Plein les yeux

par Jean-Roch Bouiller, Sophie Kaplan, Anne Langlois (2021 - 8’)

La couleur est un sujet central en art et l’expérience sensible que nous en faisons tous les jours est une donnée élémentaire de notre rapport aux œuvres. L’exposition La couleur crue rassemble des créations contemporaines dont la matière première interpelle notre sensibilité grâce à la couleur qui s’en dégage. Brute, naturelle, transposée, mais aussi simplement suggérée ou filmée, cette couleur crue renvoie aux éléments fournis en profusion par la nature, aux forces telluriques et aux socles communs d’une histoire de l’art et de la couleur plurimillénaire. Elle peut souligner l’aspiration à une forme de simplicité, en décalage par rapport aux sophistications des sociétés industrielles et matérialistes. Le mot cru, associé au mot couleur est appliqué à tout type d’artefact qui est à l’état brut, qui n’est pas travaillé, qui n’a pas subi de préparation ni de transformation.

par Sophie Kaplan (2021 - 13’)

L’exposition se déroule de manière progressive dans les espaces du Musée des Beaux-arts de Rennes, de la matière-couleur la plus brute à la plus immatérielle. Le parcours débute avec des œuvres dont la couleur est celle de la matière qui les compose, dans son plus simple appareil. C’est le cas de l’œuvre de Gérard Gasiorowski, Village des Meuliens composé de plusieurs toiles représentant les habitations des paysans avec un mélange d’acrylique, de terre et de paille qui rappelle la matière granuleuse même dont ces habitats sont faits et leur camaïeu de tons ocre.

Il s’agit ici d’être en prise directe avec la matière des habitats. L’exposition se poursuit avec des artistes qui s’intéressent aux matériaux, considérés comme des matières non plus brutes, mais transformées pour réaliser un objet, avec un usage bien identifié. Le grand tableau Memory Ware Flat #17 de Mike Kelley est constitué de milliers de tâches de couleur. Il a savamment assemblé des pierres en plastique, des bijoux, des badges pour en faire un motif semblable à un motif décoratif venu d’une culture ancestrale, mais composé d’éléments venus de la société contemporaine et de la pop culture. Cette œuvre est un mixte du temps présent et tu temps passé. Une troisième partie donne toute leur place aux immatériels qui constituent aussi les œuvres, c’est-à-dire la symbolique, les allusions, le sens dont elles sont porteuses. À travers la représentation du geste qui consiste à attraper un arc-en-ciel entre ses mains, Edith Dekyndt, s’inscrit dans la poésie de l’immatérielle. Enfin, le parcours se termine sur la décomposition de la matière, de la couleur et de la lumière, soulevant quelques questions essentielles dans le champ artistique : comment les œuvres se libèrent-elles de leur support, comment le traitement de la lumière entre-t-il en jeu, comment le processus de perception prend‑il le pas sur la confrontation à un objet figé ?

de Véronique Joumard (2021 - 6')

Orange est une œuvre composée de deux encres : une encre sérigraphique (jaune) et une encre thermosensible (rouge) appliquées sur deux pans de mur de l’exposition l’une à la suite de l’autre. Lorsque l’on touche la surface du mur, la chaleur de la main fait apparaître la couleur jaune, effaçant ainsi la couleur rouge. L’œuvre est ainsi créé à la fois par l’artiste, mais aussi par le visiteur. Les traces de main qui apparaissent en négatif dans la couleur rappellent également le geste primaire, la naissance de l’histoire de l’art : la main peinte sur la paroi de la grotte préhistorique.

Véronique Joumard est à la fois photographe, sculptrice et réalisant des installations lumineuses qui dialoguent avec l’espace d’exposition, elle participe à des expositions dans des centres d’arts, musées, galerie en France ou à l’étranger. Elle exposera ses œuvres au Consortium à Dijon, structure avec laquelle elle a travaillé à plusieurs reprises notamment pour l’une de ses premières interventions dans l’espace public dans un village de Côte d’Or à Grancey-le-Chateau. Ses œuvres ont été montrées dans des expositions personnelles à l’Ashiya City Museum au Japon, au Credac à Ivry-sur-Seine, au Kunsthaus Baselland en Suisse, au Musée de Nantes ou chez Luis Adelando au Mexique. Elle réalise plusieurs commandes publiques en France en Italie ou au Japon, récemment pour Setouchi Art Triennale sur un archipel d’îles et élabore un projet de vitraux contemporains pour la Cathédrale de Bayeux en Normandie.

Jean-Roch Bouiller est docteur en histoire de l’art contemporain et conservateur en chef, directeur du Musée des beaux-arts de Rennes depuis janvier 2019. Il a précédemment contribué à l’ouverture du Mucem, à Marseille, en 2013, en tant que commissaire associé à la programmation et responsable d’un nouveau secteur dédié à l’art contemporain. Il était auparavant responsable des collections contemporaines de Sèvres – Cité de la céramique.

