Les migrants avec nous
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La guerre du Vietnam, avant celle de Syrie, a précipité en mer et sur les routes, des centaines de milliers de personnes fuyant les violences, la famine... Dans la France de la fin des années 70, les intellectuels, artistes et humanitaires interpellent le Président de la République, pour qu'ils puissent trouver refuge chez nous. Plus de 120 000 migrants vietnamiens et laotiens seront ainsi accueillis.
Au moment où nous constatons que cette forme de générosité n'est politiquement plus envisageable, la démarche de Laëtitia Gaudin-Le Puil tombe à pic. Gamine, elle a côtoyé les enfants de réfugiés hmongs venus s'installer dans son village du Centre-Bretagne. Ils ont représenté jusqu'à 25% des effectifs de sa petite école ! Revenir, 35 ans plus tard, sur cette expérience pas évidente d'intégration réussie est rassérénant, car la démonstration est faite dans Bienvenue Mister Chang que les migrants ne sont pas les seuls bénéficiaires d'une politique d’accueil.
BIENVENUE MISTER CHANG
BIENVENUE MISTER CHANG
de Laëtitia Gaudin-Le Puil et Anne Jochum (2017)
Le 26 février 1982, le village de Lanvénégen accueille 21 réfugiés laotiens et hmongs sous la bruine. Ils seront bientôt le double. Ces familles ont fui le Laos, trouvé refuge en Thaïlande, ont survécu aux Viêts et aux épidémies. Trente-cinq ans plus tard, Laëtitia Gaudin-Le Puil retrouve sa copine d’enfance Maryse Chang. Ensemble, elles remontent le temps, bousculent leurs mémoires et celles de Monsieur et Madame Chang.
>>> un film produit par Tita Productions
Quelle réalité derrière les souvenirs ?
Quelle réalité derrière les souvenirs ?
par Laëtitia Gaudin-Le Puil
Gamine, j’étais à l’école publique de Lanvénégen, entre Carhaix et Lorient. Mes camarades de classe avaient pour la plupart des patronymes bretons, mais aussi asiatiques : Chang, Vu, Siong, Phommavong. Yeng Siong, qui avait mon âge, portait d’étranges bijoux argentés aux oreilles, en forme de petits cônes. Je l’enviais ! Le soir, au portail, une grand-mère attendait, coiffée d’un surprenant turban de couleur.
Elle s’adressait à ses petits-enfants dans une langue inconnue.
En classe, dans la cour, lors des sorties scolaires, l’égalité de traitement était totale. Les enseignants n’ont jamais formulé la moindre allusion à une prétendue différence. Enfin si. Pour nous signifier que nous, Bretons, dessinions avec une queue de vache quand nos voisins laotiens brillaient pour les arts plastiques. On était égaux pour tout, sauf pour ça. Ils étaient au-dessus du lot ! Les instituteurs de l’école de mon patelin étaient de fervents défenseurs de la laïcité. L'intégration, pas l'assimilation. Ils nous enseignaient des valeurs en dansant, en chantant, en récitant. La Liberté, l’Égalité, la Fraternité, ça avait du sens.
En 1989, j’avais 7 ans. Maryse et son frère Li-Vong (Jean-Luc) en avaient 9. Pour le bicentenaire de la Révolution française, j'ai le souvenir d'un exposé sur des grandes feuilles de Canson gros grain noircies au marqueur. On a mesuré le sérieux de cette affaire. 1789, c’était plus important que la découverte des haches préhistoriques dans le champ retourné au tracteur John Deer de mon grand-père. En binôme, on travaillait autour des grands personnages qui avaient permis de faire de la France le pays des droits de l’homme.
En mars 2015, de retour de mes reportages en Ukraine, en Irak, à Calais, auprès de déplacés et de réfugiés, je me suis souvenue de ces années heureuses auprès de mes camarades de classe. Avaient-ils été heureux ? Avaient-ils souffert ? J’ai appelé Maryse Chang, une ancienne camarade de classe, fille de réfugiés. Puis mon ancien instituteur Monsieur Billon. Je les ai tous rencontrés. L’accueil des réfugiés s’était bien passé, dans l’ensemble. L’intégration aussi. Mais j’ai compris que la venue des Laotiens avait ranimé la guerre des écoles. Je me suis aperçue que pour les descendants de ces migrants, vivre avec cette double culture n’avait pas toujours été simple. Parler de leurs origines réveillait une mémoire enfouie et le désir de se réapproprier leur histoire. L’histoire était riche, passionnante et encore très présente.
