Artiste voyageuse
En 2000, la réalisatrice Brigitte Chevet fait le voyage en Mauritanie, sur les traces d’Odette du Puigaudeau, une artiste-autrice voyageuse née à la fin du 19e siècle. Vivant comme un homme, anticolonialiste et féministe, Odette établit des relations avec les Maures, sans être dominatrice ni extérieure, ni fusionnelle. Vivre comme eux, être riches de liberté, se préserver de larges pans de loisirs et de rêve.
Ce film est nourri par quelques archives photographiques, des textes lus, des propos de Monique Vérité, sa biographe, et de Théodore Monod qui résume en quelques mots le sentiment que suscitent les nomades chez les Occidentaux. Des hommes libres, pour un État ce n’est pas pensable. Il faut donc les sédentariser ou les détruire.
Odette du Puigaudeau s’est inventé une vie riche et intense, en avance sur son temps, une vie dont on trouve des traces dans l’exposition Artistes voyageuses au musée de Pont-Aven jusqu’en novembre 2023.
ODETTE DU PUIGAUDEAU, de la Bretagne au désert
ODETTE DU PUIGAUDEAU, de la Bretagne au désert
de Brigitte Chevet (2000 - 26’)
Née en 1894, Odette du Puigaudeau, fille du peintre de l'école de Pont-Aven, Fernand du Puigaudeau, a été dessinatrice pour Lanvin, journaliste, marin, aventurière. Mais c'est surtout sa connaissance et son engagement pour la Mauritanie qui en ont fait une femme remarquable.
>>> un film produit par Aber Images
Récompenses
Prix du reportage au Festival du film de voyage de Saint-Étienne (2001)
Mention spéciale du jury au Festival du film maritime de Toulon (2001)
Une génération de femmes pionnières
Une génération de femmes pionnières
par Brigitte Chevet
Quand je me suis plongée dans le portrait d’Odette du Puigaudeau, c’était avant tout pour renouer avec une fascination ancienne pour le désert. La rareté ramène à l’essentiel : je l’avais éprouvé à 19 ans dans les dunes d’El Oued en Algérie. Je l’avais lu chez Isabelle Eberhardt, héroïne rêvée du journalisme voyageur à laquelle je m'étais un peu identifiée. Et je le retrouvais chez Odette. Deux plumes au féminin, vives et courageuses, qui conçoivent le voyage non pas dans la conquête de l’autre, mais dans sa compréhension. Ce qui fait une énorme différence avec l’approche coloniale traditionnelle.
En la lisant, je découvre aussi avec bonheur une conteuse inspirée de la Bretagne, au moment où je faisais le rêve de revenir y vivre. Odette parle avec amour de ce pays profond et de ses traditions qu’elle pressent en voie de disparition. Le désert, la Bretagne : deux éléments qui m’ont rendue proche la personnalité de cette écrivaine. Sa biographe Monique Vérité m’a bien aidée à retracer son parcours, malgré l’absence d’entretiens sonores ou d’archives filmées. Ce documentaire a été réalisé avec des bouts de ficelles : quelques photos, une incursion dans les palmeraies de l’Adrar, et un chameau débonnaire retraité en fausse archive.
Merci à la Cinémathèque et à Pathé Gaumont Archives de nous autoriser cette nouvelle exposition sur KuB !
Avec le recul de ces années, l’expérience d’autres films réalisés sur la condition des femmes, j’ai pu aller au-delà de l’histoire considérée individuellement. Notamment avec Rose Valland, héroïne oubliée des pillages artistiques. Là encore, un destin exceptionnel, une femme née à la charnière des deux siècles, et qui n’a intéressé personne : pas d’archives, pas de film, pas d’interview d’elle, alors qu’elle a vécu assez âgée, comme Odette. Manque de chance ou répétition significative ?
J’ai réalisé alors la situation particulière de cette génération née à l’orée du 20e siècle. Une génération pas si éloignée de nous, puisque c’est celle de mes deux grands-mères, à quelques années près. Elles ont, pour la première fois, accès à l’éducation, aux diplômes : leur curiosité s’éveille, s’enhardit. Mais elles ne peuvent atteindre le reste, qui nous semble si naturel aujourd’hui : les droits économiques, politiques, la liberté de mouvement, l’indépendance vis-à-vis des hommes. Odette, Rose, mais aussi mes grands-mères Charlotte et Paule : quel courage elles ont dû avoir pour affronter ces contradictions !
