Seul sur ton tandem
Le remède à tout est l'eau salée : la sueur, les larmes ou la mer. Karen Blixen
Que ce soit avec le projet Voyou, en participant aux groupes Elephanz, Pégase ou Rhum for Pauline, ou en remixant par le passé Yelle, Crookers ou Rafale, le Nantais Thibaud Vanhooland démontre depuis dix ans une certaine agilité pour s'inscrire dans des genres musicaux variés.
Son EP inaugural On s'emmène avec toi, sorti fin janvier 2018, présente un univers aussi astucieusement bricolé que mélancolique, à l'image de ce premier extrait, à mi-chemin entre la balade à vélo et la ballade sentimentale.
SEUL SUR TON TANDEM de Voyou
SEUL SUR TON TANDEM de Voyou
un clip réalisé par Vincent Castant (2018 - 4'01)
La sidération provoquée par la rupture
La sidération provoquée par la rupture
1- Grains de sable
Au cinéma, les représentations du bord de mer ou de l'insulaire sont multiples ; dans les clips il est même impossible de quantifier le nombre de chorégraphies plus ou moins lascives, qu'elles se fassent ou non à la lueur de braseros. Plus spécifique, la représentation sur la plage de couples à la dérive (ou en plein naufrage) permet d'explorer cet espace entre deux, entre solide et liquide, entre le ferme et le fluctuant.
La chanson de Voyou et la vidéo de Vincent Castant abordent justement la sensation de vide sidéral provoqué par la rupture. Ce vertige a été peu représenté dans des clips au cadre balnéaire, mais il est possible de se remémorer deux exemples aux esthétiques en tous points opposées : Wicked Game de Chris Isaak et le Chewing-Homme d'Hermentaire.
2- Sur la plage abandonné•e
Nous le savons, il est facile de perdre pied dès lors que la personne à laquelle nous tenons prend ses distances.
Cette déchéance se produit une deuxième fois à l'instant précis où l'on se rend compte que notre besoin narcissique de compter pour autrui s'échappe de nos mains, comme le sable entre nos doigts. Cette double entaille (la disparition de l'être aimé•e et de l'être-aimé•e) peut se produire, que le deuil soit amical, professionnel, amoureux ou mortuaire, et nous sommes alors obligé•e•s de compenser ; nous menons le plus souvent l'enquête pour re-trouver des mots, des traces, des ombres, des visages.
Dans Who Gonna Save My Soul de Gnarls Barkley (Chris Milk, 07/2008), c'est face à une rupture frontale que le héros laisse s'exprimer son cœur avant de dépérir ; dans Memory de Zoot Woman (Mirjam Baker & Michael Kren, 09/2009) le protagoniste confond souvenirs et réalité. Néanmoins, c'est possiblement avec Someone Great de LCD Soundsystem (Doug Aitken, 09/2007) que l'on peut voir le lien le plus fort avec Seul sur ton tandem. Si le clip de Voyou est d'un point de vue visuel chatoyant, celui du groupe mené par James Murphy est plus neutre dans la mesure où ni la poésie du texte ni la sobriété des images ne révèlent la nature de la perte. Néanmoins les deux vidéos permettent de visualiser avec subtilité cette terrassante absence : chez Aitken le corps est représenté par une ombre et chez Castant nous avons une béance que l'interprète de la chanson ne semble pas pressé de combler. En clair, si chez l'un le deuil est à un stade plus avancé que l'autre, ils demeurent représentés avec pudeur et honnêteté, deux qualités parfois difficiles à assumer en période d'affliction.
3- Des territoires à reconquérir
Le dernier couplet de la chanson relate avec réalisme les horizons vers lesquels l'ex du protagoniste devrait se diriger. Sans acrimonie, juste avec la mélancolie de l'ange redescendu sur Terre:
Et tu roules en martyre en chantant à tue-tête,
Que tout va pour le mieux mais je vois tes gambettes,
Un peu distraites,
Qui cherchent à qui pouvoir faire du pied.
Va donc un peu partout et trouve toi une athlète
Pour continuer la route à deux sur ton tandem
.
