Le suicide, et après ?
Lundi on le fait.
C’est un petit mot écrit sur un papier qui passe d’une main à l’autre. Elles ont 16 ans.
Dans Quinze kilomètres trois, tourné dans le Finistère sud et le pays de Lorient, deux adolescentes marchent d’un pas décidé, et nous les suivons, la mort dans l’âme.
Un cousin, une prof, une copine de classe… chacun se souvient d’elles. Elles avaient du caractère… En fait je crois qu’on se ressemblait. Plutôt discrètes en cours, voire absentes. Des filles qui se la pétaient un peu, qui voulaient faire grandes.
Cette enquête emprunte aux codes du documentaire - les personnages témoignent face caméra – un mélange des genres assez troublant. Ainsi Stéphane Mercurio traite-t-elle en parallèle de l’inatteignable réel et de sa représentation, de l’inexpugnable mystère du suicide pour nous autres survivants.
Le film parle aussi de la difficulté à trouver une raison d’être dans un coin paumé où les gens n’ont pas d’espoir. Où l’obsession d’un ado peut être de s’enfuir, pour faire enfin ce qu’on veut, être libre quoi. C’est ce qu’on fait ces petites, marchant plus de 15 km sans que fléchisse leur résolution. À la vie, à la mort.
QUINZE KILOMÈTRES TROIS
QUINZE KILOMÈTRES TROIS
de Stéphane Mercurio (2014 - 22')
Tour à tour un professeur, une camarade de classe et un cousin témoignent du drame de deux collégiennes, qui n'avaient pas cette patience des gens qui n'espèrent plus. Elles ont parcouru 15,3 kilomètres à pied pour se jeter du haut d'une falaise.
Prix et sélections en festivals
Festival de Douarnenez, Festival Saint-Paul-Trois-Châteaux (1er prix ex-æquo)
>>> un film produit par Qui Vive !
Liberté pour l'imaginaire
Liberté pour l'imaginaire
par Stéphane Mercurio
Après une quinzaine de documentaires, j'ai fait un premier essai dans la fiction pour un court métrage de la collection Canal + en 2012 : Avec mon p’tit bouquet . Expérience où j’ai découvert de nouveaux outils, de nouveaux moyens, de nouvelles contraintes aussi et la magie de la fiction. Le plaisir de tout créer, de décider du moindre détail tout en parvenant à être prise dans la grâce d’une scène, de son émotion.
QUI VIVE ! m’a proposé de poursuivre avec eux ce travail de fiction. Je connais Éric Bu depuis longtemps et nous partageons une complicité artistique. L’enthousiasme d’Emmanuel Wahl pour mon court métrage m’a donné la confiance pour tenter cette nouvelle aventure.
En juin, je prenais le train pour une projection avec un tout petit livre en poche. Celui de Martine Laval, Quinze kilomètres trois. Je l’ai lu d’un trait. À chaque page, des sensations, des images m’assaillaient. La beauté de son écriture, la pudeur, les non-dits où tout s’imagine m’ont embarquée vers un désir de film. QUI VIVE! a partagé mon enthousiasme pour cette histoire.
Le suicide de deux adolescentes.
Mais parce que l’on ne peut donner sens à ce geste, on le cherche tout au long du roman au travers des histoires des témoins. Mais, au fond, ils nous parlent d’eux, de leur désarroi, de ce monde si dur, du paysage. Ces petites ne font qu’apparaître pour nous échapper aussitôt.
Aussi j’ai choisi d’être peut-être encore plus radicale que le livre de Martine Laval.
Les deux petites ne seront que des silhouettes, morceaux de corps, des mains, des regards, des voix... jamais entières, jamais nommées, jamais réelles. Elles ne sont que le reflet de l’imaginaire de nos personnages, du nôtre aussi et vont se construire au fil des témoignages, des imaginations de chacun. Ainsi au travers de leur histoire, de leurs questionnements, de leurs hésitations, de leurs peurs, on imaginera comment deux gamines de moins de 15 ans ont marché plus de 15 km pour aller se jeter du haut d’une falaise près de Calais.
Ce serait presque sacrilège de donner un sens à un geste pareil.
J’aime que les histoires laissent une place à l’imaginaire du spectateur, à sa pensée, à son émotion propre.
Il était très important aussi pour moi que dès l'écriture, se pose la question de l'agencement, de la mise en scène de la parole de ses trois témoins. En effet comment s'accaparer un matériau purement littéraire et le retranscrire dans un film de fiction ?
Là aussi, contrairement au roman de Martine Laval, j'ai choisi de morceler, d'entrelacer les témoignages tout au long du film pour reconstituer une histoire mais tel un puzzle qui resterait inachevé. Je me suis constamment interrogée sur ce qui devait être dit en in et ce qui devait accompagner en off des actions, des images. De cette juxtaposition naîtra le cinéma.
Ainsi chacun de ces personnages commencera son récit face à nous puis disparaîtra au fil du scénario pour conclure son témoignage en in, comme pour mieux s'interroger ou questionner le spectateur.
