L'arbre-muse
Au Musée de la Cohue à Vannes, une exposition met en regard deux artistes qui approchent l’arbre à leur manière, de l’infiniment petit au monumental. En présence des arbres réunit Béatrice Bescond et Jacques Le Brusq et c’est un choc immense.
EN PRÉSENCE DES ARBRES
EN PRÉSENCE DES ARBRES
En présence des arbres est une exposition composée de créations originales de Béatrice Bescond et Jacques Le Brusq qui ont travaillé ensemble pour la première fois. L’arbre y est travaillé de façon tout à fait personnelle par chacun des artistes. À leur manière ils nous font (re)découvrir l’arbre, qui devient source d’inspiration, de réflexion, de poésie, selon la sensibilité de chacun.
>>> une exposition proposée au Musée de la Cohue
Un champ énergétique
Un champ énergétique
On le sait, on l’a dit, on le répète, l’art ne souffre pas l’image, l’écran, la photographie, la reproduction. À peine tolère-t-il les mots, si dérisoires pour décrire ce qui existe en soi. L’œuvre doit se connecter au spectateur, résonner en lui, le toucher, le prendre. Et parfois, parfois, il se passe quelque chose. Quelque chose de l’ordre du mystique, de la vibration. Une épiphanie. Une transe. Un choc. Une rencontre.
On a rencontré quelque chose, dans cette salle de La Cohue. On ne s’y attendait pas. On avait vu les photos, oui, des arbres, on aime les arbres, bon. Oui ce vert, c’est beau. On est entré dans la salle, on est resté là, à écouter les commentaires que l’on nous faisait, sans prendre garde, sans se douter, sans se méfier. Et puis on s’est avancé, là, juste là au centre, tout au centre de quelque chose et on s’est retrouvé encerclé, comme dans un champ d’énergie. Quelque chose qui tournait. Un Stonehenge végétal. Le corps qui physiquement ressentait cette présence puissante, tutélaire, chargée de quelque chose qui semblait venir de très loin, de quelque chose de très ancien.
Une force qui nous faisait presque tituber, qui nous serrait à bras le corps, comprimant la cage thoracique, faisait battre le cœur plus fort, écrasait les tempes comme si on était devenu le pivot de quelque chose qui tournait autour de soi. Des arbres. En réalité un arbre. Un chêne. Le tronc d’un chêne, ancré dans le sol. Pas de ramures, pas de frondaison, pas de feuilles, pas de canopée, le tronc comme une colonne de mousse verte sur fond vert, juste le tronc.
Qu’est-ce qu’on peut dire après ça ? Essayez ? Essayez. D’autant plus que le choc peut se reproduire durant la visite, sur d’autres œuvres, plus petites, toujours presqu’intégralement vertes, des paysages cette fois, mais dans lesquels on est littéralement projeté, à la manière du bullet time de Matrix. Notre guide, Morgane Meresse, nous explique que pour Jacques Le Brusq, l’arbre est une présence immuable qui s’impose à lui, que l’artiste ne choisit pas ce qu’il peint, ça s’impose à lui et surtout, et cela explique en partie la force de la présence, l’arbre n’est pas peint de profil mais de face, toujours. Le peintre s’installe face à un être. Il peint l’arbre en tant que présence. Le Brusq se dit l’outil de ce qu’il voit. Ce chêne, qui nous a tant bouleversé, n’a pas de profil, où que l’on se place on est face à lui, face à l’une de ses quatre faces.
Aux côtés des arbres de Le Brusq, c’est un autre travail magnifique, même s'il a été difficile de retrouver de l’énergie et de l’enthousiasme pour autre chose après une telle expérience, mais pourtant, oui, l’œuvre de Béatrice Bescond est belle, très belle, et sa méthode tout aussi étonnante que celle de Le Brusq. Et résonne aussi, dans l’infiniment petit, la matière, l’énergie, les flux vitaux et végétaux, comme un regard sur les cellules au microscope. Délicat, subtil, d’une grande finesse, son dessin exprime une autre facette des arbres, mais dit au fond la même chose, c’est un hommage à l’arbre en tant qu’élément fondateur de notre monde. Qu’on ne s’y trompe pas. Ici pas de théories manichéennes à la Avatar et son arbre des âmes, ni influences New Age à la manière de La Prophétie des Andes, mais plutôt une célébration du bonheur à fréquenter des arbres, à la manière du livre de Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres. On a beaucoup aimé ses arbres à elle, faits de petits traits, à regarder de très près avant de s’en éloigner. Ces allers et retours du proche au lointain nous permettent une empathie avec l’œuvre, une connexion profonde, presque biologique. Il faut juste un peu de temps pour reprendre ses esprits avant de se confronter avec son œuvre.
Ils ont dit :
Béatrice Bescond : Pour moi, créer avec l’arbre, c’est être à l’écoute des mouvement de la vie végétale, c’est percevoir les flux qui l’animent et interroger les symboliques qui l’accompagnent.
Jacques Le Brusq : La peinture nous donne à voir ce qui sans cesse se dérobe, ce qui sans elle ne saurait être vu. En précédant le langage, elle nous met spontanément en présence du premier matin du monde, là où les mots ne sont pas encore.
LE CONTEXTE
LE CONTEXTE
par Françoise Berretrot
Il existe des répertoires de modèles pour toutes sortes d’objets. Les arbres semblent poser un problème particulier, qui tient à leur simplicité apparente et à la difficulté d’atteindre à la vraisemblance.