Il a été commissaire de plusieurs expositions, parmi lesquelles Un autre soleil (2008), Circuit céramique (2010), Jacqueline Lerat, l’être et la forme (2012), Des artistes dans la cité (2014), Stefanos Tsivopoulos, History zero (2014), J’aime les panoramas (2015), Albanie, 1207 km est (2016), Graff en Méditerranée (2017), Or (2018), Étonnants donateurs (2020). En plus des catalogues de ces expositions, il a publié de nombreux articles sur l’art contemporain, sur les écrits d’André Lhote, sujet de sa thèse de doctorat, et en codirection, deux livres : Les bibliothèques d’artistes, 20e-21e siècles (2010) et Le panorama, un art trompeur (2019). Son intérêt pour la création d’aujourd’hui repose sur la capacité de l’art contemporain à se confronter à une multitude de champs culturels hétérogènes, éloignés dans le temps et métissés.

Sophie Kaplan est directrice de La Criée centre d’art contemporain depuis 2012. Diplômée en lettres modernes et en histoire de l’art, elle est historienne de l’art et commissaire d’exposition. Elle a travaillé à l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris entre 1999 et 2007 et a mené parallèlement des commissariats d’exposition en Allemagne et en Angleterre. Directrice du Centre rhénan d’art contemporain d’Altkirch de 2007 à 2012, elle a également enseigné à la Haute école des arts du Rhin. Elle a notamment été commissaire des expositions

de Su-Mei Tse et Virginie Yassef (2008), Simon Faithfull et Christoph Keller (2010), Shannon Bool et Julien Bismuth (2010), Aurélie Godard et Ann Veronica Janssens (2011), Jan Kopp (2013), Amalia Pica (2014), Gareth Moore (2014), Runo Lagomarsino (2015), Ariane Michel (2016), Joana Escoval (2016), Félicia Atkinson (2017) et David Horvitz (2019). Elle (co)édite régulièrement des catalogues et livres d’artistes (Julien Bismuth, Jérémie Gindre, Allan Sekula, Jan Kopp, etc.). Son approche critique et sa pratique curatoriale se développent autour de l’importance accordée aux collaborations – notamment avec les artistes via la mise en place à La Criée des cycles thématiques et des artistes associés ; de la place laissée au(x) récit(s) comme moteurs de la recherche, de la création et de la transmission ; de l’intérêt porté au croisement des arts, des disciplines et des savoirs.

Anne Langlois est commissaire d’exposition, cofondatrice et codirectrice du centre d’art contemporain 40mcube, médiatrice dans le cadre de commandes d’œuvres et enseignante à l’université Rennes 2. Diplômée d’une maîtrise des sciences et techniques des métiers de l’exposition et d’un diplôme d’études approfondies d’histoires et critiques des arts, Elle fonde en 2001, avec Patrice Goasduff, 40mcube, un espace d’exposition d’art contemporain, un atelier de production d’œuvres, un lieu de résidence d’artistes, un organisme de formation et un bureau d’organisation de projets pour l’espace public, qui a reçu le label de centre d’art contemporain d’intérêt national en 2019.

Menant un travail de prospection constant avec une attention particulière pour les artistes en début de carrière, elle met en place une programmation d’expositions monographiques et collectives qui donnent lieu à de nombreuses collaborations avec des lieux partenaires. Ses expositions collectives abordent entre autres le rapport de l’art au temps et à l’espace, à l’histoire et à la géographie. Elles se déploient en séries avec Chantier public I et II, la programmation Le Château, Anachronismes et autres manipulations spatio-temporelles I, Particularismes, II, Universalisme, Archeologia I et II, Geologia... Considérant que l’espace public est un lieu à investir par les artistes, 40mcube y présente des œuvres de façon temporaire, crée un parc de sculptures, le HubHug Sculpture Project et accompagne des citoyens dans la commande d’œuvres d’art, notamment dans le cadre de l’action Nouveaux commanditaires initiée par la Fondation de France. Ce travail en étroite collaboration avec les artistes a rapidement mis à jour les besoins de ces derniers dans une société où leur place est réduite et fantasmée. Parallèlement à sa programmation d’expositions et de commandes, 40mcube met en place un atelier de production d’œuvres, des résidences d’artistes sur le territoire, en milieu scolaire, en entreprises, et crée en 2015, en partenariat avec l’École européenne supérieure d’art de Bretagne, une formation professionnelle pour les artistes, GENERATOR.

OUEST FRANCE >>> L’art contemporain prend ses quartiers au musée des Beaux-Arts de Rennes avec l’exposition La couleur crue, pied de nez au noir et blanc de la collection Pinault. La matière est au cœur des créations.

ACTU RENNES >>> L’événement Exporama et les expositions La couleur crue et François Pinault témoignent du foisonnement de l’art contemporain à Rennes. Ce n’est pas qu’un rendez-vous d’été. C’est le reflet de l’importance de la création artistique dans la ville, explique Nathalie Appéré, la maire de Rennes.