Si loin si proche
L’armure du chevalier médiéval est ancrée dans nos imaginaires. Elle fascine, évoquant un homme-machine qui préfigure l’androïde-tueur de la science-fiction contemporaine.
Abraham Poincheval, artiste-performeur, s’empare de cette figure pour jeter le désarroi dans la campagne bretonne. Harnaché d’une cuirasse de 30 kilos, privé de cheval, Poincheval ère par les chemins et débarque ici et là, irruption inopinée qui déclenche toutes sortes de réactions que le réalisateur Matthieu Verdeil se charge de récolter au fil des kilomètres.
Curieusement le choc des temporalités opère dans les deux sens. Le chevalier fait tache dans l’environnement moderne, mais le décor contemporain - pavillons, épicerie, bistrot, etc. – se met lui aussi à sembler décalé.
Le chevalier est à la fois étranger et proche, preuve en est l’intérêt que lui accordent les villageois qui attendent des explications que Poincheval fournit avec bonhomie. Comme quoi un cœur sensible palpite sous l’armure. Un paysan qui peine à comprendre la démarche finit par conclure : T’es un peu en réinsertion sociale si je comprends bien. Une réflexion qui ne manque finalement pas de bon sens.
DANS L'ARMURE D'ABRAHAM
DANS L'ARMURE D'ABRAHAM
de M. Verdeil, J. Van Quynh et D. Poupardin (2020 - 61')
Vêtu d’une lourde armure médiévale, Abraham Poincheval traverse la Bretagne à pied, tel un Don Quichotte du 21e siècle. Il est accompagné dans son périple par le réalisateur, son Sancho Panza, devant et derrière la caméra. Absorbé par son œuvre, l’artiste s’efface finalement derrière le personnage qu’il a créé. Seul reste un chevalier errant, menant une quête insensée.
>>> un film coproduit par Tita productions et A7 production
SELECTIONS:
FIFIGROT Toulouse 2021
FILAF Perpignan 2021
Remuer le sensible
Remuer le sensible
par Matthieu Verdeil
Mon premier contact avec l’œuvre d’Abraham Poincheval remonte à l’été 2007 : lors d’une exposition il s’était fait emmurer dans une cellule pendant trois semaines, hors du regard des spectateurs. Cinq ans plus tard, il se terre dans un trou fermé par un gros rocher, dans le sol d’une galerie. Stupeur ! Cette expérience artistique suscite en moi une émotion qui va au-delà de l’art. Elle réveille une angoisse universelle : celle d’être enterré vivant.
Par la suite, chacun de ses projets provoque chez moi des sensations physiques, des émotions fortes, des interrogations. Son travail Pierre réveille ma claustrophobie, me donne la sensation d’étouffer. C’est aussi la question du temps qui passe, trop vite, contrepoint du temps minéral. La vigie me donne le vertige. Œuf c’est la patience, le ralentissement, le non-sens. Bouteille c’est l’ivresse d’un emprisonnement exhibitionniste. Gyrovague me questionne sur les buts du voyage et me renvoie au mythe de Sisyphe. L’Ours, c’est l'absorption de l’artiste par l’œuvre.
Loin de toute théorie, Abraham va chercher dans le sensible ce qui peut nous remuer. Dans un monde où tout a été quantifié, mesuré, inventorié, il explore un univers à la fois inconnu et si proche de nous. Il accomplit des actes qui marquent les esprits, nous terrorisent ou nous fascinent, mais que nous n’oserions jamais faire. Quand certains n’y voient que de la folie, j’y vois du génie. L’idée de travailler avec lui germe en moi, afin de comprendre ce qui anime cet homme. En 2016, missionné par le Palais de Tokyo pour réaliser une vidéo pour sa future exposition, je rencontre à nouveau celui que la presse appelle le Performeur de l’extrême. Conquis par sa simplicité et par ses rêves, je décide de travailler avec lui. Pour moi il amène l’art hors du cercle des initiés.
Abraham Poincheval
Abraham Poincheval
Abraham Poincheval est un explorateur insatiable. Qu'il s'agisse de traverser les Alpes en poussant une capsule qui lui sert d'abri ou de s'enfermer une semaine dans un rocher, ses expéditions, itinérantes ou statiques, nécessitent un engagement total du corps. Les sculptures habitables que l'artiste conçoit sont des laboratoires au moyen desquels il fait l'expérience du temps, de l'enfermement ou de l'immobilité.
