La traite des agriculteurs
Le dernier des laitiers c’est un peu Le dernier des Mohicans, l’histoire de l’extinction d’une espèce : le paysan. À sa manière désormais bien rodée, Mathurin Peschet entre dans le monde des producteurs de lait avec une question : Restera-t-il un seul laitier dans le Finistère en 2050 ? Cette interrogation, naïve en apparence, lui permet d’enquêter sur les différents modèles économiques en cours dans le monde sans pitié de la mondialisation. Il en va dans le lait de vache comme dans l’agriculture en général, avec des producteurs pris entre le marteau de la dette à rembourser et l’enclume du cours de la matière première. Il y a toujours de nouvelles générations de matériel supposé alléger la charge du fermier et une banque disposée à leur prêter ce qu’il faut pour se moderniser. Vient ensuite l’obligation d’augmenter le cheptel pour courir après un impossible équilibre financier. Un système implacable qui entraîne chaque année son lot de réformés, bons pour la casse.
À côté de cela, quelques irréductibles ne rentrent pas dans la combine, gardent un petit troupeau, font de la polyculture et vendent en circuit court. Curieusement, ceux-là s’en sortent mieux que leurs collègues.
LE DERNIER DES LAITIERS
LE DERNIER DES LAITIERS
de Mathurin Peschet (2020 - 52')
Et si en 2050, dans le Finistère, il ne restait plus qu’une poignée de producteurs de lait, à la tête de dizaines de milliers de vaches enfermées dans des bâtiments en compagnie de robots ? Le rythme actuel des disparitions de fermes conduit tout droit à l’extinction des laitiers tels qu’ils existent aujourd’hui. Est-ce inéluctable ? Mathurin Peschet a fait ce film pour ne pas s’y résigner.
>>> un film produit par .Mille et Une. Films
La guerre du lait
La guerre du lait
par Mathurin Peschet
Au printemps 2015, près de chez moi, sont apparues sur le bord des routes de larges inscriptions : Guerre du lait ! L’Europe venait d’enterrer les quotas laitiers qui régulaient la profession depuis 1984. À ce moment-là, je venais de terminer le documentaire Cousin comme cochon où j’avais été confronté à une crise sévère de la filière porcine. Avec Le dernier des laitiers, je m’inscris dans une continuité, après les cochons, les algues vertes et la carburation à l’huile végétale. Des projets qui m'avaient plongé dans un univers que je ne connaissais pas, moi le citadin, sans lien direct avec les paysans.
Film après film, mon attachement pour ce milieu grandit et je veux continuer à creuser ce sillon. Mon travail se confronte au décalage qui s’est installé entre le monde urbain et le monde paysan. J’essaie de retisser des liens entre ces deux mondes.
Ce milieu rural que je côtoie depuis quelques années est bouleversé par des crises récurrentes qui sont à la fois économiques, sociales et existentielles. Quel sens y-a-t-il à produire quand on ne vit pas de ses revenus parce que les prix sont trop bas, quand on assiste à la faillite de beaucoup d’exploitations, quand on voit les campagnes se vider ? Depuis 2015, les panneaux Guerre du lait ! ont été rangés dans les hangars mais le processus qui élimine les fermes est toujours en cours, insidieux.
Dans le Finistère comme ailleurs, le mouvement de concentration des exploitations laitières ne date pas d’hier. En 1970, environ 30 000 fermes y faisaient du lait. Aujourd’hui, il en reste moins de 2 500 ! Soit 12 fois moins pour un volume produit comparable. Les données du nombre de fermes laitières forment ainsi une courbe exponentielle décroissante qui, si le phénomène devait se poursuivre, aboutira à une seule méga exploitation laitière à l’horizon 2050. Projetons-nous un instant dans cet avenir dystopique : il ne reste plus désormais en Bretagne que quelques gigantesques usines à lait, avec des dizaines de milliers de vaches parquées sous des hangars 365 jours par an. Entourées de robots qui les surveillent et s’occupent d’elles, elles sont nourries aux concentrés, majoritairement à base de maïs et de soja sud-américain OGM. Dans les campagnes, le désert social s’est installé, avec un monde rural complètement déstructuré et des milliers de personnes au chômage ou en reconversion. Prophétie apocalyptique ? Autour de chez moi, les prémices de ce futur sont déjà là et c’est ce qui motive mon film.
Le film s’inscrit dans un moment crucial pour les laitiers. La fin des quotas a sonné le glas d’une longue période de régulation administrée et provoqué l’accélération de la concentration et de l’automatisation du secteur. Désormais s’ouvre un nouveau chapitre. Après les poulets et les cochons, ce sont les vaches qui sont invitées à suivre le chemin des fermes-usines. Au menu : bâtiments concentrationnaires, animaux enfermés, protéines végétales importées et gestion d’élevage rationalisée. Le gigantisme agricole est déjà là, incarné par l’irruption récente à Carhaix de la plus grande usine de lait infantile d’Europe appartenant au groupe chinois SYNUTRA. Ce projet pharaonique oriente toute la filière vers la voie industrielle.
