Peintre marin

Semaine du golfe - du haut du mat - Flahault

Il y a quelques mois, Gildas Flahault est rentré d'une longue pérégrination maritime. Il a posé son sac près de Vannes, mis son bateau en vente, s'est mis en quête d'un atelier pour remettre en route son travail pictural.
Ainsi vit cet homme, entre une vie réelle faite d’innombrables rencontres sous toutes les latitudes, une vie aux prises avec les éléments, et une vie de création, de projection sur la toile d'images et de textes pour dire la beauté du monde, de la mer, et la menace qui se précise, d'un effondrement. Car Gildas Flahault n'est pas qu'un doux rêveur, un vagabond des mers, il porte un regard cinglant sur ceux qui mettent en péril ce que nous avons de plus cher : notre humanité.
Découvrez ici l'homme et son œuvre: lisez le magnifique entretien mené par Illôna Stephani.
Nous l'avons filmé pendant la Semaine du Golfe : coup d’œil sur une performance furtive.

PERFORMANCE

Peinture furtive

En pleine Semaine du Golfe, entre les fêtes maritimes et les milliers de voiliers qui se croisent en mer, Gildas Flahault offre une performance aux curieux présents à la galerie Cécile Loiret.

La beauté du monde

L'univers pictural de Gildas Flahault restitue la culture maritime dont il est pétri : la beauté du littoral, là où l'océan touche terre, et la vie des marins travailleurs et voyageurs. Ainsi peint-il, d'une part, des paysages dont l'homme est absent, ou du moins hors-champ, vision idyllique d'un monde harmonieux, baigné d'une lumière et de couleurs qui transcendent les formes. Il peint les hommes aussi, les travailleurs de la mer aux mains calleuses, des femmes tout aussi baraquées, une vie qui sent le labeur mais aussi la plénitude. Un temps révolu.
Une autre facette du travail de Flahault, c'est celle qui mêle du texte aux images, que ce soit sur une affiche, un roman graphique... Il fait partie de ces navigateurs qui produisent des carnets de voyage mêlant aquarelles, esquisses à la plume et commentaires écrits à même l'image, parfois sur fond de carte marine, de quoi faire travailler notre imaginaire de lecteur émerveillé, car cet homme a accompli le rêve que beaucoup d'entre nous ont caressé de loin : larguer les amarres.

ENTRETIEN

Voyage en profondeur

par Illôna Stephani

Sous un lumineux soleil inondant l'ancien port thonier de l'île de Groix en Bretagne, Gildas Flahault peint d'un seul jet l'affiche du Premier championnat du monde de Godille, d'une typographie qui le caractérise : souple, ludique et dynamique.
Championnat oblige, le départ eut lieu. Propulsant leur canot d'une seule rame, les marins ont retrouvé les gestes séculiers, brassant l'eau pour le bonheur de la foule de cette authentique fête de village. Au micro : Gildas Flahault, regard clair et pétillant, lèvres fines prêtes à rigoler, à savourer la parole d'un autre ou le goût du vent. Pendant deux jours, d'un air moqueur qui cache mal une bienveillance naturelle, il a encouragé chaque concurrent portant de sa voix chaude : hésitation, tangage, exploit, victoire ou échec. Accueillant les aléas de la nature, vent, marée houle ou algues comme faisant partie du jeu, rappelant à son public le meilleur de nous-même, notre humanité. Les trophées remis, nous entamons notre conversation assis, les pieds se balançant au-dessus des vagues ; le quai ayant retrouvé son calme de pierre et de mer. C'est alors qu'une poignée de mômes est intervenue. Ils demandaient du renfort pour faire pivoter la grue de carénage afin de mieux pouvoir se jeter à l'eau. Image d'Épinal rappelant à l'artiste d'où il venait.

Gildas Flahault : Je suis né à Nantes mais j’ai vécu très tôt à Port Navalo à l'entrée du Golfe du Morbihan, godiller ou se jeter à l'eau sont des jeux de l'enfance, comme ceux de ces gosses qui grandissent dans les ports ou en bord de mer. Très vite j'ai eu envie de partir et mes parents ont été assez gentils pour me laisser faire. J'ai souvent aimé partir seul. Cela permet plus de rencontres, met en danger, oblige à trouver des solutions. J’aime aussi partir avec des copains pour mener une action. Les aventures à bord d’Antarctica (aujourd’hui Tara) et le Phare du bout du monde, aux confins de la Terre de feu, restent des moments forts de ma construction. Ma conception du voyage a évolué au cours de ma vie. Alors que je courrais avec un insatiable appétit d’exotisme dans ma jeunesse, j’ai découvert l'intérêt de rester assez longtemps dans un lieu. On y apprend vraiment la langue, les usages et les coutumes, on peut établir des relations plus sincères. Le voyage est plus profond.