Écrire un article n’allait pas suffire. J’ai eu besoin des images et du bruit des cloches de Lanvénégen, d’arpenter les rues du village pour retrouver les personnages et les lieux de mon enfance. Pour en avoir le cœur net. À une époque où la question des migrants est si prégnante : quels ont été les tenants et aboutissants de cette tentative d’intégration ? Qu’en reste-t-il dans les corps et les esprits 35 ans après ? J’ai alors contacté Anne Jochum, réalisatrice dont j’apprécie le travail. Dix ans plus tôt, nous avions travaillé ensemble sur un film que j'ai encore plaisir à regarder, pour son humanité. Une humanité qui est au cœur du projet.
par Anne Jochum
La première fois que Laëtitia m'a appelée pour me parler des Hmongs de Lanvénégen, j'ai été saisie par la richesse de cette histoire. Tourmentée par les flux de migrations et le positionnement de l'Europe dans l'accueil des migrants, l'histoire de ce petit village de Centre Bretagne m'offrait l'opportunité de traiter cette question de l'accueil des réfugiés, sans être dans l’émotion de l’actualité.
L'histoire s'est déroulée dans les années 80, dans un contexte économique et social autre.
Mais l'exil et l'accueil restent des questions universelles qui impliquent une prise de conscience, un engagement, et interroge les solidarités : internationale, nationale, régionale mais aussi individuelle. C’est toujours l’addition de volontés et de convictions qui permet à un pays, une région, ici un village, de s'engager dans un mécanisme de solidarité.
Laëtitia a grandi à Lanvénégen, cela a bien sûr été déterminant. Les Laotiens du village avaient la réputation d'être très discrets et pudiques, nous nous étions préparées à ce que cela demande beaucoup de temps, pour recueillir leurs témoignages. Je fus d'abord décontenancée de découvrir que les témoignages allaient tous dans le sens d'un accueil positif des Laotiens (très peu savent qu'il s'agit de Hmongs). Il n'y a apparemment pas eu de rejet, de racisme.
Cette histoire de migration et d'intégration renvoie finalement à la complexité de l’être humain : ses dualités, ses peurs mais également sa générosité. On perçoit le mécanisme de la solidarité : l'annonce, sur les écrans de télé, de la persécution d'un peuple qui entraîne une succession de décisions, de positions et d'interrogations. Il révèle des valeurs qui animent les uns et les autres ; l'effet papillon qui crée le mouvement a des milliers de kilomètres.
C'est cette histoire extra-ordinaire que nous avons souhaité raconter. Une histoire remplie de vie, d'exil, d'accueil, d'engagement politique, de confrontations idéologiques et culturelles, qui part d'un petit village en Bretagne pour questionner la relation de notre société à l’Autre.
ATELIER DOCUMENTAIRE
ATELIER DOCUMENTAIRE
Laëtitia Gaudin-Le Puil, coréalisatrice avec Anne Jochum de Bienvenue Mister Chang, revient sur la genèse et le processus de fabrication du film.
Hier pour aujourd'hui
Hier pour aujourd'hui
par Laurence Ansquer, productrice du film
J'ai produit il y a peu un long métrage qui raconte l'expérience d'un petit village d'Italie, Riace, qui depuis 20 ans accueille les migrants pour se repeupler. Pari réussi puisque l'école, l'épicerie ont ré-ouvert et le village après avoir été déserté pendant 80 ans revit enfin. Alors quand Laëtitia m'a parlé de son histoire, il y a eu comme un écho. Il me semble que c'est notre rôle d'être les passeurs de ces histoires positives qui sans être simplistes peuvent contre-balancer les réactions de peur. Car on ne peut pas sous-estimer la peur, elle est réelle, rampante, elle ronge notre capacité à vivre ensemble.
Depuis 5 ans la France a accueilli 10 000 Syriens alors que dans les années 80 elle recueillait 122 000 boat people, comparaison n'est pas raison... mais les chiffres questionnent. Difficile de fermer les yeux sur les questions d'immigration dans la France d'aujourd'hui. Même si elles existent bel et bien depuis toujours, il semblerait qu'elles soient insurmontables par les temps qui courent.
En 1982, Lanvénegen a fait partie de ces villages qui ont accueilli sans trop se poser de question, ils ont logé et accompagné ces 43 personnes venues de loin. Les bancs de l'école se sont remplis et puis la vie a continué avec juste un peu plus de copains. 34 ans plus tard Laëtitia a proposé à son amie d'enfance de comprendre ce qu'il y avait derrière ses jolis souvenirs de classe...
Maryse et elle ont opposé à la naïveté de leur souvenirs d’enfants, la réalité, les douleurs cachées de l'exil, les non-dits et les pressions qui ont existé à l'époque, essayé de confronter les points de vue des gens du village et des Hmongs.
