J’ai dix ans

Ému aux larmes Désir Thibault Le Goff et Owen Morandeau

Quelque part entre frontalité moderniste et cinéma des interstices se trouve ce p’tit film bizarre qu’est Désir.

Tout fait penser à un pari entre potes : dès le premier plan on est confronté à une distance inhabituelle doublée d’un gag sonore. Gag qui n’en est peut-être même pas un. Et c’est là tout l’enjeu du film. Quand est-ce qu’on se fout de nous ? Est-ce qu’on se fout de nous ? Est-ce qu’on est à ce point cinglé à 12 ans ? À qui parle ce film ?

Ces deux gamins, qui me ressemblent et me font flipper, qui anticipent un avenir à la fois sexuel et oisif, violents mais pas sans raison, sont des anti Laurel et Hardy tout emprunts d’une poésie de la périphérie. Périphérie urbaine, mais aussi thématique : une épopée simple à la mode poétique d’Aristote où nos héros naissent (dans le désir) partent à la recherche (du désir), et contrairement aux développements classiques – où un retour à la maison rassure nos attentes et nos besoins de spectateurs, on se demande ici comment ils pourront bien évoluer. Et si le film n’a pas de fin c’est que tout commence vraiment à ce moment précis. Graine de délinquance diront certains, je dirai plutôt graine de poètes. Ils trimballent, un peu trop tôt sûrement, la verve de ceux qui bousculent les codes de la bienséance.


Je me demande dans quelle mesure on refait toujours le même film, à quel point est-ce qu’on raconte toujours la même histoire ; les autres films de Thibault et Owen présentent des personnages tirés au cordeau. Ils sont chacun un muscle au bord du claquage d’un corps qui en a trop vu, trop bu, guidé par une matière grise à la dérive. Ainsi les ados de Désir peuvent être lus et analysés à l’aune de leurs figures tutélaires, celles des autres films, qui les auraient délaissés au profit d’un sempiternel bourrage de gueule ; jusqu’à ce que la place soit libre et que les plus jeunes remplacent les plus vieux.

Mais ça n’est pas nécessairement le cas. Car les p’tits nouveaux sont des idéalistes : eux sauront apprécier la qualité des décisions prises par leurs prédécesseurs. S’ils sont bien ces poètes des interstices, prosateurs des zones grises, ils trouveront le cap adéquat en refondant les objectifs. Mais peut-être que je juge trop durement leurs ainés, ou que j’idéalise les deux jeunes. Et qu’est-ce qu’il peut bien y avoir au bout de ce chemin ? C’est quoi l’objet de cette quête, que représente l’image de femme en soutif ? Est-ce que tout ça est uniquement sexué ?

On retrouve peut-être chez eux les prémisses d’une figure de l’Idiot, comme serait idiot un Don Quichotte moqué pour sa naïveté, mais qui en sait plus que quiconque car sa quête est pure (et simple). Pourtant ici la quête n’est ni pure ni simple ; et dans ce spleen irrévérencieux du passage à l’âge obscène, elle ne peut être qu’existentialiste.

DÉSIR

de Thibault Le Goff et Owen Morandeau (2019 - 18’)

Retrouvez ici la bande annonce de cette oeuvre (les droits de diffusion sur KuB sont arrivés à échéance).

Sous un soleil caniculaire, Théophile, 10 ans, tombe amoureux d'une jeune femme en lingerie sur l'affiche publicitaire d’un arrêt de bus. Entraîné par Victor, il se lance à la recherche de la jeune femme.

INTENTIONS

Un scénario ne tient pas à grand-chose

jeune fille cochon avec pomme bouche Désir

par T Le Goff et O Morandeau

À l’origine, nous souhaitions écrire un film sur l’errance de deux adultes alcoolisés à la recherche de la fille du panneau publicitaire d’un arrêt d’autobus. Nous nous apprêtions ainsi à ressusciter, après La ville s’endormait, nos personnages décalés, esseulés, à la recherche d’idéaux improbables. Après la lecture d’une nouvelle de Brigitte Fontaine où une enfant désespérée de devoir déménager et de quitter son amoureux se taille les veines dans sa baignoire, nous avons décidés de changer l’âge de nos personnages.