Lors de mes repérages, j’ai constaté les transformations en cours. Les fermes sont de plus en plus éloignées les unes des autres et les agriculteurs toujours plus seuls. L’exploitation nouvelle, celle qui subsiste, s’agrandit et se modernise, avec le plus souvent l’apparition des robots qui marquent l’entrée de l’agriculture dans l’ère de l’intelligence artificielle. Fini les vaches qui s’en vont pâturer au loin, elles sont ramenées progressivement autour des robots. Dans cette histoire, l’homme se voit peu à peu remplacé par les machines.
Un moment m’a marqué lors d’une visite dans l’une de ces grandes stabulations. Les vaches auxquelles je tendais la main se détournaient de moi. Seules avec des robots 24h sur 24, elles se déshabituent de l’homme, elles nous oublient. Un autre fait m’a interpellé, c’est que les vaches perdent progressivement leurs noms. Beaucoup de laitiers les appellent encore individuellement au moment de la traite, quand d’autres, à cause du nombre, sont déjà passés au matricule. C’est le cœur même de leur métier qui change, avec un rapport aux animaux qui s’appauvrit. Il y a pourtant là quelque chose de précieux à préserver, un trésor que les producteurs de lait détiennent encore. Ils connaissent leurs animaux, les sentent, voient tout de suite si quelque chose ne va pas... C’est ce lien qui donne du sens à leur métier et fait qu’ils sont encore des paysans et pas de simples exploitants agricoles. Certains résistent. Refusant la fuite en avant, ils expérimentent de nouvelles voies pour continuer d’exister : l’autonomie, la diversification, les circuits courts ou encore l’agriculture biologique.
Cette histoire n'est pas qu’une simple histoire de lait. Dans l’ensemble de l’agriculture et dans bien d’autres secteurs économiques, la concentration des acteurs et l’automatisation des activités est à l’œuvre, sans qu’il semble possible de revenir en arrière. En approfondissant une situation précise à l’échelle de mon département, j’explore un phénomène qui résonne beaucoup plus largement et qui questionne notre rapport au monde. Je veux aller à la rencontre des derniers des laitiers tant qu’il est encore temps, avec le désir assumé de chercher des raisons d’espérer en un avenir moins déshumanisé et d’apporter ma pierre à l’édifice.
Mathurin Peschet
Mathurin Peschet
Installé à Douarnenez, Mathurin Peschet a derrière lui une longue expérience de la caméra. Loueur, chef-monteur, puis réalisateur, ses documentaires sont souvent liés aux questions environnementales. Il est notamment le réalisateur de L’enfer vert des Bretons (2012) sur les algues vertes, Cousin comme cochon (2015) sur la filière porcine en Bretagne, deux fois primé en festivals ou encore Les convoyeurs du vent (2019) sur le transport de marchandises à la voile. Il participe à des magazines, notamment pour Littoral de France 3 Bretagne dont il a réalisé Des Bretons au secours des migrants ou Voyage dans les grottes marines (2018).
Industrie laitière en péril
Industrie laitière en péril
FRANCE 3 >>> Laiteries coopératives ou privées, le secteur est au centre du malaise agricole. Il est très difficile de briser la loi du silence sur les conditions de travail qui règnent dans le milieu. Myriam et Ronan ont choisi d’arrêter début 2019. Je ne me sentais pas du tout de continuer avec un système intensif. Je ne donnais plus de sens au boulot, témoigne Myriam.
LA CROIX >>> Des producteurs témoignent d’un quotidien âpre, soutenable grâce à la passion qui les animent. D’autres ont renoncé à l’élevage, n’acceptant pas de se soumettre à un système agroalimentaire mondialisé qui pousse à produire toujours davantage.
LE POINT >>> En 2018, Cash Investigation réalise une enquête sur le partage des bénéfices dans l’industrie laitière entre les éleveurs et deux groupes français : Sodiaal et Lactalis. L’enquête s’interroge sur un paradoxe : le marché du lait se porte bien, évalué à 27 milliards d’euros par an en France, mais les petits producteurs peinent à sortir la tête de l’eau.
19 novembre 2022 02:00 - Maillard André
Très bonne présentation ,de la disparition des fermes ,à 70 ans toujours paysan sur 8 ha j ai travaillé toute ma vie aux contacts des éleveurs ! Tout a presque disparu ,un certain désastre en Bretagne
André Maillard
14 novembre 2021 18:56 - Clech
Un bon documentaire