Nonnes féministes !
23/01/2025
Elles sont huit femmes, une communauté religieuse surprenante, joyeuse coloc en réalité, d’où il ressort que l’exercice du sacerdoce peut prendre des allures d’engagement politique, pour plus de justice, localement et globalement. Car ces sœurs implantées au Québec ont été impliquées dans divers théâtres d’opérations, au Rwanda comme en Irak, à défendre les victimes du rouleau compresseur de l’histoire. Anticapitalistes, anti-impérialistes et bonnes vivantes, ces nonnes sont d’abord féministes, tant que ce sera nécessaire, pour que les femmes ne soient pas les éternelles reléguées, subalternes, quantité négligeable… à commencer par leur Église dont les hommes détiennent toujours les postes de pouvoir.
Ainsi soient-elles, réalisé par Maxime Faure, leur rend hommage au moment où s'approche la fin de vie, vouant leur communauté à la disparition. Un passage qui les confronte à leur foi, la foi au prix du doute, quand leur vie entière a été consacrée aux autres.
AINSI SOIENT-ELLES
AINSI SOIENT-ELLES
de Maxime Faure (2019 - 74’)
Que reste-t-il d’une vie de luttes ? Les Sœurs auxiliatrices du Québec, qui ont foi en Dieu mais pas en une Église dominée par des hommes, préparent la disparition de leur communauté religieuse.
>>> un film produit par Estelle Robin You des Films du Balibari et Audrey-Ann Dupuis-Pierre de Metafilms
Une communauté pas comme les autres
Une communauté pas comme les autres
par Maxime Faure
Novembre 2013. Les premières neiges tombent sur le Québec. C’est le troisième hiver consécutif que je vis à Montréal. Ce jour-là, je filme une rencontre avec des travailleurs sociaux. La réunion a lieu dans le sous-sol d’un couvent. Je n’avais jamais mis les pieds dans un tel endroit. Sur un mur, un tableau qui représente trois Bretonnes dansant la gavotte, qui semblent me faire un clin d’œil malicieux depuis chez moi, de l’autre côté de l’Atlantique. Ça m’impressionne un peu, toutes ces bonnes sœurs, ce silence. Voilà qui correspond bien à ma conception d’un lieu sacré, où des religieuses vivent entre elles. Mais la suite est venue tout contredire, car la communauté est bien loin des idées reçues de la sœur cloîtrée toute la sainte journée à genoux sur son prie-Dieu.
Dans le sous-sol du couvent, la réunion commence. Mon attention se pose sur une femme au large sourire qui dégage une forte énergie. C’est Nicole, l’une des travailleuses sociales que je dois filmer. On me chuchote que c’est une bonne sœur féministe. Je l’observe. Elle ne porte pas de croix ni d’autres signes qui pourraient faire référence à sa fonction de religieuse. Une sœur féministe, ça existe vraiment ? C’est ce paradoxe qui suscite en moi un désir de réaliser un documentaire sur cette femme. À la fin de la rencontre, je me précipite pour lui parler. Quelques semaines et courriels plus tard, nous nous retrouvons à Montréal, dans sa communauté, le 14 février 2014, 14h.
À l’entrée du quartier gai, sœur Nicole habite avec sa communauté parmi les laïcs. Situé sur le bruyant boulevard René-Levesque, son appartement est perché au 15e étage d’une grande tour de béton abritant plus de 200 logements. J’y fais la rencontre des Sœurs auxiliatrices : sœur Gisèle, sœur Marie-Paule, sœur Christiane, sœur Aline, sœur Denise, sœur Simonne et sœur Rachel. Puis sœur Suzanne et sœur Andrée, qui vivent à l’extérieur de la communauté. Elles me partagent leurs convictions et leur combat pour la solidarité et la justice sociale avec une vision féministe. Je comprends vite que j’ai face à moi une communauté de bonnes sœurs pas comme les autres. Ces femmes de terrain disent ce qu’elles pensent haut et fort, n’en déplaise à certains. Les Sœurs posent leurs valises à Granby, à l’est du Québec, à la fin des années 1940 et, très vite, elles se font remarquer. En 1995, elles participent également à l’un des événements féministes majeurs du Québec : la Marche des femmes contre la pauvreté intitulée Du pain et des roses, une marche de 20 km par jour, pendant dix jours, jusqu’à l’Assemblée nationale, à Québec.
