Surréalisme noir
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Prouesse stylistique, écriture débridée, Au Cœur des Ombres étonne par son parti-pris formel, qui s’adresse de manière inhabituelle à notre imaginaire.
Les ombres ont-elles seulement un cœur ? Peut-on impunément s’emparer du cœur d’autrui ? Le film nous questionne avant tout par des métaphores visuelles, dans une atmosphère surréaliste qui ouvre un champ plastique dont les réalisatrices, Alice Guimarães et Mónica Santos, s'emparent avec jubilation.Au Cœur des Ombres est aussi un hommage au Film Noir, un genre qu'elles réinvestissent avec un point de vue féministe, qui contribue à la singularité et à la force de leur film.
AU CŒUR DES OMBRES
d'Alice Guimarães et Mónica Santos (2018 – 14’)
Natalia, cloîtrée dans un quotidien fastidieux, part à la recherche d'un cœur volé. Dans un monde où les cœurs peuvent être déposés à la banque, elle va devoir choisir : donner son cœur ou le garder pour elle.
Le film est nommé pour les César 2019, catégorie Meilleur court métrage, il vient de recevoir le prix SAE Quantm au festival Flickerfest de Syndney qui récompense la meilleure utilisation de technologies numériques dans un court métrage.
Un film produit par >>> Animais (Porto), Vivement Lundi ! (Rennes) et Um Segundo Filmes (Porto)
Déconstruire des stéréotypes
par Alice Guimarães et Mónica Santos
Au Cœur des Ombres est un film noir teinté de surréalisme situé dans les années 1940. Il utilise les stéréotypes cinématographiques pour les déconstruire de manière originale et provocante.
Le surréalisme se manifeste dans la scénographie, les personnages et l’animation : les valises coffres-forts dans lesquelles sont rangés les cœurs, un lit qui engloutit les personnages, les accessoires qui bougent par eux-mêmes, des hommes sans tête, des têtes coincées dans des cages, des ceintures qui prennent l’initiative d’embrasser un corps...
À travers l’usage de la pixilation et du stop-motion, les images du film peuvent exprimer des métaphores dans une narration plus flexible. L’usage d’images réelles, renforce l’aspect humain des personnages dont les émotions et le langage corporel sont visibles.
L’usage du stop motion a permis de jouer avec les échelles et de remettre en question les conventions narratives, nourrissant le caractère onirique et surréaliste du film.
Le côté film noir est affirmé dans l’usage du noir et blanc, des contrastes dans la lumière, dans l’usage des ombres, qui accentuent la tension dramatique.
Pour renverser les stéréotypes, l'archétype de la femme fatale a été converti en un homme fatal féminin. Le film adopte le point de vue de la femme, qui joue également le rôle de narrateur de l'histoire en voix off, rompant ainsi avec la prédominance du discours masculin dans ce genre cinématographique.
Les protagonistes apparaissent principalement dans des lieux urbains, dont le mystère est exacerbé par l'ambiance nocturne et les jeux d'ombres. L'atmosphère est instable et le danger omniprésent. La lumière, principalement en clair-obscur, reflète cette atmosphère de suspens et d'inquiétude. Les décors sont en style Art déco, avec la combinaison de formes géométriques associée à l'utilisation du noir et blanc, correspondent bien à l'esthétique du film noir.
Pixilation et stop-motion
par Fabrice Dugast
le réalisateur de la série Uburama, a été le producteur exécutif de Au Cœur des Ombres pour Vivement lundi ! Il raconte.
Au Cœur des Ombres est une coproduction franco-portugaise portée par Vivement Lundi ! (Rennes), Animais (Porto) et Um Segundo Filmes (Porto). Le tournage s’est déroulé à Porto, en décors réels et en studio, et l’intégralité de la postproduction s’est faite à Rennes : 3D, effets spéciaux, étalonnage, bruitage et mixage.
Il s’agit d’un film qui mêle pixilation et animation stop-motion. Cette technique, déjà utilisée par les réalisatrice pour ler premier film Amelia & Duarte, permet des interactions magiques et poétiques entre les acteurs et les objets qui les entourent et se prêtait donc parfaitement à cet hommage surréaliste au Film Noir.
