La face cachée de l’image - Saison 2

20/06/2030
Histoires de photographies
Voici la saison 2 de cette collection dédiée au fonds photographique du musée de Bretagne. L’objectif est double : découvrir la diversité de la création photographique des origines à nos jours, décrypter ce que recèle chacune de ces œuvres. La parole est donnée aux historiennes de l’art pour resituer six nouvelles images dans leur contexte et mettre à jour les intentions de leurs auteurs.
En route pour Plogoff, Douarnenez, Rennes, Saint-Malo... entre 1900 et 1987.
Une page KuB en co-édition avec Les Champs Libres et le musée de Bretagne

Les sardinières
Les sardinières
avec Fanny Bugnon (2025-5')
Paul Gruyer, Séchage des sardines, début 20e siècle, Douarnenez, domaine public - collection musée de Bretagne
À Douarnenez, l’industrie de la sardine façonne la ville et ses habitants. Les femmes, souvent très jeunes, travaillent sans horaires fixes, au rythme des arrivées de poissons. Leur tenue traditionnelle — coiffe penn-sardin, châle, tablier et sabots — témoigne de leur ancrage local.
En 1924, une grande grève éclate. Partie de l’usine Carnot, elle dénonce des salaires trop bas : 80 centimes de l’heure, soit moins que le prix d’un kilo de pain. Cette mobilisation marque un moment fort de l’histoire ouvrière féminine en Bretagne.
La centrale nucléaire de Plogoff
La centrale nucléaire de Plogoff
avec Nathalie Boulouch (2025-7')
Plogoff, un carnaval contre l’atome, par Jean Guisnel, 19 février 1980
Prise au moment de l’enquête publique sur le projet de centrale nucléaire à Plogoff, cette image surprend par son ambiance festive. Des enfants défilent costumés, des slogans détournent les symboles atomiques : c’est le carnaval de la contestation.
Photographe pour Libération, Jean Guisnel suit la lutte depuis 1976. Ce jour-là, la mobilisation prend une forme pacifique et créative, en contraste avec d'autres moments plus tendus, marqués par les affrontements avec les forces de l’ordre.
La photographie fait partie d’une exposition montée dès juin 1980 par le musée de Bretagne alors dirigé par Jean-Yves Veillard, qui engage résolument l’institution dans le débat public, en plein cœur de la lutte antinucléaire.
La prison centrale des femmes de Rennes
La prison centrale des femmes de Rennes
avec Laurence Prod’homme (2025-6')
Femmes détenues, femmes ouvrières, anonyme, prison de Rennes, 1907
Cette image, issue d’un reportage réalisé à la prison centrale des femmes de Rennes, montre l’atelier de couture. Elle marque une transition : le remplacement du personnel religieux par des surveillantes laïques.
Les détenues travaillent sur des machines industrielles, des surjeteuses, pour une entreprise de confection de sous-vêtements. L’organisation du travail copie celle de l’usine : tâches répétitives, horaires stricts, salaires versés par l’entreprise. En 1910, 233 femmes y sont employées.
Le quotidien carcéral est rythmé par le silence, la discipline, mais aussi l’éducation. Les conditions sont strictes, mais relativement modernes : chauffage, éclairage au gaz, dortoirs. La photographie révèle aussi un jeu de lumière saisissant entre les tissus clairs, l’atelier et l’ordre imposé.
Les photographies de vacances
Les photographies de vacances
avec Yves-Marie Guivarc’h (2025-5')
Une posture en déséquilibre, par Jean-Baptiste ou Rose Fougère, Saint-Malo, vers 1900 – négatif sur plaque de verre
Ce portrait représente une femme élégamment vêtue, en équilibre précaire sur les rochers de Saint-Malo, avec le Grand Bé en arrière-plan. La composition inhabituelle, la posture inclinée, l’ombrelle suspendue et les yeux clos confèrent à l’image un caractère quasi fantastique.
Photographes à Morlaix, Jean-Baptiste et Rose Fougère, ont su capter un instant furtif, à une époque où la technique permet de sortir du studio et de saisir le mouvement.
Cette image évoque les débuts du cinéma, mais aussi l’évolution du regard sur le littoral, désormais perçu comme espace de loisirs et de représentation sociale, bien loin de sa fonction utilitaire d’autrefois.
Les travailleurs immigrés
Les travailleurs immigrés
avec Nathalie Boulouch (2025-5')
Travailleurs algériens à Rennes, par Georges Dussaud, 1980-81 – tirage argentique noir et blanc
Cette photographie extraite de la série Instant quotidien, montre quatre travailleurs algériens venus participer à la construction de la rocade de Rennes. Loin du cliché de l’ouvrier au travail, Dussaud choisit de les représenter en civil, dans un décor neutre et clôturé, qui isole et met en valeur leurs individualités.
Trois d’entre eux semblent absorbés dans leurs pensées, tandis que le quatrième regarde l’objectif, créant un lien direct avec le spectateur. Ce portrait collectif humanise ces hommes souvent invisibilisés, affirmant leur présence et leur dignité.
Photographe humaniste, Georges Dussaud s’intéresse aux communautés, aux quotidiens discrets, aux visages. Son travail, exposé pour la première fois au musée de Bretagne en 1981, témoigne de son regard attentif et respectueux sur les réalités sociales de son époque.
Le carnaval
Le carnaval
avec Fabienne Martin-Adam (2025-4’)
Carnaval étudiant, place de la mairie, par Bernard Cornu, Rennes, 12 février 1987 photographie argentique
Cette photographie immortalise un moment de liesse sur la place de la mairie de Rennes, lors de la renaissance du carnaval étudiant. Disparu dans les années 1950, cet événement est relancé dans les années 1980 par les étudiants, qui retrouvent les traditions festives, burlesques et transgressives héritées du Moyen Âge.
On y voit trois étudiants déguisés, dont l’un pousse une brouette marquée AGRO, rappelant l’organisation historique du carnaval par écoles (médecine, arts, agronomie, etc.). Le travestissement, omniprésent dans les carnavals anciens, évoque les fêtes médiévales et les jeux de rôle satiriques envers les puissants.
Lieu central du carnaval, la place de la mairie accueillait défilés, concerts, retraites aux flambeaux et même l’élection de la Reine du carnaval, saluée depuis le balcon de la mairie. La photo témoigne aussi de l’évolution des rôles féminins dans ces festivités, les femmes prenant pleinement part à la fête comme organisatrices et participantes.
Bernard Cornu, éducateur spécialisé de métier, capte ici un moment de joie avec une attention sensible portée à l’humain. Son regard bienveillant et spontané donne à cette scène un caractère chaleureux.
Bernard Cornu
Bernard Cornu

