Ce sera Une nuit avec des ramasseurs de volailles, en 2005, un film à voir sur KuB !
Pendant toute la formation, je me suis littéralement abreuvé de films. Jusque-là, je n’avais que très peu de culture du cinéma, je venais d’un autre monde. Je me souviens avoir été au cinéma voir les Charlots, à Gourin, et mon père m’avait expliqué qu’il faudrait dix ans pour que ce film arrive sur notre téléviseur ! Alors, je visionne avec gourmandise, je suis comme une éponge, avide de toutes les images. Au fil des films, je pressens qu’il me faut laisser de côté mon grand projet de fresque sur l’industrialisation de l’agriculture pour n’en aborder qu’un aspect, en filmant de petites choses très intimes, toucher ainsi à l’universel. Ce sera un projet exigeant, trois mois de tournage de nuit avec les ouvriers, où je tente d’apprivoiser les gens, où je passe du temps avec eux, sans rien faire… Humblement et instinctivement.
Essai transformé. Le film est primé en 2005 au Festival de Douarnenez, et Jean-Jacques imagine déjà d’autres scénarios. En résonance avec le premier film, comme une suite logique, une quête politique aussi, puisque ce contexte a du sens pour le syndicaliste et militant. Il réalise aussi que les films dépendent souvent des rencontres passées. Collègues paysans joliment dépeints dans Vague à l’âme paysanne (2010) ou dans Mille et une traites (2012). Ou ex-ministre, comme Edgard Pisani, qu’il croque avec gourmandise dans C’est beau la politique, vous savez ! (2011). Patiemment. Mettant à nu une parole dense, riche de sens.
Sur le chemin de Jean-Jacques (espérons-le, encore bordé de talus), il y aura le Groupe Ouest et des cinéastes qui se préoccupent aussi d’écriture, de dramaturgie, comme lui. Parmi eux, Gaëlle Douël, réalisatrice, avec qui il fait un joli bout de chemin. De toutes ces rencontres, du terreau fertile de Mellionnec où une bande de copains initie depuis des années des projets tous plus fous les uns que les autres, naîtront en 2007 les Rencontres du film documentaire. Et Ty Films, structure associative aujourd’hui en pleine croissance, dans un village d’un peu moins de 500 âmes.
Des formations, des visionnages en commun, pour le plaisir d’être ensemble, de rêver et d’agir. Des projets fous, comme celui d’une véritable université audiovisuelle à la campagne, pourquoi pas ? Une idée du développement local qui fait la nique à tous ceux qui avaient enterré ces communes du Centre-Bretagne, promises à la désertification par des édiles en cravate.
C’était compter sans l’exceptionnelle énergie que recèle ce bourg étonnant, qui conjugue festivités et créations d’emplois, initiatives en tout genre et sens du collectif bien ancré. Tous ces chantiers s’entrelacent avec les films que Jean-Jacques continue de développer. Un portrait exigeant de Joël Labbé, sénateur du Morbihan, qui accepte de se dévoiler devant la caméra, et pour lequel le réalisateur invente des dispositifs, une mise en scène du réel, qu’il ne cesse de questionner.
Raconter des histoires, oui, mais comment ? J’ai compris que la dramaturgie, propre à la fiction, pouvait aussi se ranger au service du documentaire. J’ai compris aussi que de film en film, je recherchais encore autre chose, que je ne trouvais pas. Cette quête paysanne passe aussi par un retour sur ma propre histoire. C’est à cela que je travaille aujourd’hui, avec ma propre famille… Il est un récit personnel que je me dois de faire, en images. Comme je me devais de filmer les paysans autour de chez moi avant d’aller filmer beaucoup plus loin… C’est juste évident !