Un indien dans la ville
Chris Ames est un poète américain établi en France où il a fondé une famille au tournant du siècle. En 2020, il se retrouve confiné à Rennes, et décide de s'y installer... sous le pont Laënnec, au bord de la Vilaine. C’est là que le réalisateur Erwan Le Guillermic le rencontre, dans un camp de fortune à l’ombre d’une arche, abrité du vent par une bâche.
Chris Ames, clochard céleste davantage que SDF, vit d’abord pour écrire et aussi pour être présent auprès de ses enfants devenus grands. Il assume son choix de ne pas faire comme tout le monde, bien qu’il sente qu'avec le temps il va falloir trouver un abri plus convenable, voire une amoureuse qui prendrait soin de lui, et lui d’elle.
Alors que Jean-Marie Goater, éditeur et élu écolo de la ville, publie l’ouvrage de Chris, Sous le pont Laënnec, Le Guillermic et Morvan le filment dans son quotidien, au contact du monde de la rue auquel il appartient mais qu’il observe cependant de l’extérieur. Mise en abîme de regards qui permettent d’explorer les marges de notre société.
CHRIS, SOUS LE PONT LAËNNEC
CHRIS, SOUS LE PONT LAËNNEC
d’ E. Le Guillermic et D. Morvan (2022 - 52’)
Dormir dans une tente, à l'abri d'un pont, est le quotidien âpre de Chris. À la suite d’un divorce et de la perte de son emploi, cet Américain né dans l'Utah n'a plus de toit. Après quelques années de voyage, il revendique la liberté de ce vagabondage, mais doit aussi se démener pour tenir face à ce mode de vie. Malgré sa précarité, Chris tente de préserver le lien avec ses enfants, et écrit des recueils de poésies qu'il vend dans le métro.
>>> un film produit par Aligal Production
S’affranchir de l’ordre établi
S’affranchir de l’ordre établi
par Erwan Le Guillermic
J'ai rencontré Chris alors que je promenais mon chien. En passant sous un pont enjambant la Vilaine, je remarque un camp de fortune. Une toile de tente, un foyer en briques, un nécessaire de cuisine. Au mur, un haïku, la photo d'une jeune fille, un tigre en peluche, le tout à l'abri de la pluie. Sur une chaise de camping, un colosse aux cheveux longs, fines lunettes rondes, dans la soixantaine. Levant le nez de son livre, il m'adresse un Hi, comment s'appellllle-t-illll ? Je lui réponds que j'ai baptisé mon chien Ringo, il me dit que celui de son enfance s'appelait aussi Ringo : la Beatlemania à l'époque. La coïncidence semble le plonger dans des souvenirs lointains, puis il me lance un grand sourire séducteur. J’apprends qu'il s'appelle Chris, a grandi à Salt Lake City, et vit sous ce pont depuis quelques mois. Ce destin me semble si étonnant que je décide de repasser le voir. Au fil du temps, une relation s'installe entre nous, et à chacune de nos rencontres j'en apprends un peu plus sur son histoire. Chris m'explique sa situation issue d’un enchaînement de circonstances. Après son divorce avec Armelle, la perte de son emploi de professeur d'anglais auprès des managers des tours de la Défense à Paris, il décide de tout bazarder et de reprendre la route quittée vingt ans plus tôt. Pas de loyer, mais une vie libre, au grand air, parcourant les grandes étendues de Patagonie, de Russie et du Kirghizistan, revenant une fois ou deux par an voir ses enfants, logeant alors dans une tente aux abords de la ville.
Depuis un an, Chris a décidé de vivre à Rennes pour être proche de son fils, Gabriel, en BTS Tourisme, qui loue une chambre chez une dame âgée à cinq cents mètres du pont de Chris.
Chris a de l'esprit, de l'humour, parle plus ou moins huit langues et boit peu. Il raconte sa vie dehors comme dans Coming of Ages, le recueil de poèmes qu'il a écrit pour ses enfants. En lisant sa prose traduite en français par sa fille, j'ai mieux compris l'histoire de cet homme et sa vision du monde. Sa formation universitaire en histoire, la place des Utah Jazz (l'équipe de basket de Salt Lake City) dans son cœur, son évasion de l'église mormone, sa rencontre avec Armelle en Normandie, la naissance de Juliet un 2 février, celle de Gabriel un 30 avril, ses erreurs de mari, le conflit avec son employeur... Tout cela transformé en métaphores sur le sens de la vie, pensées lumineuses, drôles et parfois plus sombres aussi. J'ai été étonné par la qualité de ses écrits. Mon voisin sous le pont est une plume.
Chris incarne par ailleurs une part du mythe américain : des migrants du Mayflower à la philosophie de Thoreau, la quête de la liberté en construisant sa cabane, à l'écart de la société, l'expérience de la nature face à la folie matérialiste, capitaliste.
Il y a quelque chose de radical dans le choix de vie de Chris. À l'image des ermites d'antan, s'affranchir de l'ordre établi, échapper aux contraintes de la société, explorer un rapport puissant à la vie. Mais ce choix revendiqué m'interroge. Sa vie est-elle aussi simple qu'il le suggère ? Est-ce vraiment un choix ? Quelles sont les limites à sa quête de liberté ? Des questions qui m'ont rapidement donné l'envie de travailler à un portrait de Chris. Je voulais le suivre dans son quotidien, qu'il se livre peu à peu à moi. Mon film est donc le portrait d'un homme, un des SDF de ma ville, sans eau ni électricité, sans chauffage ni sécurité. La vie dans l'humidité de l'hiver breton, s'éclairer à la frontale, repousser les mauvaises rencontres... Une débrouille permanente pour se nourrir, se laver.
