Voir du pays
-
Diffusion terminée
Delphine et Muriel Coulin ont grandi à Lorient, ville militaire. C’est ainsi qu’a germé en elles le désir de faire un film sur les femmes engagées dans l’armée et confrontées à la violence de la guerre. Leur long métrage Voir du pays, prix du meilleur scénario dans la sélection Un certain regard au dernier festival de Cannes, sortait en salle le 7 septembre 2016.
VOIR DU PAYS
VOIR DU PAYS
un film de Delphine et Muriel Coulin (2016)
Oublier la guerre en trois nuits d’hôtel
À Chypre, un palace cinq étoiles reçoit pendant trois jours les soldats français qui ont combattu en Afghanistan. Jeux, sport, boîtes de nuit, mais aussi debriefings intenses, pour évacuer la tension et rendre moins rude l’atterrissage en France. Dans ce dispositif que l’armée a réellement mis en place depuis quelques années pour lutter notamment contre le stress post-traumatique, les sœurs Delphine et Muriel Coulin expliquent avoir plongé deux femmes fortes : Aurore, l’actrice Ariane Labed, et Marine, la comédienne et chanteuse Soko. Même dans un cinq étoiles, c’est pas en trois jours qu’on va oublier la guerre, lance l’une des deux femmes au début de ce film tout en tension, qui flirte parfois avec le thriller.
Car dans ce décor de Disneyland, au milieu des touristes en maillot de bain, on ne se lave pas si facilement de ses blessures de guerre. Les haines ressurgissent, parfois les poings sortent.
Tourné par deux sœurs, à qui l’on doit déjà 17 filles (2011), comédie sociale sur un groupe d’adolescentes qui tombent toutes enceintes en même temps, Voir du Pays parle aussi de la condition des femmes en treillis.
Pour Aurore et Marine, c’est la double peine : comme les hommes, elles doivent se soumettre à de pénibles séances de debriefing collectif avec des lunettes de réalité virtuelle, où elles revivent le pire de leur guerre. Mais contrairement à eux, elles n’échappent jamais au contrôle du groupe : pendant que les garçons se lâchent (On passe de la burqa au string, lance un soldat en pointant des filles dans la piscine de l’hôtel), elles restent sous leur surveillance, moquées voire menacées si elles enfilent une robe. On avait beaucoup de préjugés sur l’armée et les militaires, mais nous avons essayé de ne pas être manichéennes. Dans le film, la violence ne cherche qu’à sortir, mais on ne sait jamais quand, explique Delphine Coulin, l’une des réalisatrices et auteur du livre dont est tiré le film.
Les deux sœurs, qui travaillent en synergie, se sont longuement documentées, s’immergeant dans des casernes et rencontrant de nombreux militaires. D’anciens soldats jouent aux côtés des acteurs professionnels, conférant au film une belle authenticité.
mettre à distance les souvenirs douloureux
mettre à distance les souvenirs douloureux
Que voit-on à la guerre ? Pas grand chose. D’abord, parce que les moments d’inaction, au camp, sont nombreux. Ensuite, parce que quand ça cartonne, on ne voit rien – on sauve sa peau. Enfin, parce que comme dans tout événement, chacun ne voit que sa part des choses, et a une vision partielle de la réalité. Au cours des trois jours de sas, Aurore et Marine vont participer à des séances de débriefing qui vont les faire revenir sur ce qu’elles ont vu. Les psychologues utilisent des outils vidéo de réalité virtuelle. Grâce à un logiciel de jeu vidéo, les informaticiens recréent en temps réel les images correspondant aux récits des militaires.
Objectif
Le but est de mettre à distance les souvenirs douloureux grâce aux mots et aux images. Les outils de simulation vidéo sont les mêmes que ceux qui sont utilisés lors de l’entraînement avant de partir au combat. Les soldats connaissent donc ces outils par cœur, d’autant qu’ils sont par ailleurs jeunes, et souvent amateurs de vrais jeux vidéo dans leurs heures de loisir. Plus encore que le livre dont le scénario est tiré, le film nous semble indiqué pour traiter de ces questions, puisqu’il permet de montrer ces différentes sources d’images : simulateur, jeu vidéo, images d’actualité. Car dans ce décor de Disneyland, au milieu des touristes en maillot de bain, on ne se lave pas si facilement de ses blessures de guerre. Les haines ressurgissent, parfois les poings sortent.
Tourné par deux sœurs, à qui l’on doit déjà 17 filles (2011), comédie sociale sur un groupe d’adolescentes qui tombent toutes enceintes en même temps, Voir du Pays parle aussi de la condition des femmes en treillis.
Pour Aurore et Marine, c’est la double peine : comme les hommes, elles doivent se soumettre à de pénibles séances de debriefing collectif avec des lunettes de réalité virtuelle, où elles revivent le pire de leur guerre. Mais contrairement à eux, elles n’échappent jamais au contrôle du groupe : pendant que les garçons se lâchent (On passe de la burqa au string, lance un soldat en pointant des filles dans la piscine de l’hôtel), elles restent sous leur surveillance, moquées voire menacées si elles enfilent une robe. On avait beaucoup de préjugés sur l’armée et les militaires, mais nous avons essayé de ne pas être manichéennes. Dans le film, la violence ne cherche qu’à sortir, mais on ne sait jamais quand, explique Delphine Coulin, l’une des réalisatrices et auteur du livre dont est tiré le film.