Ce faisant, nous changions les enjeux du film, tout nous paraissait plus intéressant, plus romantique. Désir traite de l'amour impossible, du fantasme et du désir et plus particulièrement de l'enfance, de cette période de rêves démesurés, de passion avant le passage à l'âge adulte, quand le rêve ne compte plus et qu'une réalité plus laborieuse et concrète s'installe. Pour ce poème, nous voulions une ambiance lourde, sous un soleil canaliculaire, des plans longs et larges tendent à ralentir le temps, en espérant que l'enfance ne s'arrête jamais.

BIOGRAPHIES

Thibault Le Goff et Owen Morandeau

Thibaut et Owen

Thibault Le Goff est un enfant sauvage ayant grandi dans une meute près de Paimpol. Rescapé des combats clandestins, il devient acteur, metteur en scène, pilote, cinéaste et administrateur. Des suites d'une arrestation, il rencontre Owen Morandeau en cellule, dans une cale de bateau. Ils décident alors de faire des films ensemble.

Thibault et Owen réalisent leur premier court métrage ensemble en 2015 : La ville s’endormait, qui remporte plusieurs prix en festivals, et notamment le Grand prix de la compétition internationale du Festival court mais trash de Bruxelles en 2016 ainsi que le Prix du bon gout et du savoir vivre au festival LGBT+ de Saint-Étienne en 2015.

Ils tournent ensuite Désir en 2017, puis Le péril jaune en 2019. Ils récidivent en 2020 avec Qu'elle revienne.

COMMENTAIRES

  • 7 mai 2021 14:10 - Franck

    Touchant, drôle et subversif à la fois, super jeux narratifs avec la profondeur de champs, bravo !
    On a hâte de voir les autres, du coup...

  • 30 avril 2021 18:55 - Florence

    Merci ! car j'ai franchement ri. Et j'ai retrouvé aussi la différence de perception, la distorsion du monde qui nous entoure, que l'on peut avoir à 10 ou 12 ans. Bravo !

  • 26 avril 2021 21:08 - Hugues

    Bravo !

CRÉDITS

avec

Julien Voué, Ulysse Helmart, Hélène Fouque Frédéric Paul, Pamela Blottière, Gerald Riotto et la voix de Maria Savary

scénario et réalisation Thibault Le Goff & Owen Morandeau

1er assistant Léo Dazin

2nd assistant Malo Troel

scripte Aurélie Bidault

chef opérateur Antoine Bon

assistant caméra Robin Nicolas

assistant caméra Arnaud Mabon

machino Florian Passelergue

ingénieur du son Christophe Saudeau

maquillage Lucie la Rue

catering Armel Gourmelen & Mathieu Godin

montage Carl Denot

étalonnage Antoine Bon et Erwan Le Boursicault

mixage Christophe Saudeau

musique Elouan Jegat

avec le soutien du programme collaboratif de création de la Région Bretagne et de Breizh Créative

Remerciements

Gwenn Liguet, Artwestud, Serge Steyer, Théâtre de Chaoué, Pierre Bacheviller, Severine Santerre, Mairie de la Chapelle Saint-Aubin, SETRAM Le Mans, Christophe Huge et JC Decaux, Carole Gruhaut de la Maison Prunier.

Régis Cerbelle et Joel Gillet de la Ville de Chantenay-Villedieu, Imprimerie Cornuel, Charcuterie Berthier, Usine Anjou-Maine-Céréables (Sablé sur Sarthe), Chateau de Coulans-sur-Gée, Ville de Chemiré-Le-Gaudin, Ville de Saint-Ouen en Champagne.

Et tous les contributeurs au financement participatif au tournage.

Artistes cités sur cette page

vignette auteur

Owen Morandeau

Thibault Le Goff

Thibault Le Goff