D'Escale en Eskal
D’Escale en Eskal parle de la résurrection d’une salle, jadis dancing, puis discothèque, qui a fini par péricliter, le microclimat ouessantin faisant son travail de sape sur les plâtres et les moquettes. Yann Tiersen, le proprio, veut cependant garder la mémoire d’un lieu dont les murs sont imprégnés de musique. Il y débarque avec sa femme Émilie et leur bébé, et son impressionnante collection de synthés analogiques des années 70-80. Le film est aussi leur portrait en creux.
Le réalisateur Tanguy Alanou suit le chantier et ses aléas, tout en s’intéressant à la vie des îliens. La renaissance de l’Escale participe en effet d’un regain de vie sur Ouessant qui voyait sa population vieillir et diminuer. Une jeune génération s’y installe depuis quelques années, rouvrant des commerces, des hébergements et autres services.
Vers la moitié du film, celui-ci se met à parler en breton, comme si l’on changeait de registre. Denez Prigent et Krissmen chantent, accompagnés par le clavier de Tiersen, une équipe de France 3 arrive… C’est là aussi que s’opère une bascule, d’Escale en Eskal, qu’on largue les amarres avec le continent francophone pour donner corps à cette utopie, celle du temps et d’une langue retrouvés, d’une créativité non soumise à la rentabilité. L’on prend plaisir à voir tout cela prendre forme, comme une nouvelle vie qui commence, cohérente et heureuse.
D'ESCALE EN ESKAL
D'ESCALE EN ESKAL
de Tanguy Alanou (2019 - 52')
Quand les musiciens Yann Tiersen et Émilie Quinquis découvrent la mise en vente de L’Escale, l’ancienne discothèque d’Ouessant fermée depuis 15 ans, ils y voient l’occasion de réaliser un rêve : créer des studios d’enregistrement sur leur île d’adoption. Dans ce lieu mythique pour les Ouessantins, le couple tient aussi à y faire un pôle culturel, Eskal. Ce projet n’arrive pas seul dans le paysage insulaire, alors que tourisme et maisons secondaires semblent donner le ton, une nouvelle génération se réapproprie les commerces et s’investit dans la vie associative. D’Escale en Eskal devient ainsi la métaphore d’une île en mutation, à travers le témoignage de ses habitants et la transformation d’un lieu où les décibels résonneront pour longtemps.
>>> un film produit par Les films de la pluie
Chant contre-chant
Chant contre-chant
par Tanguy Alanou
Pour bien comprendre toute cette histoire, il me semble utile de préciser qu’elle trouve sa source dans une école, celle de mes enfants. En 2016, Émilie et Yann Tiersen viennent y animer un atelier de musique, avec les élèves, et je propose de filmer leur intervention. J’apprends à cette occasion que le couple vient de racheter L’Escale - l’ancienne discothèque de l’île d’Ouessant, à l’abandon depuis plusieurs années - afin de la transformer en lieu d’enregistrement et en pôle culturel, nommé Eskal (en breton), qui sera ouvert au continent et à l’international mais surtout dédié aux habitants de l’île. La nature du projet me séduit d’emblée et un détail m’intrigue tout autant : j’ignorais complètement qu’il y avait eu une boite de nuit sur Ouessant ! Comme beaucoup de monde, ma vision de cette île s’arrêtait à son aspect touristique, et c’est comme si je prenais subitement conscience de la présence de ses habitants, en les imaginant faire la fête entre eux. Porté par cette double curiosité, pour le projet du couple Tiersen mais aussi pour les îliens, je sens intuitivement que j’ai un film à faire. Et si film il y a, alors je ne veux pas manquer les étapes de cette transformation de L’Escale en Eskal.
Pendant toute la durée des travaux, en parallèle de l’écriture de mon film, j’embarquais donc régulièrement pour Ouessant, filmer les principales étapes du chantier et constituer ainsi des archives qui se sont avérées précieuses. Un chantier qui s’est révélé par ailleurs intéressant d’un point de vue graphique et riche en rebondissement. Et j’ai bien sûr profité de ma présence régulière sur Ouessant pour faire des repérages auprès des îliens. Mais je dois bien avouer que la forte personnalité de Yann et d’Émilie, ainsi que la nature de leur projet et du chantier, m’ont parfois détourné des véritables enjeux de mon film... Il m’a fallu du temps pour réussir à prendre suffisamment de recul et à écrire enfin le film tel qu’il me tient à cœur. Je pense à un moment très précis du chantier, qui a nourri ma réflexion : pour éradiquer le mérule, il a fallu détruire beaucoup plus que prévu l’intérieur du bâtiment. Je me revois ainsi en train de filmer entre les quatre murs de L’Escale, pierres apparentes, plancher désintégré et comptoir supprimé. À cet instant, il ne reste plus de trace de l’ancienne discothèque et il n’y a guère que l’architecte qui réussisse à voir ce que deviendra le lieu. Pourtant, je ressens alors pleinement l’âme du lieu, chargé de toutes les histoires que les îliens m’ont racontées jusque-là, de tous les souvenirs et espoirs que suscitent ce lieu. Et face à cette coquille vide, tout cela prend une nouvelle ampleur, la vie du chantier faisant écho à celle des habitants.