Les deux sœurs, qui travaillent en synergie, se sont longuement documentées, s’immergeant dans des casernes et rencontrant de nombreux militaires. D’anciens soldats jouent aux côtés des acteurs professionnels, conférant au film une belle authenticité.
Remplacer la merde par des images bien propres
Remplacer la merde par des images bien propres
Caroline Besse, Télérama >>> Réticence du cinéma français à traiter les conflits de façon frontale : nous avons rencontré les deux réalisatrices pour parler avec elles de cinéma de guerre.
Thomas Sotinel, Le Monde >>> Un avion plein de passagers en uniforme, les yeux couverts de ces masques bleus qu’on distribue en classe économique. L’aéronef des aveugles transporte la compagnie (au sens spectaculaire comme au sens militaire) qui habitera Voir du pays, film qui regarde de près, avec une curiosité dépourvue de pitié comme de cruauté, un grand corps que le cinéma français répugne généralement à filmer : l’armée…
N. S., Le Figaro >>> Au programme du sas de décompression : sport, relaxation et débriefing collectif… en présence de psychologues. Mais les soldats ont vu la mort de près, ils ne souhaitent pas s’exprimer, revivre le cauchemar. Il y a ceux qui parlent trop et ceux qui choisissent de se taire, ceux qui se maîtrisent et ceux dont les réactions sont imprévisibles. L’obligation de revivre un épisode particulièrement douloureux va générer des conflits au sein du régiment. On a de la merde dans la tête, ce n’est pas au bout de trois jours qu’on va oublier la guerre… Ils pensent juste remplacer nos souvenirs par des images bien propres, râle Marine.
Élisabeth Franck-Dumas, Libération >>> « Voir » après coup et en réalité virtuelle ce que l’on a été incapable d’appréhender in vivo est un paradoxe que le film relève, filant la métaphore de la vision et de l’aveuglement dès le premier plan : un avion plein de militaires portant des masques pour dormir. On comprend rapidement le dérisoire du projet de décompression, tant les traumatismes rapportés ne sont pas du genre à s’évacuer avant une pina colada ornée d’ombrelles en papier. Ce qui doit arriver arrivera, c’est hors de la salle de réunion que ça pétera, mais pas forcément de la manière imaginée.
ENTRETIENS
ENTRETIENS
Le Télégramme >>> Le film est tiré de votre roman Voir du pays. L’avez-vous écrit en imaginant une adaptation au cinéma ?
Delphine Coulin : Jusqu’ici, je distinguais vraiment mes deux activités, de romancière et de cinéaste. C’était deux vies parallèles. En fait, quand Eric Toledano et Olivier Nakache (les réalisateurs d’Intouchables) ont acquis les droits de mon roman « Samba pour la France », Muriel a vu que j’étais décomplexée sur les changements réalisés sur mon livre, je n’étais pas crispée. C’est d’ailleurs elle, c’est ma première lectrice, qui a proposé de porter Voir du pays à l’écran. Mais lors de l’écriture, je n’avais pas en tête une adaptation.
Delphine et Muriel Coulin + Soko et Ariane Labed lors du festival de Cannes
Les mêmes à l’émission de Laurent Ruquier, On n’est pas couché en direct de Cannes
VOIR DU PAYS, LE ROMAN
VOIR DU PAYS, LE ROMAN
Avant d’être un film, Voir du pays était un roman de Delphine Coulin édité par Grasset.
REPORTAGES
REPORTAGES
Les journalistes Agathe Mahuet et Bénédicte Weiss se sont rendues en 2013, pour l’Obs-rue89, dans le sas de décompression de Chypre pour le restituer en six images commentées. Piscine à Chypre, le sas de décompression des soldats du Mali
Jean-Paul Mari a été le premier journaliste, en 2009 pour le site Grands reporters, à observer l’expérience du « sas de Chypre ». Des vacances ? Non, une nouvelle mission : apprendre à décompresser et retrouver un quotidien sans guerre.
DELPHINE ET MURIEL COULIN
DELPHINE ET MURIEL COULIN
Delphine et Muriel Coulin grandissent à Lorient en Bretagne. Muriel devient assistante caméra sur des films de Louis Malle, Diane Kurys, Krzysztof Kieslowski, Aki Kaurismäki, Emmanuel Finkiel et Carol Wiseman. Delphine coproduit des documentaires pour Arte avant de se lancer dans l’écriture.
Ensemble, elles écrivent et réalisent les courts métrages Il faut imaginer Sisyphe heureux (1997), Souffle (2000), Germain (2002) et Roue libre (2002) où elles filment la rencontre des générations, les prises de conscience, la réalité sociale et les rêves ultimes.
Muriel devient directrice de la photographie et Delphine gravit les marches du succès avec ses romans La Trace (2004), Une seconde de plus (2006), Les Mille-vies (2008) et Samba pour la France (2011). Muriel réalise des documentaires dont un portrait d’Olivier de Kersauzon pour la collection télévisée EMPREINTES (2008). Elles se retrouvent pour Seydou (2009), le court portrait documentaire d’un immigré clandestin.
Un fait-divers survenu dans une ville des Etats-Unis en 2008 sert de canevas à leur premier long métrage de fiction lancé à la Semaine de la Critique cannoise : 17 filles (2011) suit les pas de lycéennes d’une ville de bord d’océan qui font le pacte de toutes tomber enceintes la même année, au grand dam de leurs copains et de leurs familles. En 2016, elle sortent leur deuxième long métrage, Voir du Pays, présenté au Festival de Cannes 2016.
COMMENTAIRES