Le clip comporte des montages hasardeux - sinon mal intégrés - de visages, de poissons, d'embruns, de routes. Ces incrustations maladroitement dégrossies et totalement assumées représentent un univers mental foisonnant, voire un malaise à ordonner un équilibre en déclin, le chaos de la rupture. S'il est difficile de remonter aux origines de cette technique de collage numérique aussi imprécise que volontaire, Time to Pretend de MGMT (Ray Tintori, 02/2008) semble une bonne référence.
Dans la vie de tous les jours comme en amour il convient de se remémorer Baudelaire lorsqu'il nous enjoignait à aller au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau (in Le Voyage).
Horizon surréaliste
Horizon surréaliste
Thibaut et Lila font du tandem au bord de l’Océan. Lila disparaît dans les eaux et Thibaut part à sa recherche, seul sur son tandem. Il la retrouve, mais elle disparaît à nouveau, il s’envole vers l’espace.
Ce clip mélange différentes techniques, prises de vues réelles, animation 2D, collages vidéo et motion design.
VOYOU
VOYOU
Voyou joue seul en concert, avec ses machines et sa trompette, l'instrument que lui a appris son père dès l’âge de 3 ans. D’emblée, le sourire enfantin et la dégaine de ce jeune homme de 28 ans imposent un artiste charismatique. Il y a du Jacques Tati dans cette douce folie et ce corps un peu trop grand, pas toujours adapté au monde, mais qui s’en imprègne pour prendre son envol et virevolter avec aisance sur scène.
Originaire de Lille, Thibaud Vanhooland déménage, adolescent, à Nantes où il se construit, entre des souvenirs d’une enfance heureuse et libre et ses années « lycée » plus sauvages. De jeunesse, il est d’ailleurs souvent question en filigrane sur les cinq chansons qui composent son EP La légende urbaine. Du généreux On s’emmène avec toi qui ouvre le disque - et sa guitare, tout droit sortie d’une BO d’Ennio Morricone - Voyou porte un regard malicieux sur les vicissitudes de son époque et choisit de mettre la compassion et l’amitié au cœur de sa musique. Avec des mots simples et poétiques et une complète absence de cynisme, il nous raconte des histoires d’aujourd’hui, des histoires d’amour et d’ennui, d’ailleurs et d’ici.
Ce grand enfant a tout pour plaire : une facilité pour compter ses histoires, une fragilité rêveuse et contagieuse sur scène et des morceaux pop qui appellent à la fête. Séduisant par ses paroles charmantes, et une musique qui sonne comme une évidence, lumineuse et bienveillante.
Fiche réalisée d'après Le TORRÉFACTEUR
VINCENT CASTANT
VINCENT CASTANT
Après un Master en Commerce international de l’université de Jiaotong à Shanghaï, Vincent Castant se lance dans différents projets, avant de commencer à réaliser des gifs, des photomontages d’architecture puis dans l’architectural porn. Parallèlement, il réalise des clips pour des groupes comme Jacques, Polo&Pan, Voyou, Eliott Litrowski, et TRDLX. Il a réalise avec Solène Azoulay la web-serie Ouai j’vois Ouai, un documentaire de voyage ludique sur Séville, ainsi qu'une télé-réalité avec des grenouilles.
Lumineux et bienveillant
Lumineux et bienveillant
TSUGI, Clémence Meunier >>> Voyou, parfois stylisé Voyov, est un gentil surnom, celui d’un doux filou auteur de On s’emmène avec toi, un premier EP […] cinq titres portés par des mélodies imparables (attention, ça rentre dans la tête), et des textes naïfs, dans le bon sens du terme, prouvant une nouvelle fois que la scène française actuelle est décomplexée quant à l’usage tout simple de sa langue.
TORREFACTEUR >>> La roue tourne et si tombe un des deux, l’autre roule ou s’écroule avec eux chante-il sur Seul sur ton tandem : lumineuse et bienveillante, sa musique sonne déjà comme une évidence. À croire que la vérité sort de la bouche des enfants, elle sort aussi de celles des voyous. Nouvelle et prometteuse signature d’Entreprise, il va falloir se faire à l’idée que Voyou partagera nos routes à venir.
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