Les joyeux compagnons ou la corde sensible

21/10/2026
Enchanter la vie
Les Joyeux Compagnons, c’est le nom d’un chœur de personnes âgées du pays Nantais, qui offrent aux pensionnaires des maisons de retraite un tour de chant costumé, louable initiative dans des lieux où la vie vacille, où l’angoisse transpire.
Le regard du réalisateur Xavier Liébard met d’abord en évidence combien le chant éclaire les visages, de ceux qui chantent d’abord, de ceux qui reçoivent et parfois font chorus. Un peu de joie se diffuse, un peu d’amour… Les bienfaits de cet antidépresseur sont ici patents.
Le film Les joyeux compagnons ou la corde sensible approche ainsi le cheminement, les réflexions de quatre femmes du groupe, qui se préparent à intégrer elles aussi un Ehpad. Une manière de toucher du doigt ce moment poignant où l’on doit abandonner son chez-soi, pour avancer vers une destination incertaine mais vivable pour peu qu’on y croise un sourire et la chaleur d’une voix mélodieuse.
LES JOYEUX COMPAGNONS OU LA CORDE SENSIBLE
LES JOYEUX COMPAGNONS OU LA CORDE SENSIBLE
de Xavier Liébard (2007 - 54')
Réunies depuis plus de quinze ans, des personnes âgées transmettent leur vitalité à celles et ceux que le grand âge a mis hors du jeu social. Les joyeux compagnons s’activent pour maintenir leurs liens sociaux et vivre leur vieillesse comme un espoir.
>>> un film produit par Farid Rezkallah, 24 images Production
〝 Continuer à débusquer des petits bonheurs dans chaque parcelle de la vie〞
Dansez, vieux géants de porcelaine
Dansez, vieux géants de porcelaine
Dix-huit ans après la sortie de son film, Xavier Liébard repose la question de la condition des personnes âgées et nous livre une joyeuse anecdote

C’est un évènement émouvant pour moi que de voir rediffusé Les joyeux compagnons ou la corde sensible, sur KuB. Tout d’abord parce que c’est un film auquel je suis attaché, j’y ai filmé le groupe d’amis de ma maman Jacqueline, qui chantait il y a 20 ans dans les maisons de retraite de Loire-Atlantique. À cette époque, j’observais comment ma mère tentait de combattre sa vieillesse en allant puiser son énergie chez les autres… C’est en la voyant jouer le clown en Ehpad que j’ai eu l’idée de ce film. Je trouvais la situation à la fois troublante et belle. Aujourd’hui, je me rends compte que la plupart de ces Joyeux Compagnons sont partis. Ces images leur redonnent vie. La trace que ce film laisse d’eux est tout à fait joyeuse, combative. Ils refusaient collectivement de se laisser envahir par la vieillesse, de se laisser noyer par leurs petits problèmes de santé ou par les tracas du quotidien. Je me rends compte que j’ai conservé en tête cette image-là. Cette révolte collective avait quelque chose de salutaire et de digne. Lorsque l’on se retrouve seul et isolé, le corps devient une sorte de citadelle assiégée. Il y avait donc dans cette aventure collective une réponse évidente, ce courage de vieillir ensemble. Ce film fixait pour moi une sorte de route à suivre : vivre intensément coûte que coûte sans se plaindre trop.
En 2008, l'on donnait peu la parole aux personnes âgées. J’ai voulu à travers ce film leur donner l’occasion de se positionner sur la question des maisons de retraite notamment. Avaient-ils oui ou non peur d’y aller ? Je pense que cette question est encore plus saillante aujourd’hui car le Covid a accentué cette idée que les Ehpad sont aux marges de la société. Est-il bien juste de séparer les générations comme nous le faisons aujourd’hui ? Je souhaite toujours et encore une société du mélange, de la mixité, de l’altérité. Tous mes films parlent de cette envie-là, mais je me rends compte que nous prenons la plupart du temps le chemin inverse, celui d’une séparation entre les âges, les religions, les pensées, les cultures, qui attise les différences et les haines.
Et puis, parfois, la vie nous envoie quelque surprise inattendue. Trois ans après le film, une amie sculptrice, Aleth Galen, me contacte. Elle travaille sur un projet avec la compagnie Royal de Luxe. Ils préparent une marionnette géante de grand-mère (7 m de haut) qui déambulera dans la ville de Nantes. Aleth a vu mon film et Catherine, un des personnages du documentaire, leur fait bien penser au type de personnage qu’ils cherchent pour la géante : une grand-mère un peu bretonne avec du caractère. Catherine correspond bien, et elle accepte la proposition avec joie. Coïncidence étonnante, sa mère aurait servi de modèle aux personnages de Babar. L’équipe de sculpteurs et de costumiers de Royal de luxe lui rendra visite pendant un an pour la mesurer sous toutes les coutures. Pendant que son modèle prend forme dans les ateliers de la compagnie, Catherine jubile d’être dans le secret des géants et nous aussi. En juin 2014, sa marionnette fait ses premières sorties à Nantes devant 500 000 personnes, un émerveillement. Un joli clin d’œil du destin qui me laisse imaginer qu’il faudrait redonner un peu de grandeur à cet âge trop souvent mis de côté. Vieillir est un acte de courage, une bataille qui mérite considération et soutien.
Dansez, vieux géants de porcelaine, chantez avec vos voix éraillées, tapez des pieds avec vos corps fatigués tant que la vie vous porte encore. Nous avons tant besoin de votre force pour apprendre la bataille de la vie, car parfois la route est bien dure.
Merci à vous Joyeux compagnons d’infortune !
Riposter contre la cruauté du temps qui passe
Riposter contre la cruauté du temps qui passe
En 2007, le réalisateur présentait ce qui l’avait poussé à réaliser Les joyeux compagnons ou la corde sensible.

