Chambre photographique
KEROMAN, MÉCANIQUE GÉNÉRALE
KEROMAN, MÉCANIQUE GÉNÉRALE
par Daniel Challe
Entre 2016 et 2018, j’ai exploré avec une chambre photographique la base de sous-marins et le port de pêche de Keroman à Lorient. Sillonnant ce territoire et ses mutations, j’ai figuré le monde du travail maritime, oscillant entre les traces du passé, l’histoire, et le présent et ses mutations.
Hangars d’activités nouvelles, constructions navales, pôle de courses au large à la voile, visages et corps, objets, machines : tout est signe d’un nouveau monde qui advient, de ces devenirs en ce lieu terrestre ouvert à l’immensité et à l’inconnu de l’océan.
L’exposition Keroman/Mécanique Générale retrace ce mouvement et ces restructurations en cours à Lorient, qui modifient les activités humaines, le monde du travail, le paysage urbain et son architecture.
La photo documentaire
La photo documentaire
par Isabelle Nivet
On démarre par la rue Henri Estier, l’endroit où tout a commencé pour cette série de photos, où pelleteuses et camions s’affairent à déblayer les gravats de ce qui a donné son titre à l’exposition : Keroman mécanique générale. Disparue la façade de cet ancien atelier de réparation mécanique une magnifique typo que j’ai photographiée en 2016. Ici, ça correspond tout à fait à cette idée de mon travail : un lieu en perpétuelle mutation, avec des choses anciennes qui sont détruites, et que la photographie va conserver, et des choses nouvelles, qui vont apparaître. Le titre évoque ce mouvement, comme une roue qui tourne sans cesse. Un camion nous chasse, nous abordons l’entrée du port de pêche tandis que la petite pluie fine vient nous poudrer le nez et les cheveux, on traverse en direction des quais.
Daniel nous fait remarquer les lignes, la géométrie des lieux, les couleurs des sécantes, les détails graphiques, le ballet des ouvriers comme des Playmobils casqués, presque du time-lapse. On cherche à entrer dans la criée, on essaye une porte, une autre. Tout est fermé jusqu’à ce que l’une d’entre elles s’ouvre. Les néons faiblards donnent une ambiance étrange, les flaques laissées par le nettoyage à haute pression renvoient leur lueur crépusculaire, les tapis roulants strient l’espace comme des sabres de métal, le bitume noir brillant parachève le tableau de ce labo clinique. Nous faisons face aux sièges de plastoc orange où s’assoient les acheteurs : La criée est vivante tôt le matin, vers 4 ou 5 heures.
Je suis venu ici avec ma chambre (un dispositif de photographie argentique très volumineux, ndlr) j’avais installé mon pied, il y avait tous les mareyeurs, qui étaient devant moi, avec les caisses à poissons et crustacés qui passent sur ces rails. J’ai fait une première photo et quand je l’ai développée je me suis aperçu qu’elle était complètement floue, parce que je n’ai pas la souplesse de la photographie numérique, en terme de sensibilité, donc j’ai dû revenir avec des grosses boîtes à lumière et je me suis installé face à ces hommes et ces femmes. Avec une chambre, je ne passe pas inaperçu, ça a permis de me faire connaître des gens, et quand je travaillais, on me reconnaissait.
On ressort, la porte claque, les mouettes, les grues, l’eau sombre, notre regard traverse le bassin pour se poser sur le K3, massif et puissant, il ne manque plus qu’une berline aux vitres fumées pour parfaire l’ambiance polar. La base de sous-marins j’ai pu monter sur son toit et faire des vues générales qui nous permettent d’avoir un point de vue sur Keroman et de bien lire la manière dont les nouveaux blocs d’architecture contemporains sont insérés au milieu. Ce sont des lieux que j’ai fréquenté un à un. J’ai beaucoup travaillé dans le K2, c’est là qu’il y a les entreprises de construction navale. J’y ai fait des portraits de gens au travail. Ce sont des lieux qui sont très beaux.
On repique le micro à Daniel pour lui demander quel a été son parti pris artistique, s’il y a une notion de série, une identité spécifique : L’outil en lui-même, la chambre, force à penser des cadrages précis... La lenteur aussi, le fait de travailler sur la durée, c’est presque deux années de travail pour 400 photos, donc ça donne un peu la dimension, par rapport à un téléphone portable ! Dans un lieu comme ça, huit heures de travail, c’est dix photos, pas plus. J’ai travaillé au départ de manière intuitive, en m’imprégnant des lieux, puis ça s’est construit... Il y a quatre grandes séries : les paysages, les vues topographiques, un peu larges, qui décrivent le lieu ; les architectures et les intérieurs, plus proches ; les portraits posés de gens au travail, et puis les natures mortes, objets, machines, détails. Petit à petit le parti pris ça a été un photographe qui travaille sur le travail, le travail industriel. Moi j’inscris ça dans ce que j’appelle la photo documentaire, mais c’est une photographie artistique, puisque par le cadre, les couleurs, la composition, il y a beaucoup de rapport à des peintres, des photographes, des cinéastes, qui sont importants pour moi, dans mon imaginaire...
