Du roman à la scène

vareuse Joseph Ponthus

Il a quelques jours Joseph Ponthus écrivait à ses amis : Impossible de penser au cancer sans penser à un putain de combat contre un grand adversaire, de monter sur le ring tous les jours, comme au plus dingue des rings de boxe. Allez, petit taureau, on va bientôt finir par l'avoir, lui le grand Kid Marin des Crabes.
Dans la nuit du 23 au 24 février 2021, le grand Kid lui décochait un fatal uppercut. À 42 ans, Ponthus est KO debout après la si belle envolée de son unique roman À la ligne.
En septembre dernier, Hervé Portanguen s'était rendu à la Maison de la poésie à Paris, pour saisir le moment où l’auteur découvre l’adaptation de son livre à la scène rock par Michel Cloup Duo et Pascal Bouaziz. L'occasion de voir un fois encore sa profonde tendresse pour les autres.

À LA LIGNE CHANSONS D'USINE (2020 - 15')

par M Cloup Duo et P Bouaziz

Le roman de Joseph Ponthus À la ligne est l’histoire d’un déclassement, celle d’un éducateur spécialisé en mal d’emploi qui devient intérimaire dans les conserveries de poissons puis dans un abattoir breton, le récit d’un ouvrier à la chaîne, qui s’échine et qui s’esquinte à la tâche. On y aborde la fatigue, les bruits, les odeurs de l’usine, bref la condition ouvrière aujourd’hui.
En adaptant ce livre, Michel Cloup (Diabologum), Pascal Bouaziz (Mendelsen, Bruit Noir) et Julien Rufié proposent une expérience originale et poignante, quelque part entre le rock, la lecture et la chanson.
Une collaboration relève presque de l’évidence, tant les engagements sont communs et les valeurs partagées.
>>> une coproduction La Station Service, La Carène et Hydrophone

INTENTION

Incarner et retranscrire

par Cloup et Bouaziz

Lumiere rouge Michel Cloup A la ligne Ponthus

Pour Michel Cloup, le roman est écrit dans une forme qui lui est propre, sans ponctuation, quelque chose comme de la prose poétique. Quand je l’ai lu, ma voix intérieure est allée naturellement de la lecture vers la mélodie, vers la chanson. Il y a un rapport à la musique très fort dans le roman, elle fait du bien à l’auteur et aux ouvriers, leur permet de sortir de la cadence, de s’échapper. Ça justifiait d’autant plus l’idée de cette adaptation.
Tout en respectant la chronologie du roman, les partis pris musicaux nous font ressentir l’intensité du rythme et la dureté des conditions de travail. Des procédés simples permettent d’immerger l’auditeur au cœur de l’usine. La répétition occupe une place centrale, à l’instar de l’ouvrier qui se lève chaque matin pour accomplir les mêmes tâches. Ainsi, certaines phrases sont répétées comme des mantras, comme si ses gestes devenaient une obsession, et comme si tout son être était possédé par le rythme infernal de la chaîne de production.

Pour Pascal Bouaziz À la ligne est une rencontre avec le travail comme tu peux rencontrer un camion quand tu te fais renverser.


C'est une rencontre physique, morale. Joseph raconte à quel point l'usine travaille son corps. On a essayé de faire une transcription musicale honnête et sincère de ce que le livre nous dit de cette violence, mais on n'est pas là non plus pour torturer les gens. Au contraire, on espère pour chacun une sorte de catharsis à l’écoute du disque ou sur scène.
Si globalement l'œuvre exprime la brutalité des conditions de travail et la souffrance des ouvriers a l'usine, certains morceaux sont plus apaisés, plus introspectifs. Ainsi Travailleurs de l'usine, Penser à autre chose ou encore Pok Pok nous offrent des moments d’accalmie teintés de mélancolie et parfois même d'humour. On y entend aussi l'amitié entre les ouvriers, la fraternité entre les hommes au-delà de leurs classes sociales ou de leurs origines.
C’est toute la richesse du livre qu’il fallait essayer d’incarner et de retranscrire, ne pas juste appuyer là où ça fait mal, mais aussi là où ça fait du bien, conclut Michel Cloup.

BIOGRAPHIE

Joseph Ponthus

Haut blanc et lunettes Ponthus A la ligne concert

Après des études de littérature à Reims et de travail social à Nancy, il a exercé plus de dix ans comme éducateur spécialisé en banlieue parisienne où il a notamment dirigé et publié Nous... La cité (Éditions Zones, 2012). Il s'installe ensuite en Bretagne et y meurt en février 2021, à l'âge de 42 ans.
À la ligne, est le premier roman de Joseph Ponthus. Récompensé par le Grand Prix RTL/Lire, il raconte l’histoire d’un narrateur lettré devenu ouvrier intérimaire qui doit embaucher dans les usines de poissons et les abattoirs de Bretagne. À la ligne est surtout un chant, une manière d’épopée. Par la magie d’une écriture simple et somptueuse, tour à tour distanciée, coléreuse, drôle, fraternelle, la vie ouvrière devient ici une Odyssée avec un Ulysse qui combat des tonnes de bulots cyclopéens ou des carcasses de bœufs promises à l’équarrissage.