Illôna : Quelles sont vos destinations préférées ?


GF : Destination est un mot dangereux, inventé par les agences touristiques et qui rime avec consommation. Il semble impliquer l’avion comme seul moyen de déplacement. Destination est banni depuis longtemps de mon vocabulaire pour laisser la place à celui de région, de contrée, de territoire. J’ai une attirance naturelle pour les lieux et les cultures éloignées du monde industriel. Mais cela ne m’empêche pas d’aimer les passages dans les grandes villes du monde. Le déclencheur d'un départ peut-être, un coup de fil, un rêve.
Prochainement je pars pour la première fois dans le grand Nord sur un petit bateau en plastique de 10m 50. Je pars avec un copain vers le détroit de Béring pour naviguer sur le passage du Nord-Ouest ouvert il y a 100 ans par Amundsen, puis je poursuivrais par 2 mois au Chili et en Bolivie. J'interviens dans les lycées au sujet de Carnet de Voyage dans le cadre de l'AEFE, agence pour l'enseignement du français à l'étranger .

I : Qu'est-ce pour vous un carnet de voyage ?
GF : La tapisserie de Bayeux en est un exemple remarquable, les Moines dominicains qui accompagnèrent Cortez au Mexique ont lancé la mode et les caves du Musée de la Marine de Paris regorgent de ces carnets venus de toutes les époques. La photographie et le cinéma ont naturellement pris le relai. En France, Yvon Le corre est bien entendu celui qui a remis ce type de relation de voyage au gout du jour. Son œuvre a ouvert la voie a une vague éditoriale frénétique qui a donné lieu au meilleur comme au pire. Sur le nombre de livres édités, la plupart sont terriblement ennuyeux. Pour moi, le propos d’un carnet de voyage est d’essayer de transmettre avec la plus grande précision les surprises de l’inconnu, les émotions véritables, l’étonnement, les coups de foudres, la déception, la différence.
Un carnet de voyage ne peut être égal d’un bout a l’autre car il est le miroir direct des humeurs du voyageur : inconfort, adversité, ou béatitude. Un carnet de voyage m’intéresse lorsqu’il est édité d’une manière brute, c’est à dire sans la mise en page jolie et précieuse que permet l’outil informatique et qui le fait ressembler aux pages d’un magazine de mode et devient habile mensonge. On doit sentir la sueur et le froid, on doit pouvoir y compter les ratures, les taches et les blessures qui furent infligées aux carnets, ces compagnons de chaque instant. Je préfère de loin un carnet maladroit et sincère où des risques ont été pris pour restituer les sensations à un autre d’un bon élève dont le dessin lisse, sans viande ni poil, ne fait que s’ajouter aux poncifs qui nous entourent.

I : Comment avez-vous commencé ?
GF : J’ai commencé en écrivant des lettres à mes parents lors de mes premiers voyages. J’essayais d’être précis dans la restitution de mon aventure, pour les rassurer peut-être, mais surtout pour leur procurer du plaisir littéraire. Le rapport épistolaire est sans doute la meilleure école de littérature qui soit car le fait d’adresser vraiment sa prose à quelqu’un nous implique directement. Je ne dessine pas systématiquement en voyage. J’aime le petit vertige qui m’envahit lorsque je me demande si je sais encore dessiner ! En revanche, j’ai déjà regretté parfois de ne pas m’être équipé d’un très bon magnétophone numérique car le son est un excellent facteur d’évocation.
Il m’est très agréable de dessiner pour honorer un contrat avec un éditeur : je suis déjà dans le livre et cela me stimule. Je suis de nature plutôt contemplative, j’aime me laisser dépasser par le temps et emporter par les évènements… Voilà pourquoi les contraintes sont les bienvenues car elles m’obligent à travailler systématiquement. Dans mon métier de peintre, il m’est également indispensable d’édifier des cadres de travail, sinon, les milles influences qui me constituent me polluent et paralysent ma création. Je m’impose donc des thèmes organisés en séries et répondant à des codes que je décide.
Il est rare que je m’attache à mes dessins, je ne garde quasiment rien. Aussi lorsque l’on fait appel à moi pour des expositions de carnets de voyage je suis bien incapable de fournir un objet digne de ce nom. Je les ai déjà offerts, vendus ou perdus ! Par contre j’ai beaucoup de tendresse pour les petites choses maladroites grappillées ici ou là. À Mopti, un jeune garçon passait ses journées a recopier des comics américains sur les pages bleus des carnets de rendez-vous de l’hôpital. Je les lui ai tous acheté, je suis fan de ces carnets que je regarde souvent.
Dans les armoires de mon neveu Benjamin Flao ou d’Yvon Le Corre on trouve des dizaines de carnets qui sont autant de trésors. Je peux passer des heures dans le travail des autres alors que le mien m’ennuie vite.

