L'histoire, autrement
03/04/2029
La grève du Joint français (1972) fait date dans l’histoire de la Bretagne et plus largement dans celle des conflits sociaux. Elle marque un tournant dans le comportement des ouvriers de province qui refusent désormais d’être considérés comme une main d’œuvre docile et sous-rémunérée.
Un demi-siècle plus tard, le musée de Saint-Brieuc confie à deux anthropologues le soin de revisiter cette histoire, non pas pour la restituer par les moyens ad hoc, mais en mobilisant les parcours et la réflexion d'acteurs de la contestation et en resituant leurs combats dans une perspective longue, à travers les luttes contemporaines : des LIP aux zapatistes, des Gilets jaunes aux zadistes, etc.
Une page KuB en coédition avec le musée d’Art et d’Histoire de Saint-Brieuc
VIVRE AVEC LA GRÈVE DU JOINT FRANÇAIS
VIVRE AVEC LA GRÈVE DU JOINT FRANÇAIS
(2023 - 22’)
Nayeli Palomo et Noël Barbe, les deux anthropologues qui ont assuré le commissariat de l’exposition, reviennent sur leurs recherches et la création de cette expérience novatrice. Construite en étroite collaboration avec des habitants de Saint-Brieuc, elle ne se contente pas de raconter les événements de la grève de 1972, mais les confrontent à d’autres mouvements de luttes, antérieurs ou ultérieurs.
Mettre en espace
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Une exposition différente
Une exposition différente
par Nayeli Palomo et Noël Barbe
Vivre avec la grève du Joint français est le résultat de trois ans de travail de recherche, durant lesquels il a été question de réfléchir avec les êtres rencontrés sur le terrain, de la façon dont ils et elles pensent leur rapport au temps et à l’histoire. Dans ce parcours, l’actualité commémorative du cinquantième anniversaire a inévitablement fait apparaître la façon dont elles et ils peuvent avoir hérité de cette mobilisation qui au total aura duré près de huit semaines.
Vivre avec..., ce n’est pas tenter de reconstruire le déroulé d’un évènement survenu en 1972. C’est faire percuter la grève du Joint français avec l’actualité et réfléchir à de nouvelles formes d’en hériter pour ouvrir les horizons. C’est accueillir l’idée que l’on accède aux événements à travers des traces que les êtres humains ont construites au cours du temps et assumer que ces matérialités diverses agissent comme des intermédiaires qui induisent la façon dont on conçoit le passé. C’est se confronter à l’abondance de documents et objets construits depuis diverses temporalités et faire face à l’absence de questionnements qui peut les habiter.
Vivre avec, c’est prendre le temps différemment et tenter de construire de nouvelles relations, autorisant des regards qui jusque-là n’avaient pas trouvé la place d’exister. Cette exposition se présente donc comme un télescopage, un montage d’expériences de temps et d’espaces divers, qui tout en brouillant les raccourcis facilités par les discours établis, permet de repenser les cheminements.
Nayeli Palomo, Noël Barbe
Nayeli Palomo, Noël Barbe
Anthropologue et muséologue, Nayeli Palomo a exercé au Chili pendant plus de 10 ans, elle a mené des travaux portant sur les mémoires en conflit et leurs processus de patrimonialisation et/ou de muséification. Convaincue de l'importance de repenser politiquement le rapport à l'action culturelle, elle s'est attardée sur le rôle de l’anthropologue en tant que constructeur de savoir en réfléchissant sur l’écriture polyphonique et l’utilisation de techniques participatives. C'est ainsi que tout au long de son parcours elle a nourri une réflexion critique et située qui invite à interroger les relations aux publics, au sens large du terme, et leurs modes de re-présentations notamment dans les récits muséographiques.
Ancien établi, Noël Barbe est anthropologue, chercheur au Laboratoire d’anthropologie politique (EHESS- CNRS). Ses travaux portent sur les formes de présence du passé et leur politisation, les modalités d’allocation de la valeur patrimoniale, la politique de l’art, l’épistémologie politique des savoirs ethnographiques, les expériences de l’anticapitalisme, une anthropologie politique de la littérature ou encore de la muséologie. Ils se déploient dans des processus de recherche comme dans des commissariats d’expositions, des projets de films, des séminaires, des publications, des dispositifs d’enquête-exposition… Attentif à la pratique du pas de côté dans l’approche de ses objets de recherche, il est aussi soucieux des effets de pouvoir que fabriquent la pratique de l’anthropologie et ses modalités. Faire travailler politiquement la question patrimoniale et la repolitiser, multiplier les lieux de vérité des objets de culture et de patrimoine, se soustraire à la bigoterie mémorielle, donner un avantage épistémologique à ceux qui se trouvent aux marges sont certains de ses gestes qui lui permettent d’explorer les conditions de possibilité d’un patrimoine plébéien qui provisionne la construction de brèches dans le cours du monde.
