Gilets jaunes

gilets jaunes, drapeau tricolore et flammes

Il y a quelques années, la sécurité routière nous imposait l’achat d’un gilet fluo à garder dans sa voiture en cas de nécessité. Fin 2018, ce costume était adopté comme symbole d’une révolte, signe d’appartenance à une population qui, n’en pouvant plus, était prête à paralyser le pays. En quelques semaines, les Gilets jaunes étaient connus dans le monde entier comme la possibilité d'une guerre civile ou d’un nouveau Grand soir.
Face à ces cohortes flavescentes, l’État allait déployer ses propres colonnes, dont l’habit serait encore plus théâtral : des forces de l’ordre habillées comme de noirs samouraïs.
Tout était donc en place pour un affrontement sans retenue, dans un décor ad hoc : les Champs Élysées, leurs palais et leurs rayons de luxe, et l’Arc de triomphe, symbole de fierté nationale pour ses vaillantes armées.
Constatant qu’avec ce mouvement quelque chose s’est remis à revivre, le cinéaste et chercheur en sociologie Patrick Prado s’est lancé dans un travail de montage d’images et de textes, glanés sur le web et dans sa bibliothèque, pour poser un regard sur la crise contemporaine à la lumière des penseurs de mai 68.

FILM

LA DANSE DE LA VIE

de Patrick Prado (2019 – 50')

La révolte est spectaculaire et les révoltés le savent. On se met toujours en scène dans la révolte, surtout quand elle se passe devant des centaines de caméras. Les manifestants ne viennent pas manifester, ils viennent pour danser. C’est du spectaculaire non marchand qui gère d’abord des émotions, en particulier celle de se montrer comme sujets de l’Histoire. Comment rendre visible la colère invisible des sujets de l’histoire ? Cela se produit une ou deux fois par siècle : 1789, 1870, 1968, 2019. La temporalité de Gilets jaunes est à la fois fugitive et répétitive : on est dans un monde enchanté qui combat avec acharnement le désenchantement du monde, on y est pour tenir son rang.


Les symboles habituels de la lutte du peuple ont été éradiqués : plus de drapeaux noirs et rouges, plus de drapeaux de partis ou de syndicats, plus d’hymnes révolutionnaires, plus d’Internationale, mais des drapeaux de pays, breton, basque, picard, occitan et français, et le recours à la Marseillaise. Un mouvement insurrectionnel comme celui des Gilets jaunes est une machine à remonter le temps et à le démonter. Il va rechercher ses symboles dans les plus fatigués des vieux symboles, l’hymne national revivifié, le drapeau national réinvesti, les sans-culottes, la Commune, de même qu’ils ont réoccupé les zones rurales désaffectées et les zones péri-urbaines en déshérence ; une situation insurrectionnelle sans le vocabulaire auquel nous étions accoutumés.

INTENTION

Le rêve d'un monde moins injuste

Affrontement policiers et manifestant

J’ai fait ce film pour regarder en face la violence de notre temps. Je n'avais pas vu autant de colère accumulée depuis longtemps. J'ai voulu la montrer sans me voiler la face. Avec les Gilets jaunes, j’ai retrouvé la mise en commun des biens et des désirs de ma jeunesse. C'est cela qui m'a porté, et le recours à des auteurs pour l'argumenter. D'où mes deux fils narratifs : les images prises sur le web et mon commentaire inscrit sur l’image. Je n'ai pas trouvé judicieux de citer Marx ou Mao, je trouve en Cornélius Castoriadis le meilleur analyste de ce qui se passe aujourd'hui : une tentative d'autonomisation des révoltes et des révolutions par rapport aux partis minés par la bureaucratie qu'ils disaient dénoncer.


Aujourd'hui les Gilets jaunes sont tapis dans un repli de terrain mais on peut imaginer que ce n'est pas sans conséquence que des dizaines de milliers de gens aient exprimé pendant des mois leur rêve d'un monde moins injuste. Ils sont prêts à recommencer et cela fiche la trouille au sommet de l’État. L'idéologie néolibérale ne peut pas imaginer un autre processus que le sien, celui du rendement à tout prix de la machine humaine.
Ce qui me fait toujours rêver, c’est le mouvement populaire ouvrier et paysan d'Europe qui a failli l'emporter en Ukraine, en Espagne : l'anarchisme, ensuite trahi par les partis et régimes communistes en place à l'époque.

CITATION

D'une violence l'autre

Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes
les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise
et perpétue les dominations, les oppressions et les
exploitations, celle qui écrase et lamine des millions
d'hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.
La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de
la volonté d'abolir la première. La troisième est la violence
répressive,
qui a pour objet d'étouffer la seconde en se
faisant l'auxiliaire et la complice de la première violence :
celle qui engendre toutes les autres. Il n'y a pas de pire
hypocrisie de n'appeler violence que la seconde, en feignant
d'oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue.
Don Hélder Câmara
REVUE DU WEB

Res publica

FRANCE CULTURE >>> Le réveil culturel : Raconter au cinéma les mouvements sociaux. Rencontre avec le réalisateur breton Stéphane Brizé, auteur de plusieurs films sur les conflits sociaux, dont La loi du marché en 2015, et En guerre, en 2018.

CALENDA >>> La manifestation politique au cinéma. Continuités, ruptures, détournements de l'expérience contestataire : Ce qui se joue dans la rue, sur une place, lorsqu’une foule manifestante se rassemble, c’est une lutte symbolique pour l’occupation du visible, acte par lequel un peuple qui n’était pas pris en compte s’invente en se donnant à voir et à entendre : en se mettant en scène.

LIBÉRATION >>> Mouvements sociaux : iconographie d'une violence intemporelle. Le photographe Ulrich Lebeuf a suivi le mouvement des gilets jaunes dès ses débuts. De ces images, il en a créé de nouvelles, plus sombres et subjectives, qui rappellent une iconographie du passé et interrogent la violence présente dans les mouvements sociaux.

FRANCE 3 BRETAGNE >>> Plus d'un an après le début du mouvement des Gilets jaunes, qu'en reste-t-il ? Le documentaire Les femmes du rond-point suivi d'un débat permettront de dresser un état des lieux de la contestation.

MÉDIAPART >>> Patrick Prado : Le moment des gilets jaunes est surprenant en ce qu’il tente de réinventer des espaces communs, de la parole commune. Non pas pour recréer le village d’antan, mais pour se refaire une place dans le village global, celle de sujets de l’histoire, des gens du peuple. Ils dessinent ainsi une réinvention du forum, de l’être-ensemble, de l’échange du savoir-faire et du savoir-être.

COMMENTAIRES

  • 28 janvier 2020 11:52 - MICHON

    Les fans et les enfants de bords, produisent du sous
    Debord

CRÉDITS

réalisation Patrick Prado
montage Patrick Prado, avec l’aide de Marc-François Deligne et Jean-Louis Le Tacon
cartons Patrick Prado, Guy Debord, Cornelius Castroriadis, André Breton, Raoul Vaneigem

images CL Press, Clément Lanot, L’Observateur, Le Media, Serge Faubert, Camille Cahstrusse, Russia Today, Spirit of Sirius, Stras TV, Webloc, El diario, Robles Euronews, Brigades Action Cinéma

musique Franz Schubert, Trio no. 2 op. 100

Artistes cités sur cette page

Patrick Prado

Patrick Prado

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