Laurent Wolf, La voix des arbres dans l’histoire de la peinture
Que l’on ne s’y trompe pas, peindre un arbre reste un acte beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît. Il faut la spontanéité d’un enfant ou le geste parfaitement maîtrisé de l’artiste pour s’atteler à représenter ce sujet. Laurent Wolf explique qu’il aura fallu attendre la fin du 18e siècle et le début du 19e pour que l’arbre devienne un sujet de prédilection à part entière chez les artistes-peintres. L’auteur évoque le précurseur, Nicolas Poussin (1594-1665), et son influence décisive dans la peinture du paysage, jusqu’au contemporain Giuseppe Penone pour qui l’arbre est au cœur même de son œuvre de sculpteur et de peintre.
De grands noms se sont confrontés à cet exercice apparemment simple : John Constable(1776-1837), Camille Corot (1796-1875), Vincent Van Gogh (1853-1890), Paul Cézanne (1839-1906) ou encorePiet Mondrian (1872-1944) dans sa période figurative. L’arbre est peint pour ce qu’il est, ou ce qu’il semble être : de modèle, il devient symbole.
Ce préambule replaçant brièvement le rôle de l’arbre dans la peinture est important. Il permet de mieux situer les enjeux et les difficultés qui pouvaient apparaître pour Béatrice Bescond et Jacques Le Brusq lors de la proposition d’exposition au musée des beaux-arts de Vannes.
Dans l’exercice délicat demandé par le musée, il ne s’agit pas d’une juxtaposition de tableaux et moins encore d’un face à face. La composition est bien à quatre mains ! Ils ne se connaissaient pas mais ont en commun cette exigence liée à leur passion. Deux regards, deux vocabulaires picturaux, deux démarches résolument personnelles. Tous deux interrogent la verticalité du végétal. Au-delà de cette structure linéaire intangible du tronc, ils pénètrent le cœur même de l’arbre allant jusqu’à l’infiniment petit : vision microscopique pour Béatrice ou abstraction pour Jacques, dans une approche profondément sensible.
L’invitation faite aux visiteurs est celle de s’imprégner de deux atmosphères, dans un cheminement qui les conduira peut-être à découvrir des points de convergence. L’exposition doit surtout inciter à se perdre dans le sujet et les toiles pour aller au-delà de l’objet. Plonger dans les entrelacs de Béatrice et dans le vert énigmatique de Jacques.
Les artistes entraînent le visiteur à un lâcher-prise, à prendre le temps de regarder, de se laisser guider, car il y a une énigme derrière ce qui est vu et qui ne se découvre pas d’emblée. Jacques Le Brusq dit que pour peindre un arbre, il faut oublier le mot arbre. La peinture commence là où les mots s’arrêtent et finalement la peinture devient un être à part entière ; elle libère le spectateur, pour peu que l’on accepte la proposition de pénétrer son univers.
BÉATRICE BESCOND
BÉATRICE BESCOND
Béatrice Bescond a étudié à l’École Nationale Supérieure des beaux-arts de Paris. Elle élabore les bases de son travail pictural dans les ateliers de Vincent Guignebert et d’Henri Cueco. Après son diplôme en 1985, elle participe à différents salons parisiens. Elle rencontre en 1990 Jan Kriz, conservateur du musée Tchèque d’Art Contemporain et critique d’art, qui lui fait découvrir les œuvres fragmentées de Pavel Filonov. Passionnée aussi bien par les mythologies anciennes que récentes, par les mystiques européennes ou orientales, l’ésotérisme ou les neurosciences, Béatrice Bescond interroge les mythes fondateurs et les figures archétypales dans un processus de figuration et de défiguration.
Depuis 1996, Béatrice Bescond vit et travaille à Vannes. Elle expose en France, en Allemagne, aux États-Unis. En 2011, elle participe à un échange culturel Paris-Texas puis en 2016, elle est invitée comme artiste en résidence au Kuandu Museum of Fine Arts à Taipei (Taiwan).
JACQUES LE BRUSQ
JACQUES LE BRUSQ
Jacques Le Brusq, diplômé de l’école des beaux-arts de Paris, vit à Nantes où il participe à la vie artistique.
En 1964, installé dans le Morbihan, sa peinture est alors fortement influencée par les règnes minéral et végétal, ainsi que par l’art fantastique. Il expose en France et à l’étranger.
En 1969, il acquiert une ancienne seigneurie du 15e siècle, La Cour de Bovrel, située sur les Landes de Lanvaux. Dès l’été 1970, il y crée un centre d’art et y accueille ses amis peintres, sculpteurs, photographes, liciers, graveurs. Dix ans sont nécessaires pour sauver ce domaine de la ruine, une période peu favorable à l’exercice de la peinture.
En 1973, il est appelé à un poste d’enseignement aux beaux-arts de Rennes, charge qu’il exercera jusqu’en 2000.
La rencontre avec l’arbre (un chêne), au cours de la décennie 80, va le remettre à l’ouvrage et orienter sa recherche vers la notion de présence.
Les arbres, matière à penser
Les arbres, matière à penser
CAIRN >>> Des arbres, il y en a partout. Dans la nature, et aussi dans la peinture occidentale depuis des siècles. Mais c’est seulement à partir de la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe que les artistes peignent des arbres en tant que tels et non plus en tant qu’éléments de décor accompagnant le sujet principal du tableau.
LE TÉLÉGRAMME >>> Les arbres à quatre mains au Musée de la Cohue, une invitation à deux voix à la contemplation : la vibration graphique de Béatrice Bescond et les verts et ombres de Jacques Le Brusq.
18 février 2019 22:48 - Béatrice Bescond
Mille mercis à vous pour cet article enthousiaste concernant l exposition « En présence des arbres » au musée de la Cohue à Vannes!!! !!!