La distinction
23/01/2025
Il est intéressant de voir, pour beaucoup d’entre nous, combien les examens, concours et autres épreuves d’évaluation restent à jamais des points de fixation de rêves pour le moins malaisants. Au crépuscule de sa vie, Jacques doit encore recevoir une distinction qui le ramène à cet irrépressible besoin de reconnaissance, un prix qui vient le flatter tout en l’éloignant de l’essentiel : l’ordinaire de la vie, un rapport au monde dépouillé de vanité.
Dans son film, Alissa Wenz ramène son héros à cet essentiel : l’amour, l’amitié, la nature… Allegro ma non troppo. Joyeux, mais pas trop. Vif, mais pas trop… Une méditation sur le bonheur portée par la poignante pièce pour piano opus 118 de Brahms.
ALLEGRO MA NON TROPPO
ALLEGRO MA NON TROPPO
d'Alissa Wenz (2014 - 22’)
Jacques, 80 ans, ancien universitaire et grand spécialiste de Tchekhov, doit recevoir un prix pour sa dernière publication. Mais une lettre d’Émile, qu’il n’a pas vu depuis 60 ans, le pousse à s’échapper et à rejoindre la maison de cet ancien ami, au bord de la mer. La maison est vide, et Jacques, en s’abandonnant à ses souvenirs, va peu à peu relire sa vie à la lumière de celle d’Émile.
>>> un film produit par Lucie Fichot, Folle Allure Films
Doux-amer
Doux-amer
par Alissa Wenz
À l'origine de Allegro ma non troppo, il y a le désir de parler d'un âge qui n'est pas le mien, de m'intéresser à ce qui pourrait être éloigné de moi, et y chercher des échos. Les préoccupations de Jacques, hanté par la vie d'un autre au point de remettre la sienne en question, sont d’autant plus visibles qu'il approche de la mort. J’ai voulu qu'il puisse se faire le miroir d'une interrogation plus vaste sur les choix d'une vie, les renoncements, les regrets... Une interrogation inquiète qui mènerait à un apaisement – grâce à Laura et à sa légèreté, grâce à une réconciliation salutaire avec son propre passé. L'idée d'Allegro ma non troppo est de proposer une incursion dans la mémoire de cet homme, chez qui la joie d’exister triompherait sur la nostalgie.
Le film propose une temporalité dilatée, arrachée à la course normale du temps et où les différents âges de la vie – enfance, jeunesse, vieillesse – se rejoindraient, au point de se mélanger, comme si l'on pouvait se promener dans ses souvenirs comme dans un décor.
Allegro ma non troppo se veut un film de fantômes : amitiés disparues, amours évanescentes… Le personnage de Jeanne dessine l'ombre d'un trio amoureux impossible. La frontière est ténue, entre le réel, le souvenir et le fantasme. Jacques lui-même ne s'inquiète-t-il pas d'être devenu un fantôme dans sa propre vie ? Mais Allegro appelle aussi des fantômes du cinéma : de Bergman et ses Fraises sauvages aux scènes tchekhoviennes du Milou en mai de Louis Malle, en passant par le très onirique Rendez-vous à Bray d'André Delvaux, le film puise dans des réminiscences cinématographiques qui alimentent la matière nostalgique qu'il brasse. Jacques est interprété par Marc Michel, qui incarna Roland Cassard dans Lola et dans Les Parapluies de Cherbourg, et j’ai souhaité que ce choix inscrive le film dans la lignée rêveuse et mélancolique de l'univers de Jacques Demy.
J’ai voulu créer une ambiance visuelle onirique, tissée d'un camaïeu de bleus et de gris, ainsi qu'un rythme alangui, qui laisse le temps faire son œuvre, en accord avec le thème du film. Sur un plan sonore, la musique de Brahms joue un rôle essentiel. Doux-amers, les intermezzi de Brahms sont à l’image du film. Entre le son des vagues et le souvenir de voix disparues, entre les accords d'un piano lointain et le fracas des trains qui s'éloignent, Allegro ma non troppo se veut un film musical qui avance comme une mélodie au gré des sons et des images qui s'imposent à la mémoire de son personnage.
J’ai grandi près de Saint-Malo et je montre dans ce film des paysages que je connais bien et que j'aime. J’ai voulu saisir leur douceur et leur tristesse aussi. La mer infinie, sereine et tourmentée est à l’image de mon personnage principal. J’ai mis en parallèle l’espace clos de la grande maison vide, qui résonne encore de mille souvenirs. Une maison interdite, que Jacques, comme Boucle d'or, tenterait de s'approprier. Une maison fantomatique, traversée d'apparitions fugaces. Mais aussi une maison réelle, qui, en présence de la vivante Laura, sortirait de la nostalgie, et redeviendrait fonctionnelle et habitée.
Alissa Wenz
Alissa Wenz
Originaire de Bretagne, Alissa Wenz se forme au piano et au chant au conservatoire de Saint-Malo. Elle intègre l'École normale supérieure, et étudie le scénario à la Fémis, dont elle sort diplômée en 2013.
En tant qu'autrice, compositrice, interprète, elle est produite par Contrepied Productions. Télérama voit chez elle un petit quelque chose de Barbara. Elle enregistre en 2019 un album live, en trio avec Agnès Le Batteux (violoncelle, trompette) et Léo Varnet (accordéon, guitare), au Forum Léo-Ferré, à Ivry-sur-Seine. Son premier album studio, Je, tu, elle, paraît en septembre 2022 chez EPM/Universal. Romain Didier en signe les arrangements.
Son premier roman, À trop aimer, paraît en 2020 aux éditions Denoël et raconte une emprise amoureuse. II reçoit un bon accueil critique. Son deuxième roman, L'Homme sans fil, est publié en 2022, également chez Denoël, et s'intéresse au parcours du hacker Adrian Lamo, connu pour avoir dénoncé Chelsea Manning auprès des autorités américaines.
artiste multidisciplinaire
artiste multidisciplinaire
RADIO FRANCE >>> L’invitée du jour : Est-elle une romancière qui chante ou l’inverse ? Avec Alissa Wenz, le doute est permis. Dans son tout premier disque Je, tu, elle sorti chez EPM en septembre dernier, l’autrice-compositrice-interprète dessine différents portraits de femmes.
OUEST FRANCE >>> Alissa Wenz présente son film à Saint-Cast-le-Guildo : J’ai vraiment écrit le scénario pour cette maison, une maison chargée d'imaginaire, de rêveries, de voyages. Je n'aurais pas pu tourner ce film ailleurs.
COMMENTAIRES