Au fond du trou
Avec En sortir, Thierry Machard signe un court métrage qui raconte l’impasse dans laquelle se trouvent les agriculteurs. Philippe Torreton y incarne un éleveur au bout du rouleau, seul dans sa ferme dont les vaches ont été déportées par décret préfectoral. Il poursuit une routine qui tourne désormais à vide, Dudu, son chien, étant le dernier être qui le relie à la vie.
Ce récit sans fioritures se déroule dans une atmosphère lugubre, rendue par de longs travellings qui traversent la ferme déserte. Le titre du film annonce cependant une issue salvatrice à notre héros...
En sortir est indéniablement un film politique qui nous propose de regarder en face ce qui se cache derrière le vernis du Salon de l’agriculture, à savoir la casse du monde paysan au profit d’un agro business qui n’a que faire des petits exploitants.
EN SORTIR
EN SORTIR
de Thierry Machard (2020 - 22’)
Un matin, dans une ferme, un homme, un paysan, ancré dans ses habitudes de travail, avec son chien et sa machine. Au premier dysfonctionnement, il écarte le seul être vivant encore présent à ses côtés et s’enfonce encore un peu plus dans sa solitude.
>>> un film produit par Anthony Quéré Les 48° Rugissants
Le non-sens
Le non-sens
par Thierry Machard
Que se passe-t-il quand tout s’arrête ? Quand un matin tout est grippé, qu’il ne reste presque plus rien de ce qui nous a fait pendant des années. Être là, présent avant l’aube, voir le jour se lever parce que c’est là qu’on voit le mieux les animaux. Se lever de bon matin pour voir la jeunesse, la fatigue, la vieillesse, la maladie. Ça a un sens. Ça devient une habitude au point de ne plus avoir à mettre un réveil. Une horloge interne se met en place, calée sur le démarrage de la traite, quel que soit le coin de France où l’on se trouve.
Durant vingt années, j’ai cheminé dans un monde paysan proche de ce que pouvait décrire Giono au début du XXe siècle. J’ai constaté l'inexorable marche, la fuite en avant vers un monde où le paysan a certes toujours les pieds dans la boue, mais une tête qui n’est plus dans les étoiles puisqu'elle est baissée à regarder les chiffres, calculer d’improbables rentabilités dans un système qui fait de lui un fournisseur de marchandises, prestataire de services, percepteur de subventions qui servent à alimenter LA machine.
J’ai tenté l'expérience, dix ans de ma vie à fréquenter ce monde, des collègues de plus en plus seuls sur des structures de plus en plus grandes, si dépendants de la machine pour trouver une rentabilité de quelques centimes d’euro par kilo… Je n’ai pas voulu continuer. Des gars obligés d’arrêter leur activité, j’en ai connu, j’en connais, et d’ici peu ils seront plus nombreux. En sortir montre leur solitude, des années à trimer en silence, perdant tout sens critique, peut-être même des réalités.
Ces hommes et ces femmes continuent malgré tout leur activité, espèrent un avenir meilleur, serrent les dents, se serrent la ceinture. Ils vivent avec ces peurs qui s’installent en dedans, profondément, à en faire fuir leur entourage, et parfois à vouloir se fuir, s’oublier, s’annihiler. En sortir est pour eux. Et pour que tout un chacun puisse se rendre compte de l’état de délabrement dans lequel se trouvent ces gens qui font un métier noble à la base, dur mais indispensable, parfois même poétique. L’imagerie d’Épinal, les photos bucoliques d’animaux, paissant tranquillement au pré ou alanguis dans une fraîche litière, servent à vendre un modèle agricole, une Ferme France comme d’aucuns ministres peuvent parler lors de grands salons ou colloques promotionnels.