I : Des auteurs vous ont-ils particulièrement touchés ?
GF : Bruce Chatwin, Joseph Kessel, Blaise Cendras, Jack London, bien sûr, Henry de Monfred, Bernard Moitessier. Un roman comme ceux de Garcia Marquez peut me motiver à aller aux Caraïbes ou aller traîner sur les côtes colombiennes. Parmi toutes les personnes qui m’inspirent le respect, il y a Eugène Riguidel qui, du haut de ses soixante-dix ans, a concouru hier avec brio au championnat de godille. Le marin irréprochable, l’humaniste, l’engagé, le révolté contre l’injustice, l’enthousiaste chronique, l’anti-nucléaire actif, l’amoureux du monde, l’homme de parole, l’intelligent, le sportif est incarné en un seul et même homme, et ce cocktail constitue l’une des références les plus solides de ma vie. Ce type fut une star de la voile à l’époque de Tabarly et bénéficia du plus gros sponsoring de l’époque afin de concevoir le plus grand trimaran du moment. Pourtant, admiré et influent, il prit un jour conscience de l’implication des grandes firmes au sein de l’industrie de l’armement et changea radicalement de vie. De star, il devint pour un temps SDF et marginal. Il se mit tout simplement en accord avec sa conscience.
La plupart des gens ne pardonnent pas aux vedettes de descendre de leur perchoir doré car ils rêvent de s’y percher eux-même. À cette époque, j’ai assisté à de pitoyables rumeurs à son propos. Il en coûte donc beaucoup d’obéir à son éthique ! Voila, entre autre, pourquoi j’admire Eugène.
En voyageant, la première chose qui me touche, c'est le paysage. Je suis aussi heureux à la montagne que dans le désert. Je suis un fanatique de la nature. J'aime le grand souffle qui décoiffe, la grande sauvagerie, la nature est ma source, mon temple, mon équilibre. La mer c’est fascinant, elle est un chemin multiple qui contient a elle seule toutes les directions… Tous les possibles, toutes les promesses. On l’emprunte pour se rendre ici, elle vous emmène parfois ailleurs. Le parallèle est évident avec la feuille blanche: au bout de deux heures de travail on est loin de ce qu'on a voulu raconter ; mais c'est bien aussi. J’aimerais faire un tour du monde pour collecter les plus beaux tissus et tapis, cela représente pour moi le coté Milles et une nuit, l’objet caractéristique du nomade. Je suis attiré par le génie folklorique, chaque région du monde est un artiste singulier. Si je devais afficher ma religion, je dirais que j’ai une nature mystique et qu’elle se révèle dans la religion qui s’est imposée a moi: l’Animisme. Depuis l’adolescence, il m’est insupportable d’entendre dire que l’homme seul possède l’esprit. L’esprit est à l’égal de la matière, réparti uniformément dans toutes les formes de la nature. Lorsque je ramasse un petit caillou dans la steppe mongole et que je le relâche au Groenland, j'accomplis un rituel spirituel de grande importance.
Pour revenir aux voyages, je me sens à peu près bien partout, je suis tout simplement un caméléon. Il arrive des moments ou je partage une soirée, un repas avec une famille tapie dans l’ombre d’une cabane. Des enfants jouent, une femme cuit des galettes, un homme graisse un fusil ou affute un couteau…. Il est troublant de constater à quel point ces ambiances, ces attitudes et ces propos sont identiques. À chaque fois que cela m’arrive, que ce soit dans une vallée profonde de l’Atlas, sous les étoiles de la steppe centre asiatique, dans un village des Andes ou dans une ile de Caraïbes, je revis une scène que je connais par cœur. Je suppose que la plupart des promeneurs ressentent la même chose. C'est rassurant. Rien n'est très différent d'un coin à l'autre.

I : Alors, chez vous, c'est où ?
GF : Ah !!! Bonne question, je me demande. Je commence à m'installer à Locmiquélic près de Lorient. J’ai une petite maison depuis peu et j’apprends à vivre quelque part ! J’apprends que le voisin est l’animal le plus proche de l’homme ! J’apprends à regarder pousser une courge ! J’apprends aussi quelque chose de très nouveau pour moi : l’implication sociale, même si elle reste timide. Finalement cette tentative d’enracinement - ce mot m’effraie tellement !! - constitue sans doute aussi un véritable voyage. Je vais pouvoir m'investir ici aussi, l'événement du championnat du monde de godille fut une joie.