Né en 1951, Bernard Cornu vit à Rennes et se consacre à la photographie argentique noir et blanc, entre reportage et paysage. Inspiré par des photographes comme Cartier-Bresson, Depardon, Adams ou Salgado... son travail s’attache à capter l’émotion, l’instant et une certaine intemporalité. En 1980, la marée noire du Tanio marque un tournant : il découvre la puissance du témoignage photographique. Suivent de nombreuses publications : sur les chevaux bretons, le football, la pêche, ou encore le monde rural portugais. Il collabore régulièrement avec écrivains et journalistes pour enrichir le récit visuel. Son œuvre s’étend de la Bretagne à la Flandre, de la Castille à Madère, avec une attention constante à la lumière. Plusieurs livres bilingues, réalisés avec Nuno Júdice, témoignent de son attachement au Portugal. En 2024, il fait don de tirages à Idanha-a-Nova, point d’orgue d’un engagement photographique de plus de 40 ans.
Georges Dussaud
Georges Dussaud

Né en 1934 à Brou, Georges Dussaud commence la photographie en amateur et expose son travail pour la première fois en 1978 à Nantes. Installé en Bretagne, il y documente sa région tout en menant de nombreux reportages à l’étranger dès 1980 : Grèce, Portugal, Irlande, Cuba. Il photographie durant plusieurs années les vendanges dans le Douro, ce qui donne lieu à un livre en 1993, suivi d’un autre recueil sur quinze années au Portugal. Son travail sur l’Irlande paraît en 1995, accompagné d’une exposition. Il collabore régulièrement avec écrivains et poètes. Membre de l’agence Rapho dès 1986, ses œuvres sont exposées dans de grandes manifestations photographiques à Arles, Lisbonne, Barcelone, Coïmbra, ou Mexico.
Rose et Jean-Baptiste Fougère
Rose et Jean-Baptiste Fougère

Né en 1833 à Champrenault, Jean-Baptiste Fougère devient agent voyer (chargé de l’entretien de la voirie) en Bretagne après avoir travaillé au chemin de fer. Installé à Morlaix, il se reconvertit à la photographie en 1887. Il parcourt la région pour photographier les monuments bretons et expose ses œuvres à Toulouse. En 1888, à Barcelone, il est fait chevalier de l’ordre de San-José del Tajo. En 1893, il reçoit une médaille d’or à l’exposition de Moncontour. Il décède en 1898, mais son atelier reste actif sous la direction de sa veuve Rose jusqu’en 1920. Ses clichés ont marqué la mémoire visuelle de la Bretagne de la fin du 19e siècle.
Rose Fougère, de son nom de jeune fille Le Terrien, naît en 1836 à Morlaix. Commerçante, elle épouse en 1862 Jean-Baptiste Fougère et le seconde dans l’atelier photographique. À son décès, en 1898, elle décide de poursuivre seule l’activité, et se compose ainsi une longue et riche carrière photographique largement consacrée au patrimoine breton.
Jean Guisnel
Jean Guisnel