En sortir est la séquence de vie d’un de ces gars qui auraient certainement voulu, qui auraient probablement pu, qui auraient peut-être dû… L’homme que nous suivons ce matin-là sait que sa vie d’avant est finie. Il s’est enfermé dans une bulle, s’est coupé de toute communication avec le monde dans lequel il vivait. Ne lui reste que sa chienne qui ne pose pas de question, contente d’être avec son maître. Lui reste aussi les symboles de ce que fut son activité, son passé de producteur laitier pour le système agro-industriel. Sa machine à traire qu’il bichonne. Lorsqu’un grain de sable vient l’enrayer, il perd ses moyens, s’en prend injustement à ce qu’il lui reste. Il continue de s’isoler. Mais l’absence de ce dernier être vivant présent à ses côtés le met en panique : il part à sa recherche, et se rend compte du vide qu’il a créé, du non-sens de ce qu’il vit.
Thierry Machard
Thierry Machard
Thierry Machard est un réalisateur français né à Chartres en 1965. Engagé politiquement dès seize ans, envisageant alors une carrière d’archéologue ou d’économiste, il dévie finalement de cette trajectoire, dépité de ce que ses congénères proposaient à l’époque comme modèle de vie. Il devient alors berger. Il se resociabilise en 2003 à son arrivée en Bretagne, dans les monts d’Arrée. C’est un retour au militantisme, à la musique, puis, en 2010, la claque, avec la découverte de la fabrication d’un film de l’intérieur. Il pratique alors le cinéma en tant qu’acteur, régisseur, assistant décorateur ou encore manipulateur d’animaux. En parallèle, il écrit des scénarios. En sortir est son premier film. Il finalise actuellement son documentaire La Colère d’un juste, commencé en 2018, ainsi que son premier long métrage de fiction. Dans le même temps, il continue à garder un troupeau l’été et à marcher en montagne pour prendre de la hauteur et remettre les idées et les mots en place.
Un système destructeur
Un système destructeur
OUEST FRANCE >>> Le réalisateur Thierry Machard revient sur la création de son film En sortir.
FRANCE 3 >>> Le journaliste du Monde, Nicolas Legendre, sort en avril le livre Silence dans les champs, le fruit d’un travail de sept années de rencontres et d’enquête dans l’industrie agroalimentaire bretonne. Il met à nu un système opaque qui broie les plus faibles et en enrichit d'autres.
LE PARISIEN >>> Témoignage de deux veuves et d’un agriculteur sur le mal-être paysan et les ravages du surendettement.
FRANCE INTER >>> Enquête sur les coopératives agricoles, toujours plus grosses, toujours plus puissantes et au fonctionnement toujours plus obscur.
13 juillet 2023 09:22 - brabant charlotte
Bravoo et Merci pour ce film vibrant avec un Philippe Torreton poignant exactement au bon endroit de sa limite ... un coup de poing!
9 juillet 2023 00:06 - bracaval edwige
juste waoh ! quel coup de poing dans le coeur ! Sans autre mot que "dudu" dans le scénario chapeau ! ça m'a vraiment touchée ....
8 juillet 2023 22:18 - André Jincq
Le ton est tellement juste. J'ai pensé au vieux fusil de Robert Enrico en regardant "en sortir" Merci pour ce film et gros travail.
8 juillet 2023 08:32 - laurent ramadier
MERCI pour ce que vous faites.
7 juillet 2023 13:38 - LIEFFROY
SOBRE MAIS SI POIGNANT MERCI T HIERRY
4 juillet 2023 19:40 - stéphane le pape
Très beau film. Philippe Torreton magnifique de retenue et de justesse, un scénario fluide (prévisible d'intention dramatique sur la fuite du chien), une lumière "normande"... et un discours tellement nécessaire. Bravo!
3 juillet 2023 10:45 - Caudine Françoise
Bouleversant ... tellement criant ... déchirant ...
Merci de nous sensibiliser ... nous éclairer ... avec cette intensité. Ça fait mal mais nous ne pouvons et ne pourrons dire qu'on ne savait pas
1 juillet 2023 19:44 - Marie-Ange Monédière
Remarquable ! Merci.