Cultures urbaines
En 2018, un tiers-lieu culturel éphémère a fait irruption dans Vannes !
Comme le logo le suggère, le DéDalE prolonge l’occupation des locaux de la DDE (Direction Départementale de l’Équipement) qui siégea quelques décennies dans ce bâtiment années 70 situé sur la rive gauche du port. Le Dédale n’est pas seulement un lieu de création et d’exposition d’art urbain (street art) mais aussi un bar et une scène ouverte aux performances artistiques. Un spot inouï dont le public dans toute sa diversité - étudiants, familles, gens chics ou bobos - s’est très rapidement emparé.
Le grand BaZH.art au DéDalE
Le grand BaZH.art au DéDalE
Pour son 30e numéro, le Grand BaZH.art a posé ses valises au DéDalE, où des graffeurs du monde entier sont venus créer des œuvres éphémères dans chacune des pièces de cet ancien bâtiment administratif.
Alexandre Pesle nous invite à le suivre dans ce labyrinthe pour y découvrir les nombreuses pièces du bâtiment, investies chacune par un artiste différent.
Trois disciplines sont convoquées pour une performance unique. La danse avec la compagnie Eskemm qui propose un mélange de hip-hop et de danse contemporaine. La musique avec Damien Tillaut, compositeur autodidacte. L’art urbain avec Franck Lesieur qui associe l’écriture au graffiti à travers ses caligraffitis.
Ensemble, ils s’inspirent des lieux pour une improvisation pluri-artistique.
L'esprit des lieux
L'esprit des lieux
par Julie Steyer *
Le DéDalE s’envisage comme un tout, un ensemble de surfaces à investir, davantage qu’une succession de travaux de différents artistes. Au-delà des murs, c’est l’intégralité du bâtiment qui devient support : les cloisons, mais aussi le toit, les plinthes, le plafond, la tuyauterie, les prises électriques, les radiateurs… Quelques vestiges de la Direction Départementale de l’Équipement subsistent dans cette œuvre totale, comme les étiquettes à l’entrée des bureaux témoignant de la présence d'un genius loci (esprit des lieux). Si le street art se retrouve ici enfermé dans un intérieur, il persiste dans son caractère dissident en prenant soin de se distinguer du modèle muséal.
Certaines œuvres attirent cependant l’attention en associant l’esthétique du graff à d’autres techniques : sculpture, création sonore...
On pense aux pigeons de la Pink Room du duo américain Hygienic Dress League, la salle noir et blanc de la lorientaise Karina dont chaque moitié est un négatif de l’autre, ou encore la méduse fluorescente révélée dans l’obscurité par une lumière noire, de l’artiste brésilien L7m.
Par ce glissement du simple graffiti vers l’installation, opéré par plusieurs artistes, le DéDalE donne à voir des œuvres qui rompent formellement avec les aspects les plus courants du genre, ceux que l’on est si habitués à voir qu’on ne remarque parfois presque pas, tant ils font partie du paysage. Dans l’imaginaire collectif, le graffiti, vu sur du mobilier urbain ou des façades de bâtiments, est souvent associé au vandalisme. Ici, tout l’espace lui est consacré, que ce soit les zones ouvertes au public ou les espaces de création, il est légitime, sans être institutionnalisé. Pour ces diverses raisons, cette exposition permet d’élargir, de renouveler notre regard sur le graff.
Enfin, on ne peut que se réjouir de la reconversion d’un bâtiment administratif en structure artistique alternative qui jusque-là manquait au paysage culturel vannetais, et permet à la ville de s’encanailler gentiment. Le divertissement se déploie jusqu’au bord du port grâce aux terrasses du DéDalE-café qui occupe une partie du rez-de-chaussée jusqu’aux pavés du port de Vannes.
* À la suite de ses études en histoire et théorie de l’art contemporain, Julie Steyer écrit sur l’art et les artistes, et pour les artistes. Elle s’intéresse tout particulièrement au commissariat d’exposition et au processus créatif des œuvres.
La Fleuj
La Fleuj
par Isabelle Nivet
Parmi les artistes exposés, chez DéDalE, galerie éphémère de graff dans la friche de la DDE à Vannes, on avait repéré La Fleuj, graffeur aux thèmes atypiques, dont le sujet principal est la teucha. Des sexes féminins ultra dessinés, ouverts par des doigts couleur céladon, aux ongles vermillon démesurés. Rencontre.
Je fais très attention à ne pas me rattacher à un mouvement ou à du militantisme. Je déteste les cases. Pas question pour La Feuj de s'insérer dans les mouvements plus ou moins féministes qui s'emparent de l'imagerie du sexe féminin depuis deux ou trois ans. Je préfère juste peindre les lignes féminines. Je ne me cache pas derrière. Moi ça fait quinze ans que je fais ça. Pas plus question, donc, de militer pour le plaisir féminin à la manière des (excellents) comptes Instagram du moment (tasjoui, mercibeaucul, jouissance.club, gangduclito...) : C'est bien qu'on parle du plaisir féminin et du clitoris, je suis à fond pour, mais mon rôle n'est pas là. Ma place c'est de peindre. Je me vois plutôt comme un témoin, un observateur participant.
La teucha, elle a toujours été là.