MALANSAC, UN PORTRAIT PHOTOGRAPHIQUE
MALANSAC, UN PORTRAIT PHOTOGRAPHIQUE
par Daniel Challe
Je m’intéresse à la manière dont les hommes habitent et forgent l’espace. Ma pratique documentaire de la photographie me permet d’œuvrer à la compréhension de l’organisation et de l’évolution des paysages et du territoire. Je propose un portrait de Malansac à travers quelques grandes thématiques : des vues de la ville (habitations, rues et monuments), des activités humaines et des intérieurs (commerces, entreprises, agricultures, loisirs), des portraits (individuels, collectifs, de famille) et des paysages (en particulier ceux des anciennes ardoisières).
La série de photographies intitulée Malansac, un portrait photographique, a été réalisée dans le cadre d’une résidence en milieu scolaire à l’école Les Tournesols
qui s’est déroulée entre novembre 2017 et mai 2018. En plus d’avoir mené des temps d’atelier avec les élèves de CE2 et CM1, je suis allé à la rencontre de Malansac, de son territoire et de ses habitants, pour m'imprégner de l’histoire des lieux. Je suis un arpenteur. Quand je voyage, je me fixe quelque part et j’observe, je rencontre. Pour moi tout endroit du monde est passionnant à partir du moment où on s’y intéresse vraiment.
Pour cette série j’aborde également l’alternance de la couleur et du noir et blanc, deux moyens d’écriture photographique que je mets à contribution pour révéler des instants de vie, des fragments d’histoires, des espaces intimes ou collectifs, des lieux de passages, de loisirs, de labeurs ou d’échanges. Ce qui me permet de poser un regard neuf sur Malansac, un regard révélateur de l’identité d’un lieu et de ses habitants.
DANIEL CHALLE
DANIEL CHALLE
Daniel Challe est né en 1961, il vit et travaille sur le territoire de Lorient.
Son travail s’élabore principalement sous forme de séries consacrées aux paysages naturels ou urbains, à la figure humaine dans son milieu (espaces de travail, espaces domestiques, lieux de loisirs), à l’architecture.
Son approche du paysage est indissociable de la marche et de la lenteur nécessaires à une juste appréhension du monde. Arpenter le paysage dans une démarche documentaire, parcourir les routes, les chemins et les rivières, quadriller le territoire le conduisent à interroger la représentation du paysage et celle des hommes qui l’habitent. Les photographies de Daniel Challe semblent prendre leur temps ; sans pathos ni idéalisation, elles révèlent avant tout l’attention portée à un environnement et invitent à la rêverie du promeneur.
Un pied de nez au progrès technologique
Un pied de nez au progrès technologique
OUEST-FRANCE >>> Ne vous étonnez pas si vous le croisez, se promenant, avec sa chambre photographique sur l’épaule. Car ce photographe, qui a été formé il y a 30 ans à l’École nationale de la photographie d’Arles, ne travaille qu’à la chambre, ce drôle d’appareil sur pied avec son drap noir. Tout en argentique, pour la finesse et la qualité des images. La chambre crée un rapport différent avec le modèle, explique l’artiste, à la démarche orientée vers l’histoire et les gens.
RADIO BALISES >>> Le port de Lorient se révèle entre vision d’artiste et documentaire, un regard que Daniel a partagé avec nous, lors d’une balade accompagnée par les cris des mouettes…
LES ÉCHOS >>> Longtemps condamnée à disparaître sous la poussière des musées, la chambre photographique retrouve aujourd'hui ses lettres de noblesse. Cet appareil grand format imaginé au XIXe siècle est remis au goût du jour par la création contemporaine, tel un pied de nez au progrès technologique, selon lequel une innovation en chasse toujours une autre.
L'OUEST EN MÉMOIRE >>> 1974 Le port de Lorient - Le calier, le panneautier, le treuilliste, le déverseur, la trieuse, le docker... cinq cents personnes sont les manœuvres de cette industrie, industrie parce que le folklore est mort. Le marin ridé, la chique sous la casquette a fait place aux techniciens en électronique, aux soudeurs, aux spécialistes. Lorient, cinquième port de pêche fraîche européen, c'est 80 000 tonnes de poisson en 1974. Mais demain, de quoi sera-t-il fait ?
COMMENTAIRES