Ce n’est donc pas tant le chantier en soi qui m’intéressait, que ce qu’il m’offrait : un moyen de faire partager l’intimité des habitants de l’île, pour mieux la cristalliser à travers la transformation de cette ancienne discothèque en futur pôle musical et culturel. Ou autrement dit : il s’agissait bien de mettre en parallèle la société ouessantine avec la métamorphose de l’ancienne Escale en future Eskal. Le choix du titre est d’ailleurs révélateur : dit à voix haute, Escale en Eskal sonne de la même manière que kan an diskan, cette technique de chant traditionnel en breton que l’on peut traduire littéralement par chant et déchant mais aussi par chant et contre-chant. Et j’aime beaucoup ce curieux hasard car il correspond exactement à l’esprit de ce que je veux désormais faire avec ce film : un chant / contre-chant, ou bien encore un champ / contre-champ. Avec d’un côté la métamorphose du lieu et de l’autre le parcours personnel des gens qui s’y sont attachés, chaque angle de vue donnant du sens à l’autre. En procédant par analogie, par contraste (ou même parfois par détournement), il me semble que ce champ / contre-champ donne une véritable dimension cinématographique à l’histoire de L’Escale et à celle des Ouessantins. Par ailleurs, cette comparaison avec le kan an diskan souligne de manière symbolique l’importance de la musique dans l’histoire de ce lieu, ancré au bout de la Bretagne.
Avec le nouveau studio et pôle culturel, le bâtiment redevient un espace où l’on peut se rencontrer, le temps d’un concert, d’un cours de breton ou d’un atelier. Bref, il représente pour moi une incarnation du vivre ensemble et du bien commun, mots ô combien galvaudés mais qui méritent à mon sens toute notre curiosité. C’est cela que j’ai voulu retranscrire dans mon film, non pas à travers des discours ou des postures, mais bien en racontant les histoires personnelles des habitants d’une île, Ouessant, et celle d’un lieu : L’Escale devenue Eskal.
Tanguy Alanou
Tanguy Alanou
Une licence de technicien vidéo en poche, Tanguy Alanou a travaillé 5 ans à l’Opéra national du Rhin où il était chargé des bandes annonces et des projections. C'est lorsqu'il revient s'établir en Bretagne, en 2008, qu'il quitte l'univers du spectacle vivant pour celui du cinéma et de l’audiovisuel. Son expérience l'amène à travailler d'abord sur des films institutionnels et des clips, puis sur des films documentaires en tant que chef-opérateur. En 2016, quand Yann et Émilie lui parlent de leur projet à Ouessant, il y voit l’opportunité de réaliser son premier film, d’Escale en Eskal.
Cap sur le Caillou
Cap sur le Caillou
KONBINI >>> Rencontre avec Yann Tiersen et Émilie à Ouessant, à propos du rapport de la musique de Tiersen avec l'île, de l'insularité, de l'identité de Ouessant.
TÉLÉRAMA >>> Du premier coup de pioche au premier concert, le réalisateur Tanguy Alanou a filmé pendant trois ans les travaux. Sous son objectif tendre et empreint d’humour, c’est tout un pan de l’histoire d’Ouessant (huit cents habitants) qui ressurgit.
OUEST FRANCE >>> Il en rêvait depuis longtemps... Yann Tiersen a acquis l'Escale, l'unique discothèque d'Ouessant, fermée depuis 15 ans : Un lieu de rencontres inscrit dans la mémoire collective, un lieu idéal pour monter un pôle culturel.
SOURDOREILLE >>> Yann Tiersen nous plonge au cœur de l’île d’Ouessant dans son album Kerber. Entretien iodé et contemplatif, autour de son rapport à la langue bretonne et son amour pour l’électronique.
LE TÉLÉGRAMME >>> Yann Tiersen à propos du caillou : mon environnement, c’est Ouessant. Sa faune, sa flore, mais surtout les gens qui y habitent et la culture ouessantine. J’ai beau vivre ici depuis plusieurs années, je continue d’être émerveillé par l’ouverture d’esprit et toutes les initiatives qu’on y retrouve.
FRANCE CULTURE >>> Ouessant est l’ile du bout du monde. Nikos, Marie et Raphael quittent Athènes, pour y accoster en aout 2011. Ils se séparent de leur maison d’édition, de leurs biens matériels et de tous leurs livres. Ils quittent la chaleur et la sécheresse pour la pluie et le vent. Ils quittent la crise pour la tempête.
FRANCE CULTURE >>> Création On air : L’inspiration du souffle. Sur l'île d'Ouessant, le vent respire l'immortelle envolée du monde. Fragments de souffle, d'amour et de vent.
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