J’ai suivi pendant six mois quelques membres des Joyeux Compagnons, ce groupe de personnes âgées qui monte des spectacles chantés dans les maisons de retraite de Loire-Atlantique. Ils sont onze, entre 70 et 85 ans, ils se connaissent depuis longtemps. En dehors des répétitions, ils forment une sorte de famille avec ses harmonies, ses habitudes et ses rituels. Ils sont amis et se soutiennent aussi bien moralement que physiquement. Mais ils savent pertinemment que cette aventure collective ne durera pas éternellement. L’expérience a été passionnante, car elle met en regard deux images de la vieillesse, l’une combative, socialisée, battante, l'autre plus douloureuse et passive, celle des maisons de retraite. Cette confrontation pourrait avoir quelque chose d’indécent et de provocateur. Ceux qui sont encore pleins de vie viennent saluer les moins valides. Mais la réalité est plus complexe. Les Joyeux Compagnons sont eux-mêmes confrontés à des questions d’âge, en permanence : ils souffrent, toussent, tempêtent, gesticulent, se demandent combien de temps ils vont durer. Et parfois, si les résidents paraissent ternes et sans vie face aux chanteurs, c’est souvent parce qu’ils ont perdu le lien social et familial indispensable.
À travers ce documentaire, je me suis laissé guider par quatre personnages, quatre femmes, quatre personnalités attachantes : Catherine, Madeleine, Sylviane, et Jacqueline, ma mère, qui ont accepté de se laisser filmer. Chacune d’entre elles évoque une bataille singulière, une manière différente de saisir le réel pour éviter l’apitoiement et le repli sur soi. Comme si elles avaient trouvé une sorte de riposte à la cruauté du temps qui passe. Catherine incarne le courage et l’engagement, Madeleine le dévouement aux autres, Jacqueline la lucidité et la curiosité, et Sylviane la bonne humeur constante. J’avoue avoir été impressionné par leur constance et leur sens du collectif. Mais ce qui m’a le plus touché c’est ce formidable esprit de dérision qu’elles partagent ensemble face aux difficultés du présent. Comme si l’enjeu était de continuer à débusquer des petits bonheurs dans chaque parcelle de la vie.
Nota Bene
Nota Bene
Courant d'air, variation sur le thème amoureux
À peine son film terminé, Xavier Liébard rejoint son ami cinéaste Hubert Sauper, qui prépare un ULM dans un aérodrome près de Saint-Herblain. Il en profite pour tourner encore un peu. Comme un épilogue, voici une petite improvisation avec sa mère et ses amies sur les thèmes de l'amour et de l'aventure.
Xavier Liébard
Xavier Liébard

Xavier Liébard est un réalisateur originaire de Loire-Atlantique. Diplômé en lettres modernes puis formé à la réalisation à la Fémis, il commence sa carrière en réalisant des courts métrages de fiction. Il se consacre ensuite au documentaire. Son premier film long, Le Chemin des brumes, sur les paysages magnétiques des monts d’Arrée, sort en 2003.
Curieux et soucieux de la place des gens et des choses, ses sujets d’intérêt sont variés : les territoires, la vieillesse, les artistes, le vivre-ensemble, etc.
En parallèle de la réalisation, il travaille comme intervenant réalisateur pour des organismes de formation en France et à l’étranger.
Bien vivre, jusqu'à la fin
Bien vivre, jusqu'à la fin
FRANCE 3 🎧 (2019-6') >>> Mayenne : Germaine & The Kids ou la chorale déjantée de mamies et d'enfants. Après Huguette the power en 2018, un nouveau projet de chorale a vu le jour en Mayenne : Germaine and the kids. Des personnes âgées vivant en maison de retraite associées à des élèves de CM1-CM2.
FRANCE 3 REGIONS 📝 (2025) >>> La colocation de séniors, une nouvelle formule qui permet aux personnes âgées de partager une maison individuelle comme à la maison, l'accompagnement en plus. Bien vivre, c'est jusqu'à la fin, et on a le droit de vivre où on veut.
INSEE 📝 (2019) >>> La démographie en Europe. Au 1ᵉʳ janvier 2019, l’Union européenne (UE) compte 513,4 millions d’habitants. La population européenne continue de vieillir : au 1ᵉʳ janvier 2018, la part des 65 ans ou plus représente 19,7 % de la population contre 17,1 % dix ans plus tôt. C’est en Italie que cette part est la plus élevée (22,6 %) et en Irlande qu’elle est la plus faible (13,8 %). La France, avec 19,7 %, se situe juste dans la moyenne européenne.
FRANCE INFO 📝 (2014) >>> Une mamie géante au défilé de Royal de luxe à Nantes. En 2014, la compagnie Royal de Luxe présente son nouveau spectacle Le mur de Planck. Des milliers de spectateurs découvrent la saga des géants, avec une nouvelle statue : une grand-mère, inspiré par une vraie mamie, Catherine, que l'on retrouve dans Les joyeux compagnons ou la corde sensible.
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