Être ailleurs

Valparaiso René Tanguy

Il y a chez René Tanguy un goût pour les nuées, les entrelacs vaporeux qui coiffent notre champ de vision, et qui ne sont pas que célestes. Sous ces nuées, des corps bien découpés, la tête parfois hors-champ, des corps qui ont déjà un pied dans l’éternité.
La galerie L’Imagerie à Lannion fait une rétrospective de son travail sous le titre Absences, l’occasion d’avoir une vue d’ensemble sur vingt ans de création, dont KuB vous présente ici quelques échantillons.

PHOTOGRAPHIES

ABSENCES

de René Tanguy (2018)

une exposition proposée par >>> L’imagerie Lannion

PRESENTATION

Le désir irrépressible d'être ailleurs

Les chiens de feu René Tanguy
©René Tanguy

par Jean-François Rospape

Depuis 25 ans, René Tanguy invente une déambulation où s’entremêlent tribulations réelles et cheminements intérieurs, dont le déroulement aime à s’égarer dans les replis secrets de l’être et les recoins sombres de la mémoire. Il y est toujours question de déracinement, de partance viscérale - ce désir irrépressible d’être ailleurs - inoculés dès l’enfance.

L’exposition Absences présente une sélection de travaux présentés lors d’expositions antérieures, entre 1998 et 2018 :

L’étranger provisoire avait déjà pour thème la mémoire et l’ailleurs. Pendant dix années d’un voyage initiatique, entre recherche d’identité et souci d’altérité, René Tanguy abordait le sentiment d’être étranger, aux autres, à soi. Yann Le Goff, dans la préface du livre (éd. Filigranes 1998) écrit : Il imagine pour lui seul ce voyage comme le révélateur de ses rêves, qu’il fixe pour toujours. René Tanguy se réfère aussi à Fernando Pessoa : La vie est ce que nous en faisons. Les voyages, ce sont les voyageurs eux-mêmes. Ce que nous voyons n’est pas fait de ce que nous voyons, mais de ce que nous sommes. Nous ne débarquons jamais de nous-mêmes.


Le second volet s’appelle Les chiens de feu, traduction française du nom Tanguy. Il y est encore question de mémoire et d’intime, mais aussi de passé et de présent, à travers l’album de famille revisité, musée imaginaire et théâtre d’ombres où les figures anonymes peuplent les images de rites et de fantômes. En parcourant les lieux de l’enfance, ceux de l’origine, René Tanguy photographie le territoire de cette mémoire familiale : les photographies de famille disent mon existence avant mon existence, dans cette filiation, dans cette masse d’individus plus ou moins anonymes, à qui je dois ma présence au monde. Que leur dois-je d’autre ? La conscience d’être dans une destinée commune ? Une ressemblance ? Une différence ? Ou tout simplement, et enfin, l’acceptation du temps qui marche.

Avec Le chemin de cécité, il est de nouveau question d’arpenter les lieux de l’enfance, ceux de ce village d’Afrique où René Tanguy a vécu il y a plus de quarante ans. C’est là que sont nées ses premières émotions conscientes, là où se sont initiés ses premiers rêves d’avenir, avant que ceux-ci, au fil du temps, ne soient remplacés par les souvenirs d’adulte. La mémoire se confronte aussi à l’histoire, la sienne et celle collective de ce pays d’accueil. Il y est question de disparition, celle de son enfance, mais aussi de puissance, celle de la vie qui s’écrit dans la permanence du temps, dans cette Afrique lointaine et proche à la fois, mystérieuse et secrète, envoutante et inaccessible.

Cette démarche s’est nourrie récemment de deux autres projets : celle d’une nouvelle déambulation à Valparaiso sur les traces de Pablo Neruda et Sergio Larrain, du monde vers le monde, Escale à Valparaiso, en compagnie d’Anne-Lise Broyer, où s’entremêlent littérature, exil et cheminement intérieur. Jean-Luc Germain écrit : En duel, en partage, deux visions se croisent, se cherchent, s'épousent, s'éloignent pour mieux se retrouver. Deux regards funambules se promènent en équilibre toujours instable sur le plus fragile des filigranes : le Chili de Sergio Larrain, où l'histoire et la géographie se fondent dans une vibration poétique et universelle qui abolit le temps et l’espace.

Le dernier ensemble, Sad Paradise, est consacré à l’amitié désespérée et à la correspondance inédite entre Jack Kerouac, écrivain américain et Youenn Gwernig, poète breton exilé à New-York dans les années 60. René Tanguy y rebat les cartes du voyage. Orpailleur fétichiste, il traque les miettes de destinée de ses deux « grands frères » éclaireurs, sur les deux rives de l’Atlantique, guidé par leur absence et leur présence. Comme pour ses autres travaux, tout n’y est pas certain, rien n’est arrêté, l’horizon se fait la belle et le flou existentiel l’emporte souvent sur le point d’ancrage. On peut alors y voir un état de grâce primitive d’un monde volontairement indéfini, cueilli juste avant son effacement imminent.