La Fleuj dessine des vulves et des doigts qui les écartent, comme un sujet : La teucha elle a toujours été là dans le lettrages. J'ai poussé l'idée de la féminité en la mettant en avant dans une sexualité affirmée, une femme qui assume son corps et ses gestes,
mais je la vois plutôt comme une mutante ou une extra-terrestre. C'est de l'érotisme d'aliens mutants, à l'intérieur d'une société du futur, avec des codes de vie du futur. Une imagerie de science-fiction qui constitue la base du travail de La Fleuj depuis ses débuts: Ma principale référence, dès le départ, ça a été le cinéma. Je suis un vrai cinéphage. J'ai été très marqué par Possession, de Zulawski, avec Adjani : la scène du métro, ça a été un choc pour moi, ça s'est complètement retrouvé dans mon travail. Démarré à la fin des années 90, le style La Fleuj a évolué avec le temps. Je dessinais, je me suis rattaché au graffiti, au hip hop, au rap, ça se mélangeait au cinéma. Très vite j'ai fait des trucs un peu bizarres, organiques. J'aimais bien le gore, le fantastique, qui se mélange à l'environnement sociétal français... Pour moi, la figure du monstre symbolise les rejetés, les exclus... À DéDalE, c'est la première fois qui La Fleuj travaille dans un espace recevant du public : Jusque là, c'étaient des friches, des usines, des maisons abandonnées. C'était moins visible. Je ne ferais pas ce genre de peintures dans un espace public, pour ne pas l'imposer. Sans avertissement, ça peut être délicat. On est dans une société où il y a des croyances différentes, des rapports aux corps et à la sexualité différents, tu ne peux pas t'en foutre. J'assume ce que je fais, mais je veux préserver une forme de pudeur, que ça reste intime. Je me suis toujours posé des questions sur le sujet mais je ne me suis jamais permis de la faire dans des endroits de passage. Je ne veux pas matraquer. J'aime les environnements cachés.
Depuis DéDalE, La Fleuj passe progressivement à des formes plus encadrées, apprivoisées : J'ai commencé à me détacher du graffiti et des lettrages en développant la peinture, à me détacher des codes en me rapprochant du néo muralisme, avec des portraits assez darks, dont je me suis décollé pour partir dans l'aplat, avec un ou deux teintes à la manière des rétro comics, de la BD ancienne, avec des traits noirs, de l'épure, pour farder l'essentiel, les gros plans, le cadrage. Le résultat est plus que séduisant : le mélange de l'étrangeté et de la réalisation très léchée donne des œuvres qui se balancent bien entre les genres : la pièce DéDalE qu'a investie La Fleuj a tout de la galerie d'art contemporain (et il l'a voulue comme ça), mixant image ultra nettes et volumes, sur fond très blanc : Tout doit être nickel. Je voulais une vrai proposition avec un vraie scéno : que ce ne soit pas décoratif. Le mur c'est différent : il y a la météo, la lumière, l'illégalité, les précautions, l'organisation. Dehors, ça donne une portée différente, ça ne t'appartient plus, tu ne reverras peut-être plus ce que tu as fait.
Je ne veux pas faire de la déco.
Aujourd'hui La Fleuj est en plein questionnement, et c'est un des corollaires de DéDalE qui nous avait tant interpellées : que deviennent ces artistes libres et sauvages lorsqu'ils se rapprochent des circuits plus institutionnels, ou commerciaux, de l'art ? Je passe sur toile, mais j'ai aussi envie d'explorer d'autres médiums : j'ai réalisé un film, je fais des maquillages et des effets spéciaux. Je pense que je n'arrêterai jamais le mur, parce que c'est là d'où je viens, c'est trop important, le rapport est trop fort. Mais mon objectif c'est de vivre de mon travail. Il faut se faire violence pour se vendre, et c'est compliqué : je ne veux pas faire de déco, plaire à quelqu'un, répondre à des commandes, mais en même temps que dire lorsque quelqu'un vient te voir pour te demander un truc qui ressemble à quelque chose que tu as déjà fait ? Je voudrais arriver à créer, ce que moi, j'ai envie de créer...
Réveiller les décombres
Réveiller les décombres
Vidéo 1 >
Le DéDalE à son point de départ (les locaux avant l'arrivée des artistes).
TÉLÉRAMA >>> À Vannes, le succès du street art réveille les décombres. La programmation permet de belles découvertes en faisant la part belle aux artistes locaux, méconnus sur la scène parisienne car DéDalE a le mérite de ne pas seulement miser sur les têtes d’affiche. On retient par exemple Greky dont l’abstraction découle du graffiti, La Fleuj et son univers érotico-porno fait de créatures mutantes au doigté explorateur. Une approche de la sexualité crue qui fait du bien face au street art tarte à la crème qui sévit de nos jours.
Vidéo 2 >
La DDE transfigurée en DéDalE.
SORTIES DE SECOURS >>> Comme dans un zoo, le street art est-il en train de se faire mettre en cage ? De l’insoumis au docile, de l’extérieur à l’intérieur, du spontané à la commande, sortis de la rue, les artistes conserveront-ils leur liberté de créer, confrontés au politiquement correct ? Y a-t-il risque de domestication, compromission, ou pire, tentation d’appliquer une recette : faire du graff qui ressemble à du graff ? À DéDalE, on semble être à l’abri, dans tous les sens du terme. Styles et techniques diffèrent : du graff académique – presque du répertoire – à l’installation, de l’anamorphose au volume, du monochrome au fluo, de l’épure contemporaine au fouillis.
Vidéo 3 >
Interview de Laurent Sanchez dans le Grand BaZH.art de janvier 2018.
STREETCOUNTDOWN >>> Petit à petit le street art fait son nid. Au loin depuis le rond-point, dans la cour du collège Jules Simon, dans le tunnel entre le Palais des arts et le centre ville... un aperçu du street art dans les espaces publics de Vannes.
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