La dèche
La spirale du surendettement, voici une figure de style qui se repère assez fréquemment dans le firmament bancaire. Le creusement des inégalités, l’affaiblissement des classes moyennes, la nécessité d’acheter pour tenir dans la société… Les établissements financiers ont des remèdes pour ça. Le prêt à la consommation, le prêt automobile, le crédit revolving, etc. Solutions rapides à un besoin urgent qui se transformera pour certains, au fil du temps, en une spirale pointée vers l’exclusion.
En ces temps où nombre de citoyens expriment leur colère de ne plus pouvoir joindre les deux bouts, il nous paraît opportun de suivre Sylvain Bouttet dans ses rencontres avec les surendettés, que l’on comprenne leurs histoires, car elles nous concernent.
FIN DE MOI(S)
de Sylvain Bouttet (2016)
Brest. Un petit bureau où se dit la misère. Où l'espoir peut renaître.
En finir avec la spirale de l'argent qui nous tient. Celui qu'on n'a pas, celui qu'on doit.
Surendettement quel mot affreux. Sûr...en dette...ment ? Je divague.
Je vais voir Crésus, ça ne s'invente pas. Là, d'un côté une personne prise dans un tourbillon, de l'autre quelqu'un qui écoute patiemment et propose. Entre les deux, avec eux, la caméra.
>>> un film produit par Carrément à l’Ouest
Surendettement : plus qu'un mot
par Sylvain Bouttet
La cinquantaine, menue, elle est séparée. Une banque lui compte 120€ d'agios par mois, une autre lui cherche des poux. Face à elle, doucement, Joël la coupe : ils n'ont pas le droit . Sa voix est grave, chaude : il ne veut pas effrayer, ou bien est-il vraiment ce nounours calme ? Elle continue, sourde. Son mari doit avoir une maîtresse, c'est un coup de poignard dans le dos. Il ne reste que quatre ans à rembourser la maison et tout s'écroule.
Joël semble profiter du court silence : ils n'ont pas le droit. Depuis trois mois le plafond pour les agios est de 80€. Les banques savent tout ça. Elle travaille pour 1000€ en maison de retraite, à temps partiel, plus 100 ou 200€ parfois, comme aide à domicile. Elle rembourse 600 € par mois. Joël précise qu'avec un trou en banque de 1 200 € elle n'est pas surendettée. Oui mais il y a la courroie de distribution de la voiture à changer. Comment se rendre au travail sinon?... Elle sort un mouchoir.
Joël rebaisse un peu la voix. Il avance prudemment ses pions en terrain miné. Ne pas brusquer.
Quel âge a-t-elle cette voiture ? Elle bafouille. Six ans ? Bien sûr que non elle ne connaît pas sa valeur. Et puis c'est sa mère qui lui a prêté de quoi finir le crédit auto. Sa mère en maison de retraite. Elle sanglote. Ses enfants, les deux, sont à la maison. Celle que la banque veut vendre. Le garçon se débrouille de stage en stage, la fille espère continuer en alternance. Il ne reste que quatre ans à payer! Joël brûle d'intervenir, je le devine. Lui la force tranquille incarnée se tient voûté au fond de sa chaise, les yeux inclinés sur le bureau. Lorsqu'elle enchaîne à voix basse qu'en même temps elle ne va pas se crever pour cette maison, il sent le signal et plonge son regard dans le sien.
Et ça, il fallait le filmer.
Comment faire ? Raconter la chute qui nous guette. On glisse, on glisse, jusqu'où? Comment s'en sortir, si c'est possible?
La réponse est assez simple.
La caméra capte des échanges à huis-clos lors de la permanence de Crésus. Elle suit plus précisément un de ses piliers, Joël, ainsi que deux ou trois protagonistes dont on décrypte par petites touches le parcours. Puis elle s'échappe du huis-clos afin que le spectateur comprenne les méandres des démarches en cours, mais aussi et surtout l'alternance de phases de découragement et d'espoir tout au long de procédures en filigrane. Des séquences mêlant sons de répondeur et séries photos apportent oxygène et recul.