À la ligne, est une revanche lyrique, un moyen de dépasser le quotidien en continuant à se souvenir, dans le bruit de l’usine et les odeurs du travail, des poètes qu’il a aimés, des écrivains qui ont baigné son enfance, son adolescence et son âge d’homme. Et ce qui est répétition devient à chaque fois unique : pendant le travail avec les gestes machinaux, les souvenirs reviennent. Le narrateur a eu une autre vie : il se souvient de ses cours de latin, il a été mousquetaire avec Dumas, amoureux de Lou et Madeleine avec Apollinaire, nostalgique et joyeux dans les chansons de Trenet, combattant avec Marx. C’est sa victoire provisoire contre tout ce qui fait, tout ce qui aliène, tout ce qui pourrait empêcher son paradoxal et invincible bonheur d’être au monde, dans l’épouvante industrielle.
Si À la ligne s’inscrit dans une tradition qui est celle de la littérature prolétarienne, de Henry Poulaille à Robert Linhardt, en passant par Georges Navel, Joseph Ponthus la renouvelle ici de fond en comble en lui donnant une dimension poétique qui est l’autre nom de cette espérance de changer la vie, comme le voulait Rimbaud.

REVUE DU WEB

À la ligne, en musique

LETTRES DU MONDE >>> Invités du festival Lettres du monde 2019, nous avons proposé une rencontre littéraire avec Joseph Ponthus et Alberto Prunetti, intitulée Quand le monde du travail entre en littérature. Ce fût un réel moment de bonheur et une rencontre entre deux hommes, deux écrivains. Une amitié sincère et joyeuse venait de naître. Ils n’ont cessé d’échanger depuis cette rencontre. Suite à la disparition de Joseph Ponthus, Alberto Prunetti a souhaité partager ce texte avec nous toutes et tous.
LIBÉRATION >>> À propos du contexte de son livre, Joseph Ponthus dit : On entend qu'il n'y a plus de classe ouvrière. C'est plutôt qu'il n'y a plus de conscience de classe ouvrière. Le capitalisme a triomphé. Il a segmenté les hommes et le constat s'applique jusqu'à l'intitulé de leur poste. On ne dit plus ouvrier, mais opérateur de production ; on ne dit plus chaîne, mais ligne… Cette euphémisation des termes dit quelque chose.
POP NEWS >>> Dans cette interview, Michel Cloup explique : J’avais envie d’une deuxième voix et c’était bien de collaborer avec quelqu’un. Tout seul, c’était trop répétitif. Deux voix distinctes, ça me semblait le minimum pour porter ce texte et lui donner davantage de relief.
OUEST-FRANCE >>> L’équipe d’Hydrophone s’est associée à la Sauvegarde 56 sur l’écriture et la composition de textes mis en musique et orchestrés par Michel Cloup. Tout est parti d’À la ligne, le livre à succès de Joseph Ponthus.
ACTUALITTÉ >>> À mi-chemin entre lecture et chanson, la musique orchestrant ce combat humain contre homme-machine sera naturellement rock (au sens le plus large) ainsi qu'électronique.
SECTION 26 >>> Il y a des engagements qui se reconnaissent et des combats qui se partagent, quand on parle la même langue, celle qui dit juste à chaque fois.
TÉLÉRAMA >>> Comme hier avec Mendelson, Pascal Bouaziz, au deuxième volume du duo Bruit Noir, persiste et signe à l’encre de ses humeurs, réflexions, rêveries, dégoûts. Sonorisés par Jean-Michel Pirès, ces textes rageurs et désolés nous défient frontalement.

COMMENTAIRES

  • 25 novembre 2021 03:10 - Jean-michel Baudry

    je pourrais en mettre des tartines.....................
    juste Merveilleux
    merci

  • 10 mars 2021 20:12 - Genevieve Taveneau

    L'adaptation musicale de la comète " A la ligne " est un petit bijou, respectant et renforçant par ses rythmes,les mots de Joseph Ponthus sur la conditions des ouvriers . Merci à vous

  • 10 mars 2021 17:54 - David Farmer

    Touchant... beau... bon... vrai...

  • 10 mars 2021 11:09 - Guinand Sylvie

    J'ai lu le livre de Joseph Ponthus il y a quelques mois et j'ai beaucoup apprécié sa forme, inhabituelle, et qui se prêtait bien au thème. C'est probablement ce qui m'a attirée vers cet article et cette mise en musique est très belle car elle porte remarquablement son texte. Merci pour cet intéressant article. S.G.

CRÉDITS

avec
Joseph Ponthus
Michel Cloup
Pascal Bouaziz
Julien Rufié

entretien et image Hervé Portanguen
son Estelle Kauffman
montage Serge Steyer
moyen techniques KuB

Artistes cités sur cette page

Joseph Ponthus © Philippe Matsas / Opale / La Table Ronde

Joseph Ponthus

Michel Cloup Pascal Bouaziz Julien Rufie

Michel Cloup Duo

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