Pression foncière

Après son documentaire La terre et le temps, Mathilde Mignon retrouve la famille Georges, des agriculteurs en polyculture-élevage bio, dont les enfants grandissent, leur fils Quentin se déclarant prêt à prendre la relève et démarrant ses études agricoles. Ce second volet s’appelle C'est l'avenir qui nous le dira, un avenir grevé par la subite diminution d’un tiers de leur surface d’exploitation, une amputation pour permettre la croissance de la ville voisine : Rennes.
Avec leur modèle économique en charpie, les Georges hésitent à lancer une procédure juridique, coûteuse et sans garantie de succès. Le film montre la dignité et la combattivité sans esbrouffe de cette famille soudée. Dans les champs, la caméra saisit dans leur dos la rumeur montante du trafic routier et des pelleteuses, signe tangible que l’ogre urbain se rapproche. Cela s’appelle la pression foncière.
Au-delà de l’injustice subie par des petits face aux intérêts combinés de la collectivité et des constructeurs, l’enjeu ici est de voir combien l’arrêt de l’expansion urbaine semble encore inenvisageable, en témoigne l’acharnement de nombreux élus à annihiler l'objectif Zéro artificialisation nette des sols inscrit dans la loi Climat et résilience de 2021.
C'EST L'AVENIR QUI NOUS LE DIRA
C'EST L'AVENIR QUI NOUS LE DIRA
de Mathilde Mignon (2023 - 76’)
Sept ans dans la vie de Denis, Yvonne, Quentin et Fanny, une famille paysanne du bassin rennais. Depuis toujours, Quentin rêve de reprendre la ferme de son père et Denis l'initie aux gestes et au métier. Devenu adolescent, il entre au lycée agricole. Mais une nouvelle ZAC se profile, qui menace un tiers des terres de l'exploitation familiale. Denis décide d'intenter un procès à Rennes Métropole... Quand la ville grignote inexorablement la terre, les destins croisés d'un père et d'un fils, d'une ferme et d'un territoire.
>>> un film produit par Gilles Padovani, .Mille et Une. Films
Reprendre la ferme
Reprendre la ferme


par Mathilde Mignon
J'ai filmé en 2016 le travail de Christian Raby, qui photographiait des agriculteurs périurbains autour de Rennes. C'est là que j'ai rencontré la famille Georges, leurs visages, la vivacité des enfants, une certaine rudesse rehaussée d'humour... j'ai senti que cet après-midi caniculaire de juin où nous étions entassés dans un petit poulailler avec appareil photo et caméra était le début d'une histoire.
J'ai ensuite réalisé La terre et le temps, qui accompagne durant l'été 2017 le quotidien des Georges et de trois autres familles, chacune soumise à l'intense pression foncière due à l'avancée de la ville sur leurs terres. Au-delà des positions mesurées des parents, un rêve d'enfant plane sur le film lorsque Quentin raconte comment, à la tête d'une armée de vaches et poulets, il part en guerre cette nuit-là. Contre la Ville !!! Tu veux qu'on se rebelle contre qui ?! assène-t-il à sa petite sœur de 9 ans.



Le film à peine terminé, j’ai reçu un appel de Denis, très ébranlé. Il venait de recevoir un courrier de Rennes Métropole qui lui annonçait la reprise de vingt-quatre hectares des terres qu'il exploite, un tiers de sa surface, pour une nouvelle ZAC. Bien sûr, il louait ces terres en bail précaire mais jamais il n'aurait imaginé que ça arriverait si vite, et une telle surface d'un coup. Tout l'équilibre de son exploitation - élevage de volailles et bovins, polyculture, vente directe - se retrouvait en péril.
Je suis allée les voir. Et ce jour-là Quentin a déclaré qu'il voulait faire des études agricoles après sa troisième pour ensuite reprendre la ferme. J’ai vu la fierté dans ses yeux. J’ai repris ma caméra.
L'artificialisation des terres est en marche partout et ne reculera pas. Et si la terre agricole rétrécit comme peau de chagrin, la ville ne semble plus seulement s'attaquer au territoire des paysans mais aussi à leur espace mental. Pour un pan important de la société, les paysans deviennent suspects de saccager la planète, voire de nous empoisonner. Les médias relaient largement ces opinions, et la perte de cette image nourricière qui a toujours porté les paysans, les atteint dans des zones intimes et souterraines.
À la suite du courrier de congé qu'a reçu Denis, ses rapports avec la métropole n'ont fait que se dégrader. Pour quoi... des entreprises, des bureaux, des supermarchés ? se demandait-il... Il a alors décidé de résister, d'intenter un procès, celui d'un petit contre la puissante Rennes Métropole, et j'ai continué à filmer leur histoire, au plus près.
Pour moi, c'est avec les paysans et non contre eux que l'avenir peut se construire, c'est ce que mon film veut montrer. La société se modernise, les marchés financiers et les lobbies poursuivent leur travail de sape et le métro débouche au milieu des champs.
Denis, suspendu aux audiences toujours repoussées de son procès, continue malgré tout sa route. Il s'adapte, un peu ; la vente directe, des poules et des œufs, des cultures pour ses bêtes, un cadre, une certaine qualité de vie et une bonne humeur dominante.
Auprès de Quentin, j’ai filmé comment l'engagement d'un adolescent se concrétise, l'appel du métier - envers et contre tout. Son visage passe de l'enfance à l'adolescence un peu ingrate, pour devenir celui d'un jeune de dix-sept ans dont les traits s'affirment et qui a choisi d'être fidèle à la voie qu'aujourd'hui la majorité des enfants de paysans veulent fuir, découragés par leurs parents, le métier au quotidien et son image sociale. Quentin a ce courage, porté par un lien puissant à son père, qui, lui-même d'une fratrie de quatre fils, s'est chargé d'un héritage familial déjà peu avantageux dans les années 1980. Chacun résiste. Et le cœur du film s'inscrit dans la conjonction de ce père et ce fils, dans une famille avec les pieds bien ancrés dans sa terre et sa culture. Une famille où ce ne sont pas toujours les paroles qui disent mais les silences et les regards, en particulier pour les femmes.
J'ai voulu que mon film interroge la place qu'une famille de petits peut encore avoir, au temps des ZAC et d'une croissance économique toujours vécue comme l'alpha et l'oméga. Car ainsi avance notre monde, coûte que coûte et tête baissée, au risque d'être rappelé au réel, comme nous le prouvent les crises actuelles. Dans les marges se trouvent des hommes et des femmes qui questionnent cette course à leur manière et sans discours, par le simple mouvement de leurs vies. C'est important pour moi de les regarder, les filmer, leur donner place et capter le rythme du temps qui nous travaille, nous, sur cette terre.
Mathilde Mignon
Mathilde Mignon

Diplômée de l'INSAS (Bruxelles), Mathilde Mignon s'engage dans le cinéma documentaire dès son film de fin d’études, Sept alphabets pour une seule mer, primé en festivals. Son premier documentaire, Folles mémoires d’un caillou, s'inscrit dans l'histoire complexe de la Nouvelle-Calédonie. Elle réalise ensuite des films sur différents sujets; les difficultés d'adolescents à leur sortie de prison, une danseuse étoile, des femmes et filles de mineurs dans le Nord, des paysan.ne.s confronté.e.s à l'avancée de la ville sur leurs terres, un musicien. Plusieurs de ses films sont sélectionnés en festivals.
Parallèlement, elle cofonde un collectif d'artistes qui intervient dans le champ social et dirige des ateliers de cinéma documentaire.
La terre en héritage
La terre en héritage
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