Martine Laval m'a raconté que la chanson d’Indochine J'ai demandé à la Lune était le tube de l’année de la mort des deux jeunes filles. C’est un peu de réel qui revient ainsi dans le film. Leurs voix chantant à tue-tête résonnent sur leurs proches. J’aime cette idée que leur présence la plus forte dans le film sera celle de leur voix en off. Le son est pour moi un territoire de liberté pour l’imaginaire.
Construire ces adolescentes à partir de ce qui résonne chez les autres. Saisir leurs états d’âme au travers des paysages, de la nature, du vent, de la mer. Les éléments seront un personnage à part entière du film. Les sons du vent, le fracas de la mer envelopperont le film. Parfois inquiétants parfois apaisants. Le film sera sculpté par les paysages, par une véritable ambiance sonore des éléments. La musique viendra parfois prendre la place des sons réels, s’y mêler. Entre réel et imaginaire comme nous le serons tout au long du film.
Pour ce travail musical, je collaborerai avec mon complice depuis maintenant plusieurs films : Hervé Birolini. Il a cette capacité à s’emparer de sons réels pour en faire un son qui prend sa distance avec lui tout en ne s’en détachant pas totalement. Cela crée un léger trouble qui me semble propice à l’imaginaire du spectateur. J’ai choisi pour ce film de tenter une expérience. J’ai demandé à Hervé Birolini d’imaginer une musique et c’est à partir d’elle, en l’ayant dans l’oreille, que je tournerai une partie des images, notamment celle des paysages et de la marche.
Pour plus de liberté au moment du tournage, pour être plus souple et retrouver quelque chose de documentaire, je travaillerai en équipe extrêmement réduite une grande partie du temps. (Certaines scènes nécessitent une équipe complète). Enfin, les comédiens seront des inconnus, là aussi, pour laisser l’imaginaire du spectateur libre de se poser la question du réel. Un jeu sur : c’est pour de vrai ? ou pour de faux ? Je jouerais avec mes codes habituels du documentaire pour mieux m’en détacher à certains moments. Mais la narration doit jouer avec le trouble du réel.
Enfin, même si un certain désespoir rôde tout au long du film, je ne souhaite pas enfermer le spectateur dans un monde totalement noir. Le personnage du cousin, celui qui a le courage de partir, d’imaginer un avenir, ouvre une porte sur une vie possible et terminera donc le film.
Je suis heureuse que Martine Laval m’ait fait confiance pour adapter son livre, partager cette histoire qui est, aussi, en partie la sienne, celle de son enfance.
Stéphane Mercurio
Stéphane Mercurio
Mon premier film Scènes de ménages avec Clémentine (Ateliers Varan, 1992) sur les rapports entre une femme de ménage et ses employeurs, sera diffusé par Arte et sélectionné dans les festivals.
En 1993, je tourne un documentaire sur le thème de la lutte pour le logement, Vivre sans toit, et m’investis dans le magazine La Rue.
En 1996, je réalise Cherche avenir avec toit (59’) sur la sortie de l’exclusion produit par Iskra.
Depuis j’ai écrit et réalisé plusieurs documentaires pour la télévision : Le bout du bout du monde (55'), Louise, son père, ses mères, son frère et ses sœurs (56’) ou encore Hôpital au bord de la crise de nerfs. Mon dernier long métrage-documentaire sur l’enfermement suivait le Contrôleur général des lieux de privations de liberté a été diffusé sur Canal + en mars 2011 : À l’ombre de la République.
Pour le cinéma, j’ai filmé À côté, les femmes qui attendent aux parloirs à côté de la prison et Mourir ? Plutôt crever ! sur Siné, qui est sorti en salles fin 2010. En 2011, de nouveau les femmes dans l'univers carcéral dans Avec mon ptit bouquet.
Quinze kilomètres trois est mon deuxième court-métrage de fiction !
Les adolescents français vont-ils mal ?
Les adolescents français vont-ils mal ?
FRANCE CULTURE >>> Les idées claires. C’est une étude publiée conjointement par la faculté de médecine de Poitiers et l’Observatoire régional de la Santé d’Alsace, l’an dernier, qui a sonné l’alarme. 20 % des filles et 9% des garçons de 15 ans, qui ont répondu à leur questionnaire, ont déclaré avoir déjà tenté de se suicider. Les résultats étaient concordants dans les deux régions. Ils ont semé la consternation chez les responsables de la Santé publique.
L’HUMANITÉ >>> Quinze kilomètres trois vers le cap et puis l'envol. Le trajet de deux adolescentes qui ont décidé d'en finir dans une bouleversante nouvelle de Martine Laval.
LIBÉRATION >>> Les adolescents français vont-ils mal ? C’est en tout cas la conclusion d’une étude menée par l’Unicef France entre mars et mai 2014, sur plus de 11 000 enfants et adolescents de 6 à 18 ans intitulée Adolescents en France : le grand malaise. Cent-cinquante questions relatives aux conditions et au cadre de vie, aux relations familiales et amicales et à l’expérience scolaire ont été soumises à des enfants et adolescents résidant partout en France.
5 juillet 2022 13:42 - Anne Boissel
Sobre , terrifiant .
30 janvier 2019 11:00 - Balthazar jullien
J'ai bien aimé, c'est très bien filmé, à la fois beau et triste.