L'abîme
19/03/2025
Avant de parler de ce film remarquable, il est peut-être bon de rappeler les origines bibliques de la formule À la droite du père, la place qu’accorde Dieu à son fils. À la gauche du père s’inscrit a contrario dans la perspective d’une filiation gauchie, celle d’une fille dont le père n’est apparemment pas auréolé de gloire divine.
Quinze ans après la mort de ce père, le propos de ce film essaye de comprendre ce qui l’a conduit à se perdre dans l’alcool, faisant de la vie de famille un enfer. Cette entreprise risquée, la réalisatrice Nathalie Marcault s’y engage avec tact et détermination, produisant un objet insolite pétri de secrets indicibles où l’épouse, la sœur et les enfants du défunt vont aux limites de leur propre lucidité. À ce petit jeu, chacun des témoins se retrouve face à son rôle dans le drame familial, la cinéaste esquissant par là même son autoportrait, à la gauche du père.
À LA GAUCHE DU PÈRE
À LA GAUCHE DU PÈRE
de Nathalie Marcault (2009 - 65’)
Chaque soir, je voyais mon père monter la rue en titubant. Il est mort, il y a 18 ans, des suites de son alcoolisme. Depuis, je cours après un fantôme. J'ai demandé à ma famille de m'aider à lui redonner chair pour m'en libérer. Le film retrace mon lien complexe à ce père absent.
>>> un film produit par Moviala Films et Tarmak Films
Lauréat de la bourse Brouillon d’un rêve et d'une Étoile de la Scam
Soulever la pierre tombale
Soulever la pierre tombale
par Nathalie Marcault
Tous les soirs, à la fenêtre de ma chambre, je guettais l'arrivée de mon père. Je le voyais monter la rue en titubant. J’entendais son pas sur le gravier, il claquait la porte du garage, il montait l’escalier lourdement, il rangeait son vêtement dans le placard, il claquait la porte du placard, celle de la salle à manger, il s’affaissait dans son fauteuil, allumait la télé, c’était l’heure des Chiffres et des lettres : voyelle, consonne, consonne, voyelle... À 8 ans, 13 ans, 16 ans, 20 ans… chaque jour, ce retour, ces silences troués de cris, cette violence latente. Chaque jour, la même scène répétée. Je me suis construite avec ça et contre ça. Jamais je n’ai posé la moindre question à mon père. Jamais je n’ai osé lui demander pourquoi il buvait. Jamais je n’ai pu lui dire d’arrêter. De son vivant, le sujet est resté tabou. Après sa mort, il n’y avait plus lieu d’en parler. Son alcoolisme était enterré avec lui. Quand j’ai annoncé ma décision de faire un film, ma mère a protesté : Tu n’as vraiment rien de plus intéressant à raconter !
Non, je n’ai rien de plus intéressant à raconter. Plus de 15 ans après la mort de mon père, j'ai eu besoin de comprendre les origines de son alcoolisme. Qu’allait-il chercher au fond de la bouteille ? De quoi mon père avait-il soif ? Le film met en scène ma relation à l’absent, celle que j’ai, adulte, avec ce père décédé et celle que j’avais, enfant, avec celui qui était là sans être là et dont je regrettais l’absence alors même que sa présence m’était insupportable. Faire ce documentaire est une façon de reconstruire le lien, de lui parler, pour me réconcilier et me libérer. Il s’agit de faire advenir une parole là où le silence a toujours prévalu, de remplacer les non-dits par des mots. Notre vie de famille n’a été que l’addition de quatre solitudes. Chacun s’appliquait à cacher ce qu’il ressentait. Je ne sais pas ce qu’ont vécu ma mère et mon frère, sinon qu’ils guettaient comme moi le retour du père.
J’ai voulu faire vivre au spectateur cette expérience du malaise à dire, de l’évitement, de la gêne, voire de la honte à aborder certains sujets et que le film témoigne de cette tension du silence et de la parole. Alors j’ai interrogé mes proches. Je leur ai montré des photos et des films super 8. Ensemble, nous avons scruté les regards, les attitudes à la recherche d’un indice. Nous avons compulsé des écrits, cinq carnets laissés par mon père, espérant y trouver des réponses. Nous avons consulté son dossier médical et ses archives professionnelles.
J'exhume des souvenirs. Je reconstitue des scènes de notre vie familiale. Je suis sur les traces d’un fantôme. Je n’ai à ma disposition que des bribes, des bouts, des fragments, des morceaux, mais c’est ainsi qu’on reconstitue un puzzle. J'essaie de faire parler un matériau somme toute assez modeste. Peut-être manquera-t-il la pièce centrale qui m’empêchera à jamais d’avoir une vision d’ensemble. Peu importe. J'ai enfin osé soulever la pierre tombale.
Je ne savais pas à quel point ce film allait m'emmener en territoire inconnu. Je ne savais pas que je découvrirai mon père sous un jour nouveau, comprenant que l'essentiel de sa vie m'avait échappé, et que ce portrait d'un absent serait aussi celui du couple de mes parents.
Nathalie Marcault
Nathalie Marcault
Après des études de lettres et une école de journalisme, Nathalie Marcault travaille dix ans dans la presse écrite et à la télévision. Elle découvre le documentaire grâce à un stage aux ateliers Varan en 2001 et en sort mordue. Depuis elle a réalisé près d'une quinzaine de documentaires pour la télévision, dont À la gauche du père (2009), film sur son histoire familiale qui a obtenu la bourse Brouillon d'un rêve et reçu une Étoile de la Scam. Chemin faisant, elle rejoint l’Association des réalisateurs en Bretagne (coprésidente pendant deux ans), intervient comme chargée de cours en arts du spectacle à l’Université de Rennes, devient lectrice pour plusieurs fonds d’aide et accompagne de jeunes auteurs à l’écriture de projets de films documentaires. En 2023, elle termine son premier long métrage documentaire, La Moitié du monde. Le film a été sélectionné dans plusieurs festivals et a reçu le Prix de la création au festival Traces de vies de Clermont-Ferrand.
Enfants d'alcooliques
Enfants d'alcooliques
FRANCE CULTURE >>> Sur les docks. Maman alcoolique. Papa alcoolique. Parent alcoolique. Association de mots difficile à sortir, difficile à accepter, difficile à imaginer. À 10 ans, 30 ans ou 50 ans, on peut être enfant d'alcoolique. Le malade alcoolique souffre, mais il fait aussi souffrir.
OUEST FRANCE >>> Témoignages. Quand l’alcool des parents empoisonne les enfants. L’alcool est un poison qui contamine toute une famille. Pour aider les jeunes confrontés à cette situation, l’association Al-Anon/Alateen groupes familiaux leur propose des réunions.
SLATE >>> Pour les autres, l’alcool, c’est la fête et la convivialité. Mais pour moi, c’est avant tout mon père, ses dérives, ses coups, nos fêlures. À 27 ans, Ivan n’a jamais touché à un verre de sa vie. Pourtant, l’alcool a côtoyé son quotidien pendant deux décennies, avec un père dépendant.
24 mars 2024 04:05 - SAMBET
Bravo pour ce documentaire touchant , profond et qui dit avec pudeur mais véracité la complexité de l'alcoolisme dans le cercle familial . C'est remarquable !