Allers-retours
Précieux témoignages que ceux réunis par Pierrick Guinard dans son film Chibanis d’ici. De vieux messieurs respectables qui furent il y a un demi-siècle cette main d’œuvre bon marché venue reconstruire la France. Des Maghrébins envoyés au front par leurs familles pour échapper à la pauvreté, pour prouver qu’ils étaient capables de s’adapter au mode de vie occidental.
Ce défi, les personnages de Chibanis d’ici l’ont relevé en Bretagne, où ils ont souffert du froid et de l’humidité, où ils ont connu la solitude mais parfois aussi la prospérité. Leur propos explorent l’ici et le là-bas, le sentiment d’appartenance qui se dédouble progressivement. Beaucoup finissent par rester en Bretagne, contrairement à Hamed. En 1972, Hamed épouse Armelle, une Costarmocaine, ils auront neuf enfants et créeront une entreprise familiale dans le bâtiment. Armelle se convertit à l’Islam et s'installe au Maroc avec son mari, parce que c'est là qu'elle se sent chez elle...
CHIBANIS D'ICI
de Pierrick Guinard (2011)
Chibanis, c’est ainsi qu’on appelle affectueusement les anciens au Maghreb (en arabe dialectal : Les vieux aux cheveux blancs ). Chibanis d’ici approche ces immigrés marocains de la première heure qui débarquèrent un jour en Bretagne à l’époque des Trente Glorieuses et des grands travaux, souvent analphabètes, toujours démunis. Le pays avait alors besoin de bras.
Un certain nombre d’entre eux sont morts, usés par le travail. D’autres sont retournés au pays. Beaucoup sont restés au terme d’un parcours qui les fit passer de l’exil à l’enracinement dans la société bretonne, sans pour autant renoncer à leur identité, à leurs valeurs et à leur passé. Ils étaient venus chez nous se faisant la promesse de repartir dès que possible, ou au pire de finir leurs jours sur leur terre natale, dans la belle maison qu’ils se feraient construire là-bas durant leur exil, leurs années de sacrifices en France.
Mais le destin en a décidé autrement. Inch Allah ! Pour ne pas perdre leurs droits à la retraite, et parce qu’une grande partie de leur vie se trouve désormais ici, ils ont finalement renoncé à leur vœu de jeunesse, à ce qui avait été, à un moment, le sens de leur existence.
>>> un film produit par Éole Production
Silhouettes familières
par Pierrick Guinard
Que d’obstacles, de difficultés, de sentiments de rejet, d’abandon, ont jalonné ces parcours singuliers ! En quelques décennies, ils sont devenus des silhouettes familières de nos villes, sans que personne ne connaisse vraiment leur histoire. Silencieux, beaucoup déclarent ne pas être en mesure de nous la raconter, comme s'ils en étaient honteux. Ce récit leur paraît sans intérêt puisqu'elle a été entièrement guidée par la nécessité de gagner sa croûte pour survivre.
Les médias ont cependant parlé d’eux - trop souvent à leur goût - pour les stigmatiser, surtout leurs enfants et petits-enfants, revenant sans cesse au thème de l’immigration, focalisant sur les problèmes d’insécurité. Leur vie, ce qu’ils étaient réellement, ce qu’ils vivaient au quotidien, leurs désirs et leurs espérances, leurs soucis, leurs peurs, leurs indignations… tout cela était occulté.
Mon intention dans Chibanis d’ici était de mettre en lumière et de réhabiliter l’histoire de ces retraités venus travailler en France et désirant y vivre jusqu’à la fin de leurs jours. Aussi bien ceux qui ont fondé ici une famille, que ceux qui ont connu toute leur vie la solitude, loin de leur famille. Ayant dû laisser leurs proches au pays, ces derniers y reviennent chaque année, chargés de cadeaux, embringués dans le système de la navette, comme ils l’appellent. Pour les épouses restées au pays, ils parlent de veuvage blanc. Leurs enfants, ils les ont vus grandir sur des photos, et les ont longtemps écoutés grâce aux cassettes audio envoyées par la poste. Aujourd’hui retraités, rien ne semble plus les retenir loin de leur famille, et pourtant, la plupart ont décidé de vivre leurs dernières années en France, malgré l’isolement et parfois une certaine précarité. Car, pour eux, rentrer au Maroc, ce serait perdre partiellement les droits sociaux et la maigre retraite dont ils bénéficient ici ; retourner au pays sans argent, ce serait aussi avouer l’échec d’une vie (eux qui pensaient y revenir au bout de quelques années, fortune faite, habitent parfois le même meublé ou le même appartement qu’à leur arrivée il y a quarante ans). Et puis, rentrer pour vivre quoi ? Ils n’arrivent pas à se faire réadopter par les leurs ! Telle est une des raisons, et non des moindres, de cet impossible retour, moins avouable pour ces hommes à la fierté fragile.
Réhabiliter l’histoire de ces Chibanis d’ici, ce sera aussi montrer leur progressive et délicate intégration à la société française et bretonne : il y eu tellement d’échecs, tellement de déceptions ! Parfois aussi des réussites : le résultat aujourd’hui est certes loin d’être parfait, mais ces liens à la fois ténus et solides, noués au quotidien avec les Bretons du cru, est à l’évidence l’une de leur fierté.
Pierrick Guinard
Réalisateur depuis le début des années 80, Pierrick Guinard est passé par deux des meilleures écoles de cinéma au monde : l’IDHEC (actuelle Fémis) et le VGIK (Institut national de la cinématographie, Moscou). Son abondante filmographie traite, surtout par les moyens du documentaire, de faits de société, d’histoire, de littérature, et d’ailleurs (l’Afrique et l’Asie). En 2000, il réalise la série Brezhoneg, un siècle de breton (5x52’, 13 Production) sélectionnée et primée dans divers festivals, et en 2009 Tous les hommes ne sont pas des arbres… un 2x52’ sur la question de l’intégration des jeunes dans la société, traduit en 17 langues et diffusé dans les 27 pays de l’Union européenne. En 2018 il publie le roman Le délit D'Awa aux éditions L'Harmattan..
L'éternel exil
FRANCE 24 >>> Webdoc : Chibanis, l’éternel exil des travailleurs maghrébins.
FRANCEINFO >>> Les rides de l’exil : Le photographe montpelliérain Luc Jennepin rend hommage aux chibanis.
LIBÉRATION >>> Mohand Dendoune, visage des chibanis portraitisé par un artiste sur un immeuble de Malakoff, s'en est allé à l'âge de 90 ans.
LE MONDE AFRIQUE >>> À Gennevilliers, d'anciens travailleurs venus du Maghreb dans les années 70 et aujourd'hui retraités, racontent leur quotidien en solitaire et leur rapport à la France.
IMINEO >>> Perdu entre deux rives, les chibanis oubliés, un documentaire de Rachid Oujdi sur les chibanis venus d'Algérie à Marseille.
11 février 2022 22:20 - BOUYAGAYZEN
Bonjour, nos parents ont participés au reportage chibanis d 'ici filmé par Pierrick Guigard en 2011 (on pense mais on est pas sûr de l année) on aimerait leur faire plaisir en leur fournissant ce reportage.
Malheureusement à part un extrait dur internet de 3min on ne trouve pas le reportage en entier.
Merci d avance
Cordialement