L'épreuve de vérité
Voici un film d’utilité publique qui nous révèle en quoi consiste la participation pour un citoyen lambda à un jury d’assises. La réalisatrice Brigitte Chevet a convaincu une dizaine d’entre eux de raconter leur expérience. Leurs récits s’entrelacent pour nous mettre face au fonctionnement de la justice, à notre rapport à la vérité (rien que la vérité) et aux émotions qui assaillent tout un chacun dès lors qu’il se trouve impliqué dans une telle épreuve. À vous de juger met aussi en évidence la nécessité en démocratie d’impliquer des représentants du peuple (tirés au sort) dans l’audition des témoignages et des plaidoiries, de sorte de juger au nom de tous le comportement d’hommes accusés d'un crime (homicide volontaire, viol…).
Comme le rappelle l’une des participantes au film, un chef-d’œuvre du cinéma nourrit l’imaginaire des foules à ce sujet, 12 hommes en colère de Sydney Lumet, qui montre un jury populaire dans les années 1950 aux États-Unis qui doit délibérer sur le sort d'un jeune homme accusé de parricide. Selon leur verdict, le jeune homme sera condamné à mort ou acquitté. Au cours de leur délibération, les jurés vont remettre en question leur moralité et leurs valeurs, un peu comme dans le film de Chevet.
À VOUS DE JUGER
À VOUS DE JUGER
de Brigitte Chevet (2019 - 52')
Chaque citoyen français a une chance sur 1300 de recevoir un jour une lettre le désignant membre d’un jury d’assises. Rarement le vote des jurés pèse autant dans une décision de justice. Les jurés sont confrontés aux crimes, aux détails sordides, au pire de l’humain. Après cette épreuve, ils ne voient plus la justice de la même manière. Dix anciens jurés racontent cette expérience bouleversante : devoir juger autrui… au nom du peuple français.
>>> un film produit par Cyrille et Gilles Perez, 13 Prods
Un vacarme émotionnel
Un vacarme émotionnel
par Brigitte Chevet
Le premier à m’avoir parlé des jurés d’assises, c'est mon beau-père. Ancien syndicaliste aux prud'hommes, homme pondéré et peu émotif, il est encore marqué par cette expérience, quinze ans plus tard. Au tribunal de Rennes, Jean-Claude a été tiré au sort sur trois affaires, deux infanticides et un viol sur majeure. J’avais l'habitude de voter le cœur léger, mais ce bulletin-là, je ne suis pas près de l'oublier, car derrière, il y avait marqué des années d'enfermement. J'ai visité la prison avant le procès, et ça refroidit, on y pense longtemps avant d'y envoyer quelqu'un. Je n'en dormais plus la nuit. J'y repense souvent… Intriguée par son récit, je me suis documentée, j'ai assisté à quelques procès et rencontré quelques-uns de ceux qui ont vécu cette aventure si particulière. Tous se rappellent très bien leur passage au tribunal. Coupés de leur activité professionnelle, ayant interdiction de parler des débats avec leurs proches, ils ont traversé ces moments comme dans une bulle, avec un besoin de parler, d'échanger, de réfléchir avec les autres jurés. Ils ont été unis comme rarement dans leur vie face une violence inouie : bébés congelés, meurtres conjugaux, viols ou incestes, grand banditisme. Ils ont dû décider, trancher ensemble et souvent très vite. Coupable, non coupable ?
Un procès dure en moyenne trois jours. Lors de cette parenthèse, ils sont les représentants du peuple français, son incarnation face au crime. À travers leurs récits, j'ai saisi la complexité de l'art de juger. Et j’ai aussi compris que c’est dans un vacarme émotionnel que la justice se rend en France. Comme si l’intime conviction de nos jurés ne pouvait émerger que dans un tel fracas.