LAËTITIA GAUDIN-LE PUIL
LAËTITIA GAUDIN-LE PUIL
Adolescente, sous l’édredon en plumes de sa chambre centre-bretonne, elle lit les journalistes Anna Politkovskaïa et Annick Cojean, rêve de grands reportages et de belles rencontres. Elle fait cependant une école de com’… pas l'idée du siècle mais cette expérience parisienne lui ouvre des portes.
Pendant quelques années, elle travaille dans des collectivités bretonnes et rédige des billets pour Dilhad Sul, un blog poil-à-gratter, créé par une poignée de saltimbanques.
Aujourd’hui, elle vit et écrit à Plouguerneau, dans la pointe bretonne.
En Bretagne, au Rwanda, en Ukraine, au Maroc, au Kurdistan irakien ou au sein de la communauté hmong de Cacao, elle favorise le travail au long cours, au plus près des populations. Ses écrits racontent l’exil, l’engagement, la résistance, les identités. Bienvenue Mister Chang est son premier documentaire, co-réalisé avec Anne Jochum.
ANNE JOCHUM
ANNE JOCHUM
Après une maîtrise de cinéma à Paris VIII, Anne Jochum travaille en production de documentaires animaliers et découvertes.
Un séjour de quelques années à Montréal la forment à l'assistanat de réalisation de films pour une ONG. De retour en France, elle réalise des films pour des associations, des collectivités, autour de thèmes tels que le développement durable, la construction psychique de l'enfant...
Référente de l'association Préparons demain pour qui elle réalise un film par an sur l'enfance, l'adolescence, l'humain plus généralement, elle s'engage sur la voie du documentaire d'auteur pour la télévision, dont Bienvenue Mister Chang qu'elle co-réalise avec Laëtitia Gaudin Le Puil. Son dernier documentaire On a beau tuer les hirondelles (France 3) raconte l'engagement de lycéens pour un jeune migrant afghan.
Une identité flouée
Une identité flouée
LE CLUB DE LA PRESSE >>> Trois questions à Laëtitia Gaudin, auteure de Bienvenue Mister Chang. Il n’y a volontairement aucune parole d’expert ! On raconte une histoire singulière avec 35 ans de recul, celle d’un village qui s’est mobilisé pour permettre l’intégration de ces familles.
LE TÉLÉGRAMME >>> Elle tenait là son sujet : celui d’une identité flouée à force d’être niée, violentée. Très vite, elle a rassemblé des documents, des photos, des films et convaincu les protagonistes de l’époque de témoigner. C’était plus facile pour moi. J’étais la fille du coin. On m’a fait confiance.
OUFIPO >>> Des histoires, il y en a à raconter partout, que ce soit à la foire de Carhaix ou de l’autre côté du globe, aime-t-elle préciser. Entretien avec Laëtitia Gaudin-Le Puil
RADIOBREIZH >>> Entretien avec Laëtitia Gaudin sur la réalisation de Bienvenu Mister Chang.
BOX SONS >>> Ils sont moins connus, pourtant leur histoire n'est pas sans rappeler celle des Harkis algériens. Eux, ce sont les Hmongs, un peuple des montagnes installé à la frontière avec le Laos, le Vietnam et la Chine depuis des millénaires. Une ethnie dont de nombreux membres ont combattu avec les Français pendant la guerre d'Indochine, puis avec les Américains pendant la guerre du Vietnam. À partir de 1975, après la chute de Saigon, future Hô-Chi-Minh-Ville, des milliers de Hmongs sont forcés de fuir. Pris en charge par les autorités françaises, ils traversent du jour au lendemain la moitié du globe et se retrouvent en métropole, voire pour plusieurs centaines en Guyane française. Ils sont plusieurs milliers à avoir vécu cet incroyable bouleversement. Leurs témoignages retracent un morceau de l'histoire récente de notre pays. Martin Bodréro est allé recueillir leurs voix, pour ne pas les oublier.
18 décembre 2019 22:19 - delphine herriberry
très beau documentaire enrichissant
12 février 2019 13:29 - Lathelier Micheline
Magnifique documentaire dont "j'émerge avec peine" tant il est riche d'Humanité, de rappels historiques, de questionnements des plus jeunes : "Qui je suis ?" "D'où suis-je ?".....et tout cela dans un petit bourg de Bretagne….C'est surprenant, interpellant, beau et surtout encourageant à l'heure où les Personnes migrantes ont tant de mal à être accueillies dignement et avec confiance….Merci à Kub de diffuser de telles pépites….