À propos d'Absences

Kerouac René Tanguy
©René Tanguy

par Jean-Luc Germain*, juin 2018

Dans le riche lexique qui, de l'errance à l'oubli, caractérise le déplacement humain sur la planète, le mot voyage vibre comme une terre promise. Pour tout ce qu'il contient de concret et d'incertain, il s'ajuste au plus près de la trajectoire de René Tanguy, en escale à Lannion. Sans balisage topographique, ni chronologie, la dérive en images ici proposée est une exposition-gigogne où s'entremêlent, se superposent et se croisent, plusieurs voyages, lointains ou intérieurs.

Voyage d'abord dans les photographies qui ont enrichi L'étranger provisoire, Les chiens de feu, Le chemin de cécité, Du Monde vers le monde et Sad Paradise, autant de livres, d'expositions, de projets dont ce choix est issu. En filigrane de ces titres magnifiques, qui en disent plus qu'il ne le voudrait sur l'histoire de leur auteur, se faufile une quête née dans les mystérieuses contrées de l'enfance. Une enfance où se diffusent, entêtants, obsédants, les couleurs vives, parfumées, du Gabon et le gris argentique, un peu flou, de cette expérience africaine sans laquelle rien de ce qui a suivi n'existerait.


Dans une tribulation anti-géographique où les points d'ancrage sont parfois flottants et les lignes presque toujours en fuite, le continent noir est le premier des territoires essentiels de la mappemonde intime. Plus tard, d'autres traces se dessineront, d'autres compagnons de déroute, irrésistibles colporteurs d'exil, se présenteront sur le chemin de René Tanguy, jusqu'à devenir ses fertiles inspirateurs. Sans les éclats sublimes que Sergio Larrain avait cueillis avant lui, il n'y aurait pas de Valparaiso. Sans l'impact qu'eurent Sur la route, Jack Kerouac, Robert Frank et la beat-generation sur son adolescence, l'Amérique de René Tanguy n'existerait peut-être pas. Cette clé fragile et incertaine est indispensable pour entrouvrir le temps en suspension, arrêté quelque part entre passé et présent, où cette démarche tente de se situer.

Là s'esquisse un voyage autrement complexe et au but inconnu, dans l'inconscient de celui qui a saisi l'opportunité qui lui était offerte de s'interroger en toute humilité sur son écriture, son esthétique, sa relation vitale avec la photographie. Quand il se place devant ce miroir intérieur habité de souvenirs, la mémoire et le temps, du cri primal au dernier souffle, lui sautent aux yeux. C'est probablement dans cette parenthèse viscérale et universelle, sur cet écoulement émotionnel, photosensible, qui a commencé avant lui et se prolongera au-delà de son histoire, que René Tanguy travaille. Fouillant les archives familiales, revenant sur ses propres itinéraires, ouvrant des perspectives et des trouées, il tamise le fleuve intranquille d'une histoire d'ombres et de lumière, la sienne, celle de ses ancêtres et celle de ses descendants. Accroché à des images qui finissent par composer une étrange fresque d'amour et de mort, chaque destin, achevé ou débutant, grossit une matière mémoire, une matrice très personnelle, et pourtant partageable.

Nous ne débarquons jamais de nous-mêmes. Dérisoires et magnifiques déclinaisons de la prophétie-confession de Pessoa, ces conjugaisons multiples de l'espace et du temps d'une vie, du passé et du présent d'un homme, de sa lumière et de sa part de ténèbres, finissent par composer une écriture.

*Jean-Luc Germain est l'auteur des textes de deux livres de photographies de René Tanguy : Du Monde vers le monde et Sad Paradise
BIOGRAPHIE

RENÉ TANGUY

René Tanguy est né en 1955 en Bretagne mais la quitte très tôt avec sa famille pour suivre le père électricien, de chantier en chantier, aux quatre coins de la France et en Afrique.

De retour en France, il poursuit des études de photographie à l’Université de Marseille, puis s’installe en Bretagne et à Paris. Il collabore à la presse nationale (Libération, Le Monde...), documente le monde du travail en France et à l’étranger pour des groupes comme Veolia ou Capgemini. Il se spécialise également dans le portrait institutionnel.

Parallèlement il entreprend un travail marqué par son histoire personnelle, faite de départs, de voyages et de déracinements. La mémoire et l’histoire familiale y sont également en filigrane entre tribulations réelles et cheminements intérieurs.

REVUE DU WEB

Correspondances

RADIO GRENOUILLE, Pascal Messaoudi >>> Entretien radiophonique : Au départ il s’agit plus d’un travail sur l’enfance que sur l’Afrique. Le photographe René Tanguy, à travers son travail, se replonge dans son passé et tente de toucher ce petit quelque chose qui a fait son et notre enfance.

FRANCE CULTURE - Les Carnets de la Création, Aude Lavigne >>> Un dialogue entre technique d’écriture et technique photographique avec la photographe Anne-Lise Boyer à l'occasion notamment de la publication du livre Du Monde vers le Monde, escale à Valparaiso avec René Tanguy, texte de Jean-Luc Germain.

L'INTERVALLE BLOG, Fabien Ribery >>> Et nous serons les rois de la Bretagne, Jack Kerouac, Youenn Gwernig, René Tanguy, correspondance et photographie.

COMMENTAIRES

    Artistes cités sur cette page

    René Tanguy photographe

    René Tanguy

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