Avec le recul, je comprends mieux pourquoi je dévorais plus jeune les récits des voyageuses Ella Maillard, Isabelle Eberhardt, ou Alexandra David-Néel. Elles ont agi, voyagé, travaillé en se déguisant en homme si besoin, pour aller là où elles voulaient, conquérir cette liberté qu’on leur refusait. La plupart ont été oubliées, leurs mérites gommés par une histoire écrite au masculin. Mais j’avais un besoin impérieux de comprendre leur expérience charnière.
Faire ces films, raconter l’histoire d’Odette ou de Rose, malgré le manque d’archives, c’est une manière de les remercier pour les portes qu’elles ont ouvertes, pour nous et nos filles. C’est pouvoir leur redonner un peu de la lumière qu’elles méritaient, alors que leurs contemporains avaient sans doute du mal à accepter leur tempérament indépendant. Si elles étaient nées hommes, des boulevards porteraient aujourd’hui leur nom. Redécouvrons-les. Leur liberté les rend absolument révolutionnaires, et nécessaires à nos vies.
Artistes voyageuses
Artistes voyageuses
Du 24 juin au 5 novembre 2023, le musée de Pont-Aven accueille Artistes voyageuses, une exposition qui réunit une trentaine d’artistes et de photographes, de la Belle Époque à la Seconde Guerre mondiale, qui se sont baladées de l’Afrique à l’Orient. Avec l’affirmation des premiers mouvements féministes à la fin du 19e siècle, l’image de la femme nouvelle, actrice de son destin, s’immisce peu à peu dans la société bourgeoise et académique française. Les femmes artistes suivent des cours aux Beaux-Arts, exposent dans les salons, obtiennent des bourses et acquièrent ainsi un statut professionnel leur permettant d’assurer des commandes pour des compagnies maritimes ou pour les expositions universelles et coloniales.
Par ailleurs, le tournant du 20e siècle est marqué par un regain d’intérêt pour l’orientalisme, que l’on retrouve dans le travail des femmes mises en lumière dans cette exposition.
On remarque également qu’au fil des années les itinéraires empruntés par ces artistes voyageuses suivent de plus en plus celui de la colonisation française, de l’Afrique équatoriale à la péninsule indochinoise. La présence de nombreux portraits indique leur recherche d’une proximité avec les populations rencontrées, notamment les femmes auxquelles elles ont plus facilement accès. Cependant, bien que leurs regards soient dépourvus d’une vision raciste et caricaturale, peu sont celles qui remettent en question le système colonial et la mission civilisatrice de la France.
Les quelque 500 œuvres présentées dans l’exposition Artistes voyageuses sont d’une grande diversité stylistique, échappant aux standards de classification de l’histoire de l’art traditionnel. Elles proviennent de collections publiques et privées françaises, regroupées pour la première fois dans un musée, invitant ainsi à un voyage inédit dans le temps et dans l’espace.
Odette du Puigaudeau
Odette du Puigaudeau
Odette du Puigaudeau est une artiste et ethnologue française née à Saint-Nazaire en 1894. Issue d’une famille bourgeoise, elle est la fille unique du peintre Ferdinand du Puigaudeau. Instruite à la maison par ses parents, dans le manoir de Kervaudu, elle part ensuite à la Sorbonne pour suivre des cours d’océanographie, dans l’espoir d’intégrer le laboratoire marin de Carthage. Elle devient finalement dessinatrice pour le Collège de France, puis styliste pour Jeanne Lanvin et journaliste pour L’Intransigeant. En 1928, elle parvient à se faire embaucher comme matelot et part pêcher la crevette pendant trois mois.
L’année suivante, elle est l’une des premières femmes à embarquer sur un thonier breton, au départ de Concarneau. Refusée pour une expédition au Groenland menée par le commandant Charcot au prétexte qu’elle est une femme, elle embarque en 1933 pour la Mauritanie avec sa compagne Marion Sénones, peintre et dessinatrice. De cette expédition et ces rencontres, elle produit l’ouvrage Pieds nus à travers la Mauritanie, illustré par Marion Sénones, Grand Prix de l’Académie française en 1936. En tout, elle effectuera quatre voyages en Mauritanie, entre 1936 et 1960, restant environ un an et demi à chaque fois.