Né en 1951 à Rennes, Jean Guisnel est journaliste et écrivain spécialisé dans les questions de défense, de renseignement et de cybersécurité. Participant à la fondation de Libération, il travaille ensuite de nombreuses années pour le journal, puis rejoint le Le Point en 1996. Auditeur de l’Institut des hautes études de Défense nationale, il enseigne également l’histoire de la presse à Saint-Cyr. Auteur d'une vingtaine d’ouvrages de référence sur les services secrets français, le cyberespace, la dissuasion nucléaire ou encore les conflits contemporains, il est reconnu pour ses enquêtes sur la DGSE, les enjeux militaires français et les guerres invisibles du numérique.
Paul Gruyer
Paul Gruyer

Paul Gruyer est un écrivain, traducteur, photographe, historien et critique d’art français né en 1868 à Paris. Ces premières photographies sont publiées en 1899 dans la revue Le tour du monde afin d’illustrer son texte Ouessant, Enez Heussa – L’île de l’épouvante. En 1900, il débute un nouveau voyage photographique à travers la Bretagne, accompagné de l’écrivain Gustave Geffroy. Durant trois ans, il photographie les villages et le patrimoine artistique et culturel, qu'il rapporte de manière détaillée dans Le tour du monde. En 1911, il publie Bains de mer de Bretagne, du mont Saint-Michel à Saint-Nazaire, où il réutilise certaines images prises au début des années 1900. En 1914, il s’installe à Perros-Guirec pour soigner sa tuberculose, puis part deux ans plus tard à Marly-le-Roi, dans les Yvelines. Il reste néanmoins très attaché à la Bretagne et à son patrimoine, comme en témoigne la publication de son livre Un mois en Bretagne. Pionnier de la photographie d’ouvrage et grand vulgarisateur de la culture bretonne, Paul Gruyer s’éteint en 1930.
Nathalie Boulouch
Nathalie Boulouch
Née le 2 avril 1966, Nathalie Boulouch est historienne de l’art contemporain et de la photographie. Elle articule une pratique d’écriture et de commissariat d’exposition en parallèle de son activité de recherche et de pédagogie comme maîtresse de conférences à l’université Rennes 2 et codirectrice du master MAGEMI.
Après avoir soutenu une thèse de doctorat sur la photographie autochrome en France (1903-1931), elle poursuit ses travaux sur l'histoire de la photographie couleur du 19e siècle à aujourd'hui. Elle s’attache en particulier à la question des usages de la photographie couleur et à sa difficile reconnaissance artistique et culturelle. Elle a organisé plusieurs expositions sur ce thème et publié de nombreux textes dont l’ouvrage Le ciel est bleu. Une histoire de la photographie couleur. Actuellement, sa réflexion porte également sur l’histoire des usages de la diapositive comme image photographique projetée.
Gwénola Furic
Gwénola Furic
Gwénola Furic est une restauratrice et conservatrice du patrimoine née à Brest en 1974. Elle commence la pratique de la photographie à l’adolescence puis suit des études aux Beaux-Arts de Nantes. Elle se dirige ensuite vers l’École nationale supérieure de la photographie de Arles avant de s’inscrire à l’Institut national du patrimoine où elle obtient son diplôme de restauratrice en 2002. Elle commence sa carrière en tant que conservatrice au musée Albert Kahn, puis exerce en indépendante pour différentes structures (musées, artothèques, bibliothèques, FRAC…). Elle réalise ainsi des études de collections, mais également des actes de restauration, de la conservation curative et de la formation. Elle travaille pour le musée de Bretagne de façon régulière depuis 2004, principalement sur les collections papier et photo, s’occupant notamment du chantier de conservation des négatifs en nitrate de cellulose.
Gwénola Furic est membre du conseil d’administration de la Fédération française des conservateurs-restaurateurs, de la commission scientifique de restauration de la DRAC Pays de la Loire et du conseil scientifique et d’éthique de la Cinémathèque de Bretagne. Elle est également intervenante au sein du master MAGEMI à Rennes 2 et poursuit des recherches personnelles sur la matérialité de la photographie patrimoniale.
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