Elles sont l'enveloppe qui accueille le performeur, l'objet qui perturbe le paysage et qui existe à travers les récits des témoins. Les œuvres et performances d'Abraham Poincheval font régulièrement l'objet d'expositions en France et à l'international. En 2017, le Palais de Tokyo l'invite pour une exposition personnelle durant laquelle deux nouvelles performances le conduisent à expérimenter les temporalités des règnes animal et minéral Pierre et Œuf. En 2019, il participe à la quinzième Biennale de Lyon où est projeté pour la première fois son film Walk on clouds.
Matthieu Verdeil
Matthieu Verdeil
Depuis 1997, Matthieu Verdeil travaille pour la télévision, la communication, les institutions et le web, principalement en tant que chef-opérateur mais également en réalisation et en montage. Son domaine de prédilection est le secteur culturel et artistique. Il a réalisé des films de commande pour le MuCEM, la Belle de Mai, le Centre national des arts plastiques, KLAP-maison pour la danse, le Palais de Tokyo, le CIRVA centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques... Dans le cadre de ces commandes, ou pour des reportages télé, il a filmé de nombreux artistes ou leurs œuvres : Abraham Poincheval, Joep Van Lieshout, Olafur Eliasson, Roger Ballen, Moussa Sarr, Fernando Botero, Alexandre Perigot...
Jérémie Van Quynh
Jérémie Van Quynh
En 2007, Jérémie Van Quynh entame une carrière de preneur de son en documentaire et reportage. Au fil des tournages, c'est une mosaïque du monde qui se dessine sous ses yeux et son micro. Après 3 ans de tournages en tous genres, il décide de mettre aussi son goût pour la bidouille sonore et visuelle, et son appétence pour la vie des autres au profit de ses propres réalisations. Courts métrages expérimentaux et documentaires d'artistes passent sous ses mains. Au bout de 10 ans à travailler sa patte artistique, il part étudier le scénario de documentaire à Lussas. A partir de là, on vient le chercher pour son goût pour la dramaturgie en plus de ses geekeries. Il collabore ou co-réalise plusieurs films à l'écriture, au son, à l'image, au montage, aux effets spéciaux avec comme seul unique point de mire : le sens. C'est en assemblant des images, des sons et des mots qu'il jubile et qu'il souhaite apporter la même jubilation au spectateur avec ses trouvailles.
Dominique Poupardin
Dominique Poupardin
Une maîtrise d’histoire en poche, Dominique Poupardin entame une carrière de journaliste reporter d’images pour TF1, France TV et de nombreuses chaines étrangères. 20 ans plus tard, après avoir arpenté la France, il bifurque vers la réalisation de documentaires. Un cheminement qui l’amène à s’intéresser au monde du travail. Pour ce film, dont il est auteur, réalisateur et monteur, c’est le travail de l’artiste et sa place dans la société qu’il a souhaité explorer. Un travail effectué de concert avec Jérémie Van Quynh et Matthieu Verdeil.
Défis extrêmes
Défis extrêmes
FRANCE INFO >>> L'artiste performeur Abraham Poincheval est arrivé lundi matin à Brest, mettant ainsi fin à son périple de 120 km à pied. Vêtu d'une armure de 30 kg, cet habitué des performances spectaculaires a mis dix jours pour finir son voyage, tel un chevalier errant.
LE POINT >>> Le défi ne surprend plus quand on connaît les performances hors norme de l'artiste. Abraham Poincheval va se glisser mercredi dans un bloc de pierre de 12 tonnes, une cavité en forme de silhouette humaine pour huit jours d'empierrement, nouvelle expérience extrême de cet artiste qui ose tout.
PALAIS DE TOKYO >>> Je conçois le temps de mes performances comme un voyage terrestre intérieur. Ma démarche est de savoir par moi-même ce qu’il en est du monde, un peu à la manière du Candide de Voltaire.
FRANCE BLEU >>> L'artiste de l'extrême Abraham Poincheval a réussi son défi : donner naissance à un poussin après trois semaines de couvaison. C'est plus compliqué qu'il n'y paraît. Le performeur marseillais a dû puiser dans ses réserves physiques et mentales.
24 janvier 2022 20:47 - Allen Chantal
Extraordinaire, j'ai hurlé de rire et pleuré d'émotions. Merci