En parallèle de ces voyages, elle assure à partir de 1940 des missions de recherche en Préhistoire et ethnographie pour des ministères et des sociétés savantes, puis elle s’installe définitivement à Rabat en 1961. Elle y réalise des émissions culturelles pour la radio puis devient documentaliste au ministère de l’Information et prend finalement la tête du bureau de la Préhistoire au musée archéologique de Rabat entre 1970 et 1977.
Au cours de sa vie, Odette du Puigaudeau a ainsi parcouru plus de 15 000 kilomètres dans le désert du Sahara, permettant de récolter une masse considérable de documents et de témoignages. Elle est aussi l’autrice de huit ouvrages, de nombreux articles scientifiques et d’un traité sur le peuple maure. Elle décède en 1991 à Rabat. Ses archives sont conservées à la Bibliothèque nationale.
Brigitte Chevet
Brigitte Chevet
Brigitte Chevet est une réalisatrice française, installée à Rennes. Après une formation en langues puis en journalisme, elle quitte le reportage d'actualité pour se tourner vers le magazine télévisé, puis le documentaire. Enquêtes écologiques avec Mourir d’amiante en 2005 puis Brennilis, la centrale qui ne voulait pas s’éteindre, films en immersion avec À vous de juger et Les Rumeurs de Babel ou histoire des femmes avec Jupe ou pantalon ? ou Odette du Puigaudeau, elle aime varier à la fois les sujets et les genres documentaires, histoire de mourir moins bête. En parallèle, elle intervient dans des formations d’audiovisuel à l’université et au lycée.
À la découverte du Sahara
À la découverte du Sahara
LOCUS SOLUS >>> Un ouvrage sur Odette du Puigaudeau et la Bretagne est à découvrir aux éditions Locus Solus.
RFI >>> Les autrices Marine Sanclemente et Catherine Faye dressent le portrait du dos amoureux et inédit d’Odette du Puigaudeau et Marion Sénones.
GÉO >>> Pour écrire leur livre L’Année des deux dames, retraçant l’histoire d’Odette du Puigaudeau et Marion Sénones, les autrices Marine Sanclemente et Catherine Faye se sont envolées vers la Mauritanie, afin de reproduire le périple de leurs héroïnes, plus de 75 ans plus tard.
9 juin 2024 14:48 - SAMBET
très inspirantes ces dames ! merci
7 juin 2024 17:59 - Guichoux
A l’heure d’une Europe marchande et insipide comment ne pas être sensible à cette histoire des cultures si diverses et si riches! J’ai vu disparaître la culture de mes parents et grands-parents finistériens , honteuse aujourd’hui d’avoir de par ma génération, eu honte de ma langue et de toutes ces traditions qui cimentaient notre humanité.
Rien de tout cela n’aura atteint mes enfants qui n’ont que le spectacle d’un folklorisme qui sent la mort. J’ai rencontré les bédouins en Égypte et retrouvé le bonheur de l’accueil, du verre de thé, de l’amour qui se passe de mots..tout ce que la modernité efface faisant ainsi de nous les vrais sauvages.
Merci pour ce talentueux voyage
14 mai 2024 09:40 - Michelle Morin
Beau portrait d'une femme d'exception. Belle découverte du désert mauritanien.
22 juillet 2023 15:58 - Hellouvry
Ces histoires de femmes Bretonnes sont très interressantes pour moi
18 juillet 2023 04:07 - Champeaux Geneviève
Très intéressant reportage sur Odette du Puigaudeau et Marion Sénones, je voudrais acheter ses livres
16 juillet 2023 13:52 - Rougeau Zainal Françoise
mon père a été méhariste chef du goum de Boutilimit où il a rencontré ma mère qui y était institutrice. Ils sont rentrés en France pour ma naissance . Toute ma vie j'ai été bercée par les histoires du sahara que mes parents adoraient . Mon père parlait le Mauritanien et quelques dialectes sans accent. j'ai encore ses Tassoufras . Mes parents avaient des livres de cette dame dont pieds nus à travers la Mauritanie que j'ai relu il n'y a pas l'ongtemps mais parents l'ont annoté et fait relier en cuir .
Mon père a écrit un récapitulatif de la végétation saharienne que Theodore Monnot nous a demandé de lui transmettre pour le muséum d'histoire naturelle
Ce film me retrempe dans mes jeunes années où mon père nous racontait le désert et la Mauritanie . Papa quand il revenait du désert buvait l'eau en écaertant les crottes de chameau. I était adjudant et je pense qu'il aurait bien accueillit ces femmes au goum