Ainsi, plusieurs effets spéciaux ont pu être obtenus dès le tournage à Porto, comme le tiroir qui surgit du buste de l’héroïne au début du film, ou l’incroyable scène d’amour dans la chambre d’hôtel, sur un lit judicieusement truqué par les décorateurs.
Mais la plus grande partie des effets spéciaux s’est faite dans un deuxième temps à Rennes, au sein du studio Personne n’est parfait !.
L’enjeu était de s’inscrire dans l’esthétique art déco surréaliste impulsée par les réalisatrices à partir d’un matériau photo-réaliste, qui nécessitait donc des effets photo-réalistes.
Il y avait par exemple des décors à créer, souvent en 3D comme le premier plan du film, celui d’une ville imaginée à partir d’une photo de la gare de Porto sur laquelle se lève une aube étrange, mais qui épouse les volumes des immeubles.
Des éléments de texture qui se prêtent mal à la discontinuité du travail en pixilation comme les vibrations lumineuses, la pluie ou les nappes de fumée dans le bar, ont été rajoutés en postproduction à partir d’éléments de tournage et de synthèse.
Le principal défi était la création et l’intégration des Ombres.
Selon les scènes, plusieurs techniques différentes ont été utilisées : la plupart du temps nous avons utilisé des éléments de tournage sur fond vert qui nous permettaient d’isoler le jeu des « acteurs-ombres » et de les projeter sur des modélisations en 3D des décors pour reproduire leurs déformations.
Mais ce rendu 3D étant parfois trop réaliste, les ombres ont été également triturées « à la main » en 2D, pour les rendre plus étranges.
Enfin, le « diable étant dans les détails », le plus grand soin a été apporté aux retouches du tournage, qui notamment sur les scènes d’extérieurs comportaient souvent des anomalies.
Car si les acteurs consentent à se transformer en marionnettes pour la pixilation, les oiseaux, les feuilles d’arbre ou les passants s’en désintéressent totalement…
MÓNICA SANTOS
Mónica Santos a étudié au Royal College of Art, Communication Art & Design à Londres grâce à une bourse d’étude de la Calouste Gulbenkian Foundation.
C’est une artiste polyvalente dans le monde des arts visuels : réalisation, illustration. Elle a travaillé avec de nombreuses figures importantes du cinéma portugais (Manoel de Oliveira, José Fonseca e Costa), et dans divers domaines (publicité, documentaire, fiction télévisuelle...).
Récemment elle s’est lancée avec le film Amélia & Duarte dans la fusion entre animation et images réelles, utilisant notamment des techniques de stop motion. En 2015 et 2016, ce court-métrage, co-réalisé avec Alice Guimarães, a été le court-métrage portugais le plus primé, au Portugal comme à l’étranger. Il a même été sélectionné pour la tournée des Académies du Cinéma Mondial (Les Nuits en Or) représentant le cinéma portugais.
ALICE GUIMARÃES
En 2003, Alice Eça Guimarães sort de l’école d’Arts de l’université catholique Portugaise, spécialisée dans les arts digitaux, département Son et Image. Elle a depuis travaillé avec des techniques très diverses tant pour la publicité que pour le film animé.
Sa première réalisation Amelia & Duarte, co-réalisé par Mónica Santos, a gagné le prix du meilleur court-métrage animé portugais en 2015.
Une merveille de mise en scène
ACADÉMIE DES ARTS ET TECHNIQUES DU CINÉMA >>> Au coeur des ombres est nommé pour le César 2019 du Meilleur Court Métrage d'Animation. Entretien avec A. Guimarães, M. Santos, les réalisatrices.
LA CROIX, Blog film animation >>> Tous les codes du film noir sont déjà là, dans cette belle séquence d’ouverture qui évoque Assurance sur la mort de Billy Wilder, ou Psychose d’Alfred Hitchcock : décor urbain, voix off qui évoque celle du destin qui va frapper les personnages, jeu sur les ombres… La suite est à l’avenant. Une romance tourmentée, un sombre inconnu, une femme innocente...
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