Je me sens vite à l’aise avec elles. Ces visages et ces corps me sont familiers. Une drôle d’impression d’être comme à la maison avec ma mère Martine, ma tante Sylvie, ma grand-mère Odette, sa sœur et mes grandes cousines. Protestantes, elles aussi sont des femmes de conviction. Dans la mythologie familiale, on connaît mon arrière-grand-mère Marguerite pour avoir brutalement coupé ses cheveux lors d’un repas, furieuse car son mari prétendait l’en empêcher : Moi, on ne m’interdit rien ! C’était en 1934. Plus jeune, j’ai vu ma mère mener des batailles pour ouvrir, non sans embûches, ce qui devint la première école publique d’un haut fief catholique de la région. Et puis, il y a aussi les cartes de tarot. Chacune sa technique et sa façon de le tirer. C’est une histoire de femmes, transmise de génération en génération. J’aime passer du temps avec elles.
Une sororité, c’est bien de cela dont il s’agit chez les Sœurs auxiliatrices. Rencontre après rencontre, nous tissons une complicité. J’assiste à des scènes caustiques qui me donnent envie de sortir ma caméra et mon micro. Je leur explique mon désir de réaliser un documentaire. Elles me questionnent. Je leur précise aussi que je ne suis pas catholique, ni pour autant athée, davantage spirituelle. Après concertation collective, comme pour toute prise de décision dans la communauté, elles acceptent. Nous buvons du vin rouge pour célébrer.
Maxime Faure
Maxime Faure
Né à Brest en 1989, Maxime Faure travaille entre la France et le Québec. Diplômé en cinéma documentaire à l’université de Montréal, son travail se base sur la collecte sensible de la parole, l’intime et la mémoire. Il s’attache à suivre des personnes dans leurs combats du quotidien et à relier des histoires singulières à des histoires collectives.
Il réalise ainsi plusieurs courts métrages entre 2015 et 2019, notamment Masquée, sur le street-artiste Zola, Nous autres, une série documentaire associant photographies et témoignages sonores, ou encore Intranquille, sur la résilience d’une jeune femme ukrainienne. En 2016, il crée également un documentaire sonore pour Radio France : À ne pas croire, une immersion dans le quotidien d’un guérisseur aux multiples dons. Ainsi soient-elles est son premier long métrage documentaire.
En 2020, Maxime Faure mène une résidence de recherche et création avec l'architecte Adam W. Pugliese dans un quartier de logements sociaux voué à la démolition, ce qui donne lieu à une coréalisation, Les Insulaires. Il écrit actuellement son second long métrage documentaire Tête de granit.
Les sœurs féministes
Les sœurs féministes
TV5 MONDE >>> Retour sur l’histoire des Sœurs auxiliatrices du Québec, leurs luttes, leur quotidien, la fin de leur communauté… et entretien avec Maxime Faure, le réalisateur du documentaire Ainsi soient-elles.
LE DEVOIR >>> Sœur Nicole Jetté, féministe tant qu’il le faudra. La sœur auxiliatrice accorde un entretien au journal Le Devoir, qui s’intéresse aux religieuses atypiques.
MÉTRO >>> Il y a 20 ans, 850 femmes ont pris la route. À pied, elles sont parties en direction de Québec pour témoigner de leur colère et de leur indignation devant la pauvreté des leurs. Elles avaient en poche neuf revendications adressées au gouvernement de l’époque. C’était la marche Du pain et des roses.
22 janvier 2024 22:12 - Clarence Rousselle
Les meilleures pour tous