Une caméra, un magnétophone, un appareil-photo, du temps... Et toujours cet objectif de rechercher l'humanité.
L'humanité derrière les chiffres
par Philippe Guilloux
En France, en 2013, on dénombre 750 000 ménages surendettés. 225 000 dossiers de surendettement ont été déposés auprès de la commission de surendettement de la Banque de France au cours des douze derniers mois, soit un dossier toutes les deux minutes.
L’augmentation du coût de l’énergie, des transports, des contributions diverses, la stagnation du pouvoir d’achat, ont considérablement fragilisé le budget des particuliers. Lors d’un récent sondage, un tiers des français déclarait avoir des revenus insuffisants pour boucler leurs fins de mois. Le moindre grain de sable suffit alors à basculer dans la spirale infernale qui conduira au surendettement. 75 % des dossiers sont liés à des accidents de la vie : problèmes de santé, divorce, perte d’emploi. Le surendettement touche aujourd’hui toutes les catégories sociales, tous les âges.
Derrière ces chiffres et ce constat se cache une réalité quotidienne faite de difficultés, de renoncements, de frustrations, d’angoisses. Une réalité qui se vit souvent dans la solitude, la culpabilité et la honte. Un surendetté ne vit pas, il survit.
Sylvain Bouttet
Né en 1960 à Dinard, Sylvain Bouttet est d’abord un photographe qui travaille sur l’humain. Il est publié dans Chasse-Marée, Voiles et Voiliers, Photo-Reporter, Réponses Photo.
Sylvain Bouttet est également réalisateur-cadreur de documentaires pour France Télévisions (Thalassa, Faut Pas Rêver…) et Arte.
Au total, il a tourné une trentaine de documentaires dont : Fin de moi(s), Une enfance en absence, Quand on est mort, c'est pour combien de dodos ? , Un jour, la rue , Planète Zanzan, Vies en chantier, La marée était en vert, Le voyage de Jacky (Molard), Un homme à la mer, Ça tourne à la campagne, ou encore Le vide dans la maison et Nous n'irons plus à Varsovie, (coréalisé avec Gérard Alle).
Dettes et créances
LE TÉLÉGRAMME >>> Des visages et des dettes Le surendettement n'a pas de visage. C'est juste le vilain mot du crédit définitif. Alors, le réalisateur Paimpolais Sylvain Bouttet est allé à Brest, poser sa caméra entre bénévoles d'une association et personnes en difficulté. Pour livrer un documentaire sensible sur ces faillites personnelles.
France CULTURE >>> Les pieds sur Terre, Il est dettes une fois... Crésus et créances À Saint-Benoît près de Poitiers, Jean-Pierre, ancien cadre bancaire à la retraite et bénévole de l’association CRÉSUS, reçoit deux fois par semaine des personnes de la région victimes de surendettement. Il les écoute, les conseille et les accompagne pour les aider à sortir de l'engrenage.
LIBÉRATION >>> Ils sont profs, employés de banque, retraités... et surendettés. Il n'a pas une minute de répit, le téléphone n'arrête pas de sonner. Jean-Louis Kiehl préside l'association Crésus qui aide les familles surendettées ou confrontées à de grosses difficultés financières. Quand on a créé l'association il y a 18 ans, on pensait que c'était pour un ou deux ans. Que le problème n'allait pas dur.
France CULTURE >>> La Grande Table, Partie 2 : Le surendettement dans le cinéma
À partir de 53'30 : Comment filmer la précarité ? Et comment filmer une dégringolade sociale en même temps qu’un combat pour la vie ? Alors qu’en France six millions de personnes sont touchées par l’exclusion bancaire, que le surendettement devient un sujet de préoccupation sociale, que le chômage s’accroit et que la crise économique menace de tourner à la récession, il est des individus, souvent invisibles, qui résistent malgré les difficultés financières et la spirale de la pauvreté, et des artistes qui savent représenter cette lutte au cinéma.
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