L'usure du quotidien
CE SERA BIEN
CE SERA BIEN
de Thomas Riera (52' - 2017)
Thomas aime Kevin. Kevin aime Thomas. Mais vivre sous le même toit, ça n’est pas si facile. Après une première expérience malheureuse, ils ont opté pour deux appartements séparés. Insatisfait, Thomas part à la rencontre de personnes qui l’aideront à mieux comprendre comment fonctionne le couple : ses parents bien sûr, mais aussi son psy, un spécialiste d’Adam et Ève, sa fameuse Tatie Carla... Les deux tourtereaux parviendront-ils à s’installer dans la jolie petite maison aux volets bleus dont ils rêvent depuis toujours ?
Palmarès
Plume d’Or (Premier prix) au Festival L’ici et l’Ailleurs 2017 à Saint-Martin-en-Bresse Sélection à Transposition 2017
Festival de Cinéma de Douarnenez 2017
>>> un film produit par Gilles Padovani, .Mille et Une. Films
Manuel de vie à deux
Manuel de vie à deux
par Thomas Riera
Maintenant que j’y repense, tout a commencé le jour où je l’ai vu depuis mon ascenseur, à travers une petite vitre qui surplombait l’immense hall d’accueil et les passerelles métalliques menant au parterre et aux six balcons de la salle de l’opéra de Lyon. Tomber amoureux à l’opéra. Ce n’est pas rien !
Cette après-midi-là, j’étais liftier. Kevin, lui, était placier et s’occupait des spectateurs du 3e balcon pair. Son premier jour de travail. Avec le recul, je me dis qu’il en aura fallu du hasard pour l’apercevoir à travers la vue panoramique que ma fonction permettait. Allant et venant sans cesse. De haut en bas. De bas en haut. De quoi vous soulever un cœur. À partir du moment où nos regards se sont croisés, je me suis dit que ce bel homme était pour moi. C’était plus fort que moi, c’est con mais il fallait que je le rencontre, que je lui parle, que je le sente, que je le touche. C’était comme ça. Mes histoires d’avant ne valaient plus rien. Je commençais ma vie ce jour-là.
Quelques jours plus tard je compris que Kevin n’était pas resté froid à mes regards insistants et répétés (de haut en bas, de bas en haut). Un énième soir de représentation, il s’approcha de l’ascenseur et me glissa un mot qui reprenait les paroles de l’opéra joué ce jour-là. Je crains de lui parler la nuit... J’écoute trop tout ce qu’il dit... Il me dit, je vous aime, et je sens malgré moi, je sens mon cœur qui bat, qui bat... Je ne sais pas pourquoi...
Oui, ce fut un grand spectacle que cet opéra-là. Nous en étions alors certains : nous étions romantiques et passionnés, et nous le resterions. Nous, ce serait différent des autres couples. Évidemment.
Après quelques années passées dans deux appartements distincts, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, nous allions emménager ensemble. Pour cela nous quittions Lyon. Qu’y avait-il de plus excitant que de nous installer à Nantes, ville qu’aucun de nous ne connaissait, et de commencer ainsi notre vie à deux dans la cité du cinéaste Jacques Demy ? Celui-là même qui nous faisait verser quelques larmes devant ses demoiselles ou sa belle Lola. Nous avions trouvé un appartement en location, idéal petit nid d’amour. Lorsque nous sommes montés en voiture pour la direction de Nantes, il fallait voir nos mamans respectives courir après ma 4L en faisant de grands signes d’adieu. Leurs fils bien-aimés s’installaient en ménage. Pour l’occasion, elles nous avaient offert un canapé deux places (à quoi nous servirait une place de plus ?). Arrimé sur le toit tant bien que mal, le voyage allait être long, mais il promettait d’être merveilleux. Vivre à deux.
Et puis ça a commencé. Ma jambe folle. Ça n’a l’air de rien, mais une jambe qui ne cesse de se lever d’un coup à la verticale en pleine nuit, sans qu’on puisse, ni la contrôler, ni même s’en rendre compte, il faut bien avouer que c’est rudement gênant pour l’autre.
L’autre qui justement a un sommeil plutôt léger. Ainsi, tous les matins, je me réveillais seul dans un lit froid. Dans le salon, Kevin dormait emmitouflé dans un vieux duvet de camping, piteusement étendu à travers le canapé deux places de nos mamans (la voilà donc la nécessité d’une place en plus !). Malgré les tisanes, les produits biologiques, les graines de tout genre, le médecin traitant, l’homéopathie, l’acupuncture, l’ostéopathe et le podologue, les nuits séparées à cause de cette jambe qui n’en faisait qu’à sa tête commençaient sérieusement à nous user.
Et tout s’enchaîna. Nous allions glisser peu à peu vers l’enfer du quotidien à deux. Loin de la vie d’amour et d’eau fraîche. Adieu Demy. La fatigue et les irritations dues au manque de sommeil prenaient le pas. Et les conflits allaient s’immiscer dans notre vie jusqu’à en occuper la majeure partie. Les disputes parce que l’un a oublié d’aller chercher le panier de légumes (c’est la troisième fois depuis que l’on est inscrit dans cette fichue Amap). Les chaussettes sur le sol. Toujours le même qui fait les courses et la vaisselle. L’impossibilité de travailler dans le même appartement, l’un a besoin de calme, l’autre d’ambiances musicales. Les amis de l’un que l’autre n’aime toujours pas. Les belles-mères gentilles mais encombrantes. L’un qui a un boulot. L’autre qui n’en trouve pas. Les interdits bancaires pour l’un, accusé alors de ne pas faire assez attention. Et la vie sexuelle en montagnes russes.