I : L'affiche est très belle !
GF : Avoir une bonne affiche c'est important, c'est déjà la garantie de la réussite de l'événement. C'est comme un Haïku : il faut qu'en un seul regard on comprenne exactement de quoi il s'agit et l'esprit de l'événement. il faut faire une synthèse, un choix au service de l’efficacité. Si je suis peintre et dessinateur, je suis tout autant affichiste. L’affiche est une véritable discipline que je pratique depuis longtemps. J’ai dû réaliser plus de cent affiches. Mon prochain chapitre c'est de profiter de mon installation pour créer un atelier commun d'artistes, un lieu d'exposition, un lieu de résidence. Créer un pôle artistique qui n'existe pas en Bretagne, un lieu basé sur la qualité et la liberté, sur l'intelligence surtout pas la tendance.

BIOGRAPHIE

GILDAS FLAHAULT

Gildas Flahault - godille

Né à Nantes en 1957, Gildas Flahault apprend la godille et la voile dans le Golfe du Morbihan dès neuf ans.
En 1974, il part faire les Arts Décos à l’Institut St Luc de Tournai en Belgique, il y fait des rencontres déterminantes avec des professeurs mais est viré au bout d'un an pour indiscipline. Il est alors temps de s’embarquer comme équipier et de faire la première traversée vers les Antilles.
Première expo en 1979 à l’Ile aux Moines, succès total. La peinture s’impose comme mode d’expression et manière de gagner sa vie. Carnets de croquis, carnets de voyages, aquarelles, huiles sur toiles, depuis, Gildas Flahault continue à créer en alternant expositions et voyages aux quatre coins du monde. Peintre, illustrateur, graphiste, mais aussi un peu écrivain. En 2016, les éditions Paulsen publient Le Bal des glaces : voyage au Groenland, récit élaboré de retour du Grand Nord. L'homme est définitivement empreint de liberté, de mer, d'ailleurs et de récits.

REVUE DU WEB

Une nature vagabonde

VOILES ET VOILIERS >>> J'ai commencé ma vie de peintre avec un médium extraordinaire : l'aquarelle. De l'eau pigmentée, rien que cela. À force de pratique, elle s'apprivoise un peu mais elle conserve une part de hasard. Fluide et transparente, elle offre liberté et lumière. Elle permet la fulgurance du geste, son utilisation est intuitive et non besogneuse !

FRANCE INFO CULTURE >>> Quand il n'est pas en mer ou sur de lointaines terres, Gildas Flahault continue à raconter des histoires, dans ses toiles, ses poèmes ou ses sculptures.

FRANCE 3 >>> L'histoire de notre Tintin des mers commence à 18 ans, quand Gildas Flahault plaque tout et embarque pour les Antilles. Une première transat' qui en appellera beaucoup d'autres, et lui donnera définitivement le goût du large.

TÉBÉO >>> Visite guidée à l’exposition du peintre Gildas Flahault, l’unique réalisateur des affiches de la Semaine du Golfe du Morbihan.

OUEST-FRANCE >>> Pas de Semaine du Golfe sans son affiche de Gildas Flahault. Oui, le dessin, ça a été mon premier langage. Enfant, j’étais très mauvais à l’école. J’étais mauvais élève, mais j’adorais l’école pour les copains ! J’étais nul en maths, mais quand je passais au tableau, je formais de belles lettres, j’adorais ça !

L’HUMANITÉ >>> 1999, Gildas Flahault, l’homme tempête. Artiste peintre, écrivain, ce marin de quarante-deux ans a fait du nomadisme sa philosophie et de ses voyages des poèmes. Des îles Kerguelen aux steppes mongoles, récit d'un parcours sans fin.

COMMENTAIRES

  • 15 mai 2023 18:13 - Villain Jean

    Mr Flahaut, Vous évoquez Yvon Le corre, que j'au eu la chance de côtoyer, personnage atypique, le plus fort a été la restauration, mise au point, navigations de Girl Joyce. Je lui avais imposé l'équipement d'un moteur ! Sa disparition a été très douloureuse. J'adore ce que vous faîtes & vos projets (atelier commun d'artistes, un lieu d'exposition, un lieu de résidence. Créer un pôle artistique qui n'existe pas en Bretagne). Merci. Amitiés respectueuses Jean.

  • 6 octobre 2022 13:57 - Davin

    Kenavo Gilda de la part d'Olivier. J'ai travaillé avec 1994. Pour l'expo de tes tableaux ainsi que à Galway. Je ne suis pas mort. Je voyage à pied sur les chemins de Compostel. Amicalement

  • 8 juin 2021 09:26 - Claude Germerie

    le rêve de chacun , l’arguer les amarres
    et faire de sa vie une quête de l’autre
    homme , animal … et paysages insolites

CRÉDITS

peintures, affiches Gildas Flahault

interview Illôna Stephani

image et son Hervé Portanguen
montage Corentin Laine
moyens techniques KuB

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