La grève du Joint français
La grève du Joint français
Racontée par Jean-Louis Le Tacon dans Voici la colère bretonne, la grève du Joint français survient le 10 mars 1972 dans l’usine du Joint français à Saint-Brieuc et dure jusqu’au 9 mai suivant. Cette usine, la deuxième plus importante de la ville et qui appartient au grand groupe industriel La Compagnie Générale d’Électricité, emploie majoritairement une main d’œuvre jeune, rurale, peu qualifiée et féminine. Les salaires y sont inférieurs de 20 et 30% à ceux des autres usines du groupe, ce qui provoque peu à peu le mécontentement des ouvrier.ère.s. Une première grève a lieu en mars 1969. Elle se solde par un échec car la direction refuse l’alignement des salaires demandés par les grévistes. Une deuxième tentative a lieu en octobre 1971, mais il faut attendre le début de l’année 1972 pour que le mouvement social prenne de l’ampleur. En février, la CFDT et la CGT demandent une augmentation de 70 centimes et un treizième mois. Mais la direction refuse de négocier.
Commence alors une grève perlée de trois semaines, puis la grève générale illimitée est votée le 10 mars 1972. L’usine est occupée par les grévistes dès le 13 mars. Ils sont délogés quelques jours plus tard par les CRS. Début avril, des comités de soutien voient le jour un peu partout en Bretagne et de nombreuses manifestations et concerts de solidarité sont organisés par les organisations syndicales et l’UDB, le parti autonomiste breton. Les grévistes sont donc soutenus en Bretagne, et au-delà. L’affaire prend une tournure nationale au début du mois de mai lorsque le gouvernement décide de mettre fin au conflit en organisant des négociations au ministère du Travail. Un accord est trouvé le 8 mai 1972.
Cette grève, d’abord locale puis progressivement nationale, est emblématique des conflits sociaux post-1968 et met en évidence les limites de la décentralisation industrielle mise en place depuis le début des années 1960 en France. Elle est également l’emblème de la lutte de toute une région pour sa dignité, son identité, sa langue et sa culture.
L'intersection des luttes
L'intersection des luttes
Revue du web exceptionnelle, avec une pléiade d'archives audiovisuelles et radiophoniques, à déguster sans modération :
DOCUMENTAIRE >>> Frères de classe, documentaire de Christophe Cordier, analyse le désormais célèbre cliché photographique représentant l'affrontement entre un manifestant et un CRS lors de la grève du Joint français en 1972.
INA >>> Le soulèvement de la vie de Maurice Clavel réalisé en 1971 est un chant de révolte d'une jeunesse désenchantée en quête de sens face.
BCD >>> Portrait de Jean Le Faucheur, chef de file des luttes sociales briochines.
BCD >>> Portrait de Julia Le Louarn, salariée du Joint français au moment de la grève. Julia revient sur cette période marquante.
DOCUMENTAIRE >>> La marche du silence de Céline Dupuis : les mayas zapatistes sont descendus en silence dans les rues de San Cristobal de las Casas le 21/12/2012 pour honorer le nouveau cycle du calendrier maya, et dénoncer la mascarade médiatique sur la prétendue fin du monde.
FRANCE 3 BRETAGNE >>> Retour sur la grève du Joint français, survenue en 1972, et sur les commémorations qui ont eu lieu cinquante ans plus tard.
FRANCE INTER >>> Dans Le Vif de l’Histoire, Jean Lebrun s’intéresse à la grève du Joint français. Dans les défilés du 1er mai 1972 est évoqué sans cesse le combat des ouvriers – surtout des ouvrières – de l'usine du Joint français à Saint-Brieuc. Combat proche de la victoire à cette date.
WIKIPEDIA >>> Cet article wikipedia sur la grève du Joint français a été réalisé lors d'un éditathon organisé par le Musée de Saint-Brieuc, avec contenu et sources de l’exposition mis à disposition.
L'OUEST EN MÉMOIRE >>> 1966 : le Joint français s'agrandit et s'implante à Saint Brieuc. Malgré quelques inconvénients, ce site offre de nombreux avantages, notamment la main d'œuvre et le cadre de vie. Visite de l'usine par son patron, Eugène Delalande, un reportage qui montre les rapports de force en place au début du conflit et la manière dont la télévision épouse le discours institutionnel d'un patronat paternaliste.
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