JUGER, À LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER
Les jurés sont la figure incontournable d’un procès d’assises. Ils sont ceux qui décideront du sort de l’accusé. Mais ils sont ignorés du grand public et des chroniqueurs judiciaires. Le temps du procès, ils restent des figurants quasi muets. Le juré ne pose que de rares questions lors des audiences, uniquement sur autorisation expresse du Président. Il lui est interdit de montrer ses émotions et de communiquer avec les autres jurés lors des séances. Il est comme nié. Et pourtant, comme le montre la scénographie de la cour d'assises, il est en première ligne : assis à la tribune, à coté du Président, face aux avocats et au public. Il est au centre de toutes les attentions. Avocats comme procureurs s'adressent à lui et scrutent la moindre de ses réactions. Pendant les réquisitoires et les plaidoiries, il est celui qu'il faut convaincre. En me focalisant sur cette parole rare, celle des jurés, j’ai décidé de plonger dans les arcanes de la justice et de son acmé. Ils sont les seuls à pouvoir relater ces moments, les à-côtés du procès, là où les sentiments s’échangent, là où parfois naissent les certitudes. Ils se remémorent ces longues pauses à la machine à café pour « rejouer » entre jurés l’interrogatoire d’un témoin. Ils évoquent les relations entretenues, hors de la salle d’audience, avec les autres intervenants : greffiers, magistrats et autres jurés. Dans ce récit à plusieurs voix, la dramaturgie est portée par le vécu de chacun d’entre eux.
LE JURY POPULAIRE, SIMPLE CAUTION DÉMOCRATIQUE ?
Cette justice populaire est propre aux assises. Seuls les crimes les plus graves sont soumis à de simples citoyens néophytes. Les jurés n’ont à aucun moment accès au dossier ou à des documents pour appuyer leur réflexion. Car l’une des caractéristiques des assises, c’est l’oralité et le temps du débat. Sur plusieurs jours, un débat contradictoire est organisé et le nombre d’intervenants, témoins ou experts, n’est pas limité. Dans ce cadre, l'oralité des débats devient l'accoucheur d'une vérité possible. Le lieu où peut se dire et se purger la haine, où les récits s'échangent entre victimes et accusés, et où parfois un pardon est murmuré. Cette oralité sert à la fois les parties civiles et les prévenus car elle parvient à dépasser la froideur d’un dossier qui reste somme toute administratif.
Une magistrate que j’ai rencontrée évoque pourtant une justice de luxe. Magistrats, avocats et parfois anciens jurés eux-mêmes doutent de la pertinence d’une telle justice. Les jurés seraient trop sévères, parfois incontrôlables et coûteraient chers aux contribuables. Ils seraient incapables de juger sereinement, car confrontés pour la première fois à une violence qui les dépasse. Au sein de la magistrature elle-même, on questionne la présence de ces jurys populaires, la présence de non-professionnels étant aussi une source de stress et d'inconnu supplémentaire.
Une interrogation revient sans cesse dans la bouche des anciens jurés, vertigineuse : comment peut-on juger de manière impartiale ? À chaque affaire, il leur faut faire un tri entre fascination, émotion et raison.
Brigitte Chevet
Brigitte Chevet
Autrice et réalisatrice de documentaires, Brigitte Chevet vit à Rennes. Ses sujets de prédilection sont éclectiques: du film historique d'archives au tournage en immersion, de l'histoire des femmes à l'enquête écologique ou politique, en passant par le portrait intime, le récit d'histoires locales comme de thèmes universels... Elle aime filmer le monde réel en suscitant la réflexion, le sentiment d'humanité partagé... avec humour si possible. Ancienne administratrice de la Scam, elle est également formatrice auprès d'étudiants en audiovisuel (Fémis, université de Rennes-2), ou auprès de lycéens et d'étudiants sur la pratique de l'image.
Au cœur de la justice
Au cœur de la justice
RFI >>> Entretien avec la réalisatrice Brigitte Chevet, en immersion dans un jury d’assise au tribunal de Rennes : Là, on est plongés dans la comédie humaine.
FRANCE INTER >>> Un beau jour, vous êtes tiré au sort, et vous voilà convoqué au tribunal sans être juge. C'est une immense responsabilité. Par quels états d’âme arrive-t-on à l’intime conviction ?
LES ÉCHOS>>> A compter du 1 er janvier, les cours criminelles départementales sont généralisées à tout le territoire. Composées de juges professionnels, elles récupèrent une partie du champ de compétence des cours d'assises avec jurés. Un moyen de raccourcir les délais de procédures et de faire des économies.
FRANCE BLEU >>> Un jour, vous ouvrez votre boîte aux lettres et vous y trouvez un courrier un peu spécial : une convocation pour être juré d’assises. N’importe quel citoyen inscrit sur les listes électorales peut être tiré au sort. Cela a été le cas de Clémentine Thiebault.
OUEST FRANCE >>> Témoignage : Pour moi, il y a un avant et un après ces assises. On a vu et entendu des choses difficiles et on a eu à prendre une décision hors norme. Juger l’autre, c’est très complexe. Être juré, c’est le rôle le plus important qu’on peut avoir dans notre société.
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