Chagrin d'école
26/03/2026
Voici l’admirable représentation d’une séquence qui se répète à l’infini dans les familles et qui pourtant est invisible sur les écrans : l’heure des devoirs, le moment où l'éducation scolaire fait irruption à la maison, avec son lot de chagrins. Nous parlons ici des élèves en difficulté, ceux qui avancent à reculons dans le système. Angelo est un modèle du genre, accompagné par son père Ludovic Vieuille, le réalisateur du film, qui se qualifie lui-même de cancre dans le souvenir qu’il garde de sa scolarité. Soit Deux cancres.
Comme un miroir tendu à tous ceux qui ont connu la situation, ce film est à la fois poignant et drôle. Les mimiques du môme, son agacement devant la réussite de sa grande sœur, et au centre un papa stoïque qui tente de maintenir l’ordre et de ranimer la motivation de son garçon.
La scène se reproduit au fil des jours et des saisons, déployant son potentiel émotionnel et comique. Une obstination d’autant plus méritoire qu’aucune amélioration ne semble poindre. Mais si ces deux cancres n’abdiquent pas, c’est qu’au fond se joue là quelque chose de bien plus profond que l’adaptation au système scolaire.
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DEUX CANCRES
DEUX CANCRES
de Ludovic Vieuille (2016 - 59’)
Soixante minutes, c’est la durée moyenne que prennent les devoirs d’école d’Angelo, le fils de Ludovic Vieuille, le réalisateur du film. Les jours, les mois, les années se suivent, rythmés immanquablement par cette heure passée entre le père et le fils. Une heure, une bataille. L’angoisse de l’échec scolaire face à l’enthousiasme d’apprendre.
>>> un film produit par Christophe Camoirano, Girelle Production
L’école prépare à la compétition
L’école prépare à la compétition
Mon fils a toujours eu une scolarité compliquée. Enfant agité, bavard, trop vivant, trop joyeux pour rester tranquille : inadapté à rester concentré des journées entières derrière une table. Du coup, sa maman et moi avons passé beaucoup de temps à faire les devoirs, à essayer de rattraper ces journées d’attention perdues. J’aimais ces moments passés avec mon fils, mais en même temps je me sentais incompétent à lui faire apprendre et comprendre certaines notions. Il y avait quelque chose de douloureux, l’angoisse de l’échec scolaire toujours menaçant. D’ancien élève j’étais donc devenu père, mais j’étais moi-même un enfant dissipé, qui détestait l’école, qui détestait les devoirs. Alors comment aider son propre enfant alors qu’au-delà des mots on transmet aussi nos propres névroses vis-à-vis d’un système éducatif qui ne fonctionne pas chez tout le monde ? Un jour, j’ai filmé une de nos séances de devoirs, sans trop savoir pourquoi, mais parce que je sentais bien qu’il se jouait là quelque chose. Peut-être parce que, me sentant désemparé, j’avais besoin de l'exprimer à travers des images. Et puis j’ai recommencé, ça a duré quatre ans comme ça, à filmer la séance de devoirs, et c’est devenu un vrai film.
Dans les petites classes de primaire, en théorie, il y a peu de devoirs, mais en réalité les instituteurs en donnent beaucoup, tout en disant que ce n’est pas obligatoire. Le paradoxe, c’est que s’ils n’en donnent pas, ce sont les parents qui en réclament car ils craignent que leurs progénitures ne travaillent pas assez. Personne ne se satisfait de cette situation, mais c’est ainsi. On vit dans un monde très compétitif, qui culpabilise. Résultat : tout le monde se met la pression pour travailler au maximum. Le problème est vraiment global et culturel. Ce n’est pas que la faute des profs s’il y a beaucoup de devoirs, car eux-mêmes sont soumis à des pressions de l’académie, de leur hiérarchie, des programmes tellement chargés que les temps de classe sont insuffisants pour les boucler avec des classes de 30 élèves. Ils font ce qu’ils peuvent, comme les parents. Je crois surtout que le problème est politique : on vit dans une société où la production et la productivité sont les préoccupations prioritaires, l’école n’est pas là pour que les enfants s’épanouissent, elle est au service de l’économie. C’est triste, mais c’est, je crois, aussi simple que ça.
Le film marche très bien lors des projections, il suscite beaucoup de rires et d’émotions, comme s'il révélait en chacun de nous l’élève que nous étions. Des fédérations de parents d’élèves s’en emparent, ainsi que des professionnels du corps enseignant. J’ai fait une projection dans le cadre d’une journée organisée par l’ESPE (l’université de formation des professeurs en France si vous voulez) devant 600 étudiants futurs professeurs. Je me dis que, même si c’est une goutte d’eau, ce film participe, à son modeste niveau, au débat sur l’éducation.
Ludovic Vieuille
Ludovic Vieuille
Après de longs séjours en Afrique centrale, Ludovic Vieuille fait des études universitaires littéraires puis artistiques aux Beaux-Arts d'Orléans et de Bilbao (Espagne) en département cinéma. Il travaille successivement comme cadreur, monteur et réalisateur pour la scène ou la télévision. En 2007, avec Christophe Camoirano et Denis Boisset, il fonde la société Girelle Production. Il signe une douzaine de documentaires sélectionnés dans divers festivals et réalise parallèlement une dizaine de courts métrages de commandes pour des institutions nationales.
Le châtiment familial
Le châtiment familial
FRANCE CULTURE 🎧 (2024) >>> Le stress lié aux notes, à Parcoursup et aux emplois du temps chargés touche un nombre croissant d'adolescents : comment faire baisser la pression ?
RADIO FRANCE 🎧 (2021) >>> Comment les parents agissent, consciemment ou non, sur le parcours scolaire de leurs enfants, suivant leurs ressources et leur milieu d'origine.
LE MONDE 📝 (2012) >>> Dans beaucoup de familles, le temps des devoirs est synonyme de tensions. Ces moments sont même vécus par certains comme une punition collective, que l'on voit revenir chaque soir avec appréhension.
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