Contre l'oubli
Disoñjal signifie oublier en breton, et le film dont on parle ici évoque le trou de mémoire qui menace la langue bretonne. L’autrice Madeleine Guillo-Leal raconte comment, un jour, un AVC a littéralement effacé le français du cerveau de Marie, la replongeant de plain-pied dans la langue natale. Facétieuse idée scénaristique, Disoñjal réunit au chevet de la mamie son fils et sa petite-fille, qui retrouvent ici leur socle identitaire mis à mal par des décennies de dénigrement du breton. La chambre d’hôpital devient le creuset de sa résurrection in vitro, aiguillonnée par le député Paul Molac qu’on entend à la télévision fustiger l’avis du Conseil constitutionnel contre l’enseignement immersif, et par la voix de Yann-Fañch Kemener qui rappelle combien cette langue est belle et constitue un fondement culturel inaliénable.
DISOÑJAL
DISOÑJAL
de Madeleine Guillo-Leal (2021 - 18’)
À la suite d’un AVC, une femme de 85 ans se réveille à l'hôpital. Elle a oublié le français et ne parle plus que le breton, sa langue maternelle, une langue qu'elle n'avait plus pratiquée depuis des années.
>>> un film produit par Pauline Moreau de All in one et Thierry Bourcy d’Abordage Films
Le poids de la honte
Le poids de la honte
par Madeleine Guillo-Leal
J’ai été élevée en breton par mes parents. Je suis de cette génération qui a pu parler cette langue, sans honte, à la maison et dans la cour de l’école. Qui n’a pas eu à rougir de son bilinguisme régional ni de ses racines. Une génération, qui pourtant, continue de ressentir le poids de la honte transmise à nos grands-parents. Ma grand-mère a en effet toujours refusé d’apprendre le breton à mon père. Parce-que, à elle, on le lui avait interdit à l’école. Pourquoi vouloir parler une langue devenue honteuse ? Alors mon père a appris tout seul, avec ses propres grands-mères. Mais avec ses parents, le français est resté la langue d’usage.
À mon niveau, j’ai donc voulu faire parler de cette langue / parler en cette langue et en même temps exprimer mon attachement aux identités multiples. J’ai voulu écrire une histoire qui soit à la fois un hommage à ma langue maternelle et qui mette en scène notre relation complexe à l’identité par le biais du langage. Mon film imagine ainsi la réconciliation d’une mère et de son fils autour d’une langue, le breton. Et c’est dans cette langue précisément que ces deux personnages parviendront enfin à communiquer après des années de difficultés relationnelles.
Marie ne comprend pas, elle qui a tant souffert du fait de parler breton, pourquoi est-ce que son fils a souhaité le parler et l’apprendre à ses enfants. Cette incompréhension est l’expression d’un conflit bien plus profond : un conflit générationnel et un conflit de classe. Alors que la mère vient d’un milieu populaire rural et qu’elle fait partie d’une génération qui a subi de plein fouet l’exode rural et la promotion de la culture citadine, le fils, qui a fait des études et est d’une certaine manière sorti de sa classe sociale, revendique pourtant un retour à ses racines et à ses origines, notamment par le biais du langage. C’est ces racines multiples qui m’intéressent et la manière dont on se définit tous par rapport à de multiples influences, qui viennent parfois violemment se heurter.
En termes de mise en scène, j’ai voulu que le court-métrage soit principalement un huis-clos pour symboliser à la fois l’enfermement et la difficulté des deux personnages à communiquer mais aussi la possibilité d’une réconciliation dans un lieu fermé où il n’y a pas d’échappatoire. Le huis-clos physique est également un huis-clos métaphorique : le choix de la langue est imposé à Marie, elle est enfermée dans sa pratique langagière sans autre choix, si elle souhaite s’exprimer, que d’utiliser cette langue qu’elle a pourtant essayé d’oublier. Et c’est cependant au sein de cette contrainte qu’elle va parvenir difficilement à exprimer pour la première fois ses peurs à son fils.
Le format 4/3 permet, à la fois d’amplifier le sentiment d’étouffement provoqué par le huis-clos, mais également d’être au plus près des personnages et de leurs émotions. Ce film est avant tout un film de personnages où les comédiens sont souvent filmés de près, ce format me paraissait donc adéquat.
Madeleine Guillo-Leal
Madeleine Guillo-Leal
Autrice et réalisatrice bretonne, Madeleine Guillo-Leal a écrit et réalisé deux courts métrages sélectionnés dans plusieurs festivals et diffusés à la télévision. Elle travaille actuellement sur un projet de long métrage, Mon bout du monde, qui interroge la quête identitaire et la transmission générationnelle, et sur Chiennes ardentes, un projet de série qui raconte le quotidien d'une association féministe dans une petite ville côtière. Madeleine intervient aussi en tant qu'assistante de réalisation et chargée de casting sur des tournages.
Langue régionale
Langue régionale
FRANCE BLEU >>> Interview de la réalisatrice groisillonne Madeleine Guillo-Leal pour la sortie de son court métrage Disoñjal.
FRANCE CULTURE >>> Trois professeurs de celtique et de littérature bretonne discutent de l’évolution de la langue bretonne et de ses usages.
BCD >>> Le journaliste Fañch Broudic revient sur la pratique sociale du breton au début du XXe siècle en Basse-Bretagne.
19 avril 2024 16:57 - Guillerm Dominig
On peut faire les malins tant qu’on veut... Nos parents nous ont transmis, à notre corps/esprit défendant, des liens invisibles et indestructibles qui nous reviennent quand on ne s’y attend pas.
10 décembre 2023 14:30 - rivoal
mes parents bretonnants parlaient entre eux à la maison a 74 ans j apprends le breton pour deveneir ce que j ai toujour été "Un breton" ma familh zo eus kergloff e-kichen Carhaix a galon vat Christian
7 juin 2023 01:17 - Kerouanton
Bravo, mes 2 dernières ont appris le Breton la dernière continue, kenavo Gérard
6 juin 2023 17:52 - Youn Brenn
Pilet ga'n oto oa bet mamm-baeron ba Banleg 'ser treuzi hent Rosporden. Noz du-dall oa, ha glao pil ' ree. Ha 'benn 'n em zihunas oa seizhet an hanter glei deuz he c'horf (hemiplegique)... ha ne brege ket mui galleg. Adalek neuze 'm oa gallet preg brehoneg gati, pezh noa-hi nac'het da c'hober ganeñ betek hen. Deit oa d'an tu all tri miz àrlerc'h.
♫ Larit din 'ta ewid petra
oa bet ret din gortoz ken pell,
ar gwall daol-sen
wi preg ganoc'h,
ma mammig-bern ♫
5 juin 2023 08:53 - Gironnay Richard
Mon père en fin de vie en 2004 était à l'hôpital, un jour une infirmière me dit que mon père luit dit toujours dour dour...... Mon père avait élevé par ses grands parents dans le Côtes du Nord jusqu'à l'âge de 6 ans avant de rejoindre ses parents émigrés à Paris ou il est arrivé à l'école sans parler un mot de français. J'ai du expliquer à cette infirmière de Lorient qu'il demandait de l'eau.
La langue bretonne redevenait sa langue d'expression première pour exprimer un besoin vital.