Dans ce film, j’explore ce petit monde qui reste invisible pour beaucoup d'entre nous. Autour de chez moi, ils sont une bonne quinzaine à vivre à l'année sous une toile de tente. On les appelle des Sans-abri, une étiquette arrangeante pour notre société car elle place dans une case toute une partie de la population pourtant hétéroclite. Chris et les camarades qui vivent dehors sont des habitants à part entière de mon quartier, avec leur histoire, un passé, un présent et un futur.
Pour donner corps à mon film, un angle de la vie de Chris m’a paru intéressant : sa relation à ses enfants. Quand Chris m'a dit avoir deux enfants, père de famille moi-même, je me suis immédiatement demandé comment ceux-ci pouvaient ressentir le choix de vie paternel ? Et comment, en tant que père, on peut donner confiance et envie à ses enfants lorsque l'on vit sous un pont. Ces questions, Chris les évoque ouvertement. Il me dit que sa fille ne comprend pas bien son choix, qu'elle lui conseille de quitter la rue, et de refaire sa vie. Son fils trouve son mode de vie plutôt cool, même s’il n'aime pas trop rester longtemps car ensuite il pue la fumée du feu de bois... Au-delà de l'anecdote, la question posée ici est fondamentale. Qu'est-ce qu'être un père ?
Il m'a semblé fondamental de rencontrer sa fille Juliet. J'ai pris contact avec elle et je suis allé la voir à Paris. Juliet est une jeune femme directe. Elle m'a parlé sans ambages de ses sentiments contrastés vis-à-vis de son père : J'ai toujours été séduite par le charisme de mon père, son érudition, ses facilités artistiques. Mais mon père nous en a aussi fait voir de toutes les couleurs. Aujourd'hui, son choix de vivre dans la rue, je ne le supporte pas, car il nous l'impose également. Il veut nous faire nous sentir coupables ma mère et moi. Il peut m'envoyer des SMS du type : Je suis seul... j'ai froid... c'est si dur d'être sans vous... J'aime mon père, mais j'aimerais tant qu'il change. Cette rencontre n’a fait que renforcer mon intérêt pour Chris, ces ombres au tableau le rendant plus humain encore, car plus complexe. C'est à ce moment que je me suis souvenu de Surfwise, le documentaire de Doug Pray sur l'histoire de Dorian Paskowitz, médecin diplômé de Stanford, plaquant tout pour prendre la route dans un camping-car et surfer. Au début du film, on se prend à voir dans le personnage un héros de la liberté individuelle, du renoncement aux obligations institutionnelles, une ode à la vie, une utopie réalisée. Puis les neuf enfants qu'il a eu sur la route avec sa seconde femme, qu'il a éduqués en autarcie, se mettent à témoigner. On découvre une autre histoire, plus borderline, l'enfer de la promiscuité à l'adolescence, les regrets de ne pas avoir été scolarisés, des traumatismes qui font que la moitié des enfants ne voient plus leur père. Une histoire ni toute blanche ni toute noire donc, qui m’a inspiré durant toute la réalisation de ce film.
Erwan Le Guillermic et David Morvan
Erwan Le Guillermic et David Morvan
Erwan Le Guillermic et David Morvan sont auteurs réalisateurs. Ils coréalisent des documentaires pour la télévision depuis 2005, avec une prédilection pour les films historiques et culturels : L’Incendie sur l’incendie du parlement de Bretagne, Rock da breizh sur l’esprit rock en Bretagne, Génération Yaouank pour les quinze ans du festival, Rock ‘n’ Rennes sur l’émergence de la scène rock rennaise du début des années 1980, ou encore deux documentaires sur les langues de Bretagne pour le musée de Bretagne. Ils réalisent également régulièrement des sujets pour les magazines Littoral et Thalassa.
Passionné de voyages et de cultures d’ailleurs, Erwan est avant tout curieux de l’autre. Après Sciences Po, il revient vivre à Rennes en 2003 pour y écrire ses films qui questionnent la Bretagne. Son sens de l’écoute en fait un intervieweur à qui on aime se confier. David est quant à lui féru de culture, et notamment de musique. Son esprit critique et sa capacité à remettre en question l’existant en font un réalisateur qui sort des sentiers battus. De plus, il affectionne particulièrement mêler interviews et images d’archives.
Vagabond et poète
Vagabond et poète
LE TÉLÉGRAMME >>> Entretien avec Chris Ames, celui qui a élu domicile sous le Pont Laënnec à Rennes.
OUEST FRANCE >>> Rencontre avec Chris Ames, le routard-poète américain, qui a récemment publié un recueil de ses poèmes aux éditions Goater.
BRUT >>> Interview avec celui qui a décidé d'être un SDF : Chris Ames.
7 novembre 2024 20:40 - Damien
Et si être libre c'était vivre comme Chris?
Ne plus suivre le troupeau,s'eloigner,ne plus être porteur d'eau avec un sceau troué.
Bien sûr que ce doit être difficile....souvent.
Mais ....et si être libre c'était vivre comme Chris ?
Damien
30 octobre 2024 07:10 - Marion
Lorsque je vois et écoute ton histoire, je suis touché. Un choix ,une recherche spirituelle,implanté là ,à étudier le monde.
Le mot Fraternité a t il encore un sens?
14 décembre 2023 10:03 - France aline
...well..je viendrais bien te chercher ßous ton pont.. poête aussi ..par hasard posée dans une maison..à Bruxelles.. il y a plein de place . Joie to meet you here. Writing singing enjoying silence and woods..
4 décembre 2023 02:25 - Geir Smith
Message pour Chris:
Bouddhiste comme toi, j'ai étudié le tibétain à l'Universite de Paris Dauphine - INALCO - pendant cinq ans. Serais-tu intéressé par le Kalachakra de l'ecole Ngorpa?