Contre l'oubli
27/01/2025
Nous on ne sait plus trop... on a peur de ne pas être à la hauteur.
D’emblée la grand-mère prévient sa petite-fille que ce qu’elle recherche est ténu, menacé d'oubli. Pour parler breton, y a bien encore quelques locuteurs de service, pour la radio et tout ça… mais ce n’est pas ça l'idée. Le grand-père, lui, ça va encore. Il se souvient du temps où c’était interdit, que pour le bien de tous il fallait abandonner cette langue.
Les auteurs de ce documentaire, Alexandre Duval et Mathilde Simon, ne se figent cependant pas dans une posture victimaire, ils baguenaudent dans le son, les timbres de voix, pour le plus grand plaisir de nos oreilles. Ils partent en quête du mot juste, de l'accent qui convient. Ils remuent les mémoires. Glaz nous transporte, littéralement, à travers les frontières linguistiques. Fluides ou accidentées, limpides ou incompréhensibles. Langues rurales, animales, langue officielle. L’école (républicaine) était-elle émancipatrice ou oppressive ? Et quid de l'esprit de clocher ?
GLAZ
GLAZ
de Mathilde Simon et Alexandre Duval (2018 - 42’)
Ce serait une quête, dans l’intimité de la langue bretonne, entre étrange familiarité et incertaine compréhension, un dialogue entre générations, celle qu’il l’a vécu honteusement et celle qui en a eu une expérience valorisante à l’école, un documentaire à travers champs, dunes et au loin la ville, dans un petit bout du Nord-Finistère, ça s’appellerait Glaz, comme une certaine façon de percevoir ici l’horizon, quelque chose qui enveloppe et qui reste intraduisible.
Poser les mots sur nos racines
Poser les mots sur nos racines
par Mathilde Simon
Le breton. Cette langue, c'est le lait et le miel du premier âge. On l'apprend mal dans les livres. Elle est le chant du vent, la plainte de la pluie, la semence du blé. Elle est véritablement charnelle. Elle n'est pas le fait des docteurs, elle est concrète et vitale, pour ainsi dire végétale. Elle est la tige et l'algue. Par-dessus tout, elle est musique. *
Que peut et que dit de nous la langue ? Nous lie-t-elle irrémédiablement à un territoire ? C’est à travers le breton qu'avec Alexandre Duval on a choisi de traiter cette interrogation, dans le Nord-Finistère.
Glaz raconte la langue bretonne à travers trois générations de bretonnants vivant sur le même territoire. Cette quête est d'ordre familial puisque sont enregistrés mon frère, mes grands-parents et mon ancien instituteur bilingue. Chacune de ces personnes incarne un apprentissage très spécifique du breton.
Mais l'origine de Glaz c'est Antoine. Ce jeune professeur des écoles a toujours rêvé de l’étranger.
Dans différents pays, il a voyagé et étudié, avec la ferme volonté de s’installer loin, loin de son port d’attache. Puis un jour il a eu le mal du pays, il a brusquement quitté l’Allemagne et ses études de sciences politiques. Il est rentré à Brest pour enseigner le breton.
Antoine, mon grand-frère, parle breton. Pourtant il ne parle qu'en français avec nos grands-parents. Pourquoi ? Parce qu'ils ne parlent pas le même breton. Quelque chose pourrait être familier dans leurs échanges en langue bretonne mais ce n'est finalement pas naturel. L'une des sources de leurs mécompréhensions réside dans la phonologie de la langue mais peut-être aussi dans une certaine gêne car cette langue ne véhicule pas les mêmes émotions, ne symbolise pas la même histoire d'une génération à l'autre.
Malgré certaines incompréhensions linguistiques il me semble important, aujourd'hui, d'enregistrer la langue de nos grands-parents, leurs expressions, afin de conserver une trace de la mémoire du temps et pouvoir à notre tour poser des mots sur nos racines.
* Xavier Grall, Les vents m’ont dit. Quimper éditions Calligrammes, 1991, p.45
Retour aux sources
Retour aux sources
par Mathilde Simon
Pendant deux ans j'ai étudié à Angoulême. La mer m'a manqué, et sans m'en rendre compte, j'utilisais des mots bretons dans des phrases en français. Ça s'entendait que je venais de Brest. Le fait de m'éloigner m'a donné envie de revenir et d'interroger mes racines, territoriale et culturelle, via la langue bretonne. Ça m'a fait plaisir de porter ce projet documentaire avec Alexandre, originaire de Poitiers, qui semblait intrigué par le breton et sa culture. Je me suis dit que j'allais lui faire découvrir la langue bretonne via ma famille et mon ancien instituteur bilingue. Du coup, j'ai découvert et redécouvert plein de choses.
Ensuite, si j'ai voulu m'aventurer dans ce genre de projet, à titre personnel, c'était pour conserver les voix de mes grands-parents. Il me tenait à cœur de les enregistrer en français et en breton parce que leur langue témoigne d'une autre époque et porte un accent qui aujourd'hui dénote face à des voix plus lissées. Leur manière de parler, tout comme celle de Philippe Tanguy (l'instituteur), est très rythmée, ils chantent la terre Nord-Finistère. C'est quelque chose qui me touche, ce sont des gens que j'aime, alors c'était important pour moi de les enregistrer.
J'ai l'impression que quand on ne le fait pas, c'est très dur après leur disparition de s'en souvenir.
MATHILDE SIMON
MATHILDE SIMON
À Lannion, Mathilde Simon a suivi des études de journalisme avant d'intégrer en 2015 le Créadoc, master d'écriture et de réalisation documentaire, à Angoulême.