Il y avait bien des réconciliations, mais que d’énergie gâchée avant de se retrouver ? Je commençais à m'interroger. Que nous était-il donc arrivé ? Nous avions oublié nos folles envies d’être, toujours et par-dessus tout, aimés et aimants chaque jour. Il fallait bien se rendre à l’évidence, nous avions loupé quelque chose.
Alors un jour de mai, c’est pourtant joli et prometteur le mois de mai, Kevin m’a dit : Thomas, si nous continuons à vivre ensemble, je crois que je ne pourrai plus t'aimer. Passés l’émoi et l’angoisse de cette soudaine révélation (j'interprétais alors cela comme de la bienveillance et donc une forme déguisée pour me dire que notre relation allait finir), je ne pouvais que constater qu’il avait terriblement raison.
Nous n’arrivions pas à vivre pleinement heureux ensemble. Nous n’avions pas trouvé notre propre manuel de vie à deux.
THOMAS RIERA
THOMAS RIERA
Arrivé à Nantes depuis quelques temps et vivant du côté de la presqu'île de Guérande, Thomas Riera avait commencé à s'amuser à faire de la vidéo à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Lyon. Il a découvert le documentaire à Lyon, Utrecht (Pays Bas), Strasbourg puis Rennes. Aimant explorer la frontière entre réel et fiction, il imagine des personnages décalés à partir de récits aussi légers que profonds, avec un goût certain pour la fantaisie et l'humour.
En 2012, il termine mon premier documentaire Pêche mon petit poney suite à la résidence d’écriture d’Ardèche Images à Lussas.
Plus récemment il a écrit son premier court métrage de fiction, accompagné par la scénariste Blandine Jet. Il travaille aussi sur un projet de bande dessinée.
Plus encore sur sa fiche artiste !
Burn out amoureux
Burn out amoureux
JET FM, Les voyeuses >>> Il était une fois le grand amour... Pour la première fois, le réalisateur vient parler de son film à peine achevé. Produit et tourné entre la Bretagne et la région nantaise, le film est une enquête drôle et créative sur l’amour et la cohabitation.
TÊTU >>> Pour prendre le contre-pied de sa vie à deux ratée, le Nantais s’embarque dans un film concept, à mi-chemin entre la discussion, la pièce de théâtre et le récit, dont il a bien l’habitude.
FRANCE CULTURE >>> Le couple est certes encore la norme, mais une norme qui parait s’essouffler. Ainsi, selon une enquête de l’INSEE publiée fin juin, et basée sur le recensement de 2009, les personnes vivant seules sont de plus en plus nombreuses : 1,7 million de plus en 10 ans. Est-ce à dire que l’idée même de vivre en couple devient anachronique ? Après tout, ce qui nous parait encore naturel aujourd’hui n’est peut-être rien d’autre qu’une construction sociale.
LE TEMPS >>> Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, Françoise Hardy et Jacques Dutronc, Helena Bonham Carter et Tim Burton étaient des couples LAT (Living Apart Together, ensemble mais séparément) à l’avant-garde, quand la norme sociale imposait encore de quitter le foyer familial pour foncer en créer un autre, dans une répétition immuable. Au XXIe siècle, alors que les modèles sont devenus multiples, chacun gère l’amour selon sa propre définition de l’épanouissement personnel.
8 janvier 2023 19:37 - Philippe CHEREL
Je vous remercie pour cette jolie histoire. Sérieuse et légère. Elle m'a beaucoup ému. J'ai vécu 20 ans avec Pascal qui était si merveilleux et tellement agaçant. En couple. Voilà plus de 10 ans qu'il est mort. C'est un manque singulier et absolu même si la vie continue. Séparément. Du coup j'ai pleuré en regardant "Ce sera bien". Parce qu'en fait : c'était bien. J'ai beaucoup ri également. Tout est agréable dans votre film : la lumière, la musique, la chanteuse, la chanson de Kevin, la mise en scène, les décors (l'historienne est dans de beaux draps ! Le poisson rouge du psychanalyste est clairement neurasthénique...), la 4L, les messages et surtout les personnes/personnages. Tous les intervenants m'ont touché. Mais dites surtout à tante Carla que tout le monde rêverait d'avoir une tante Carla.
7 décembre 2019 18:15 - DEMARS
Bonsoir Le film raconte bien la réalité car la plupart des couples divorcent. Ils ne supportent plus la vie avec l'autre
7 décembre 2019 16:09 - Sohié
Très bon documentaire!
7 décembre 2019 12:26 - BOYET
j'ai adore ce document
6 mai 2019 23:46 - Tuerto
Ce sera bien....J'ai adoré ce film un peu documentaire. Un peu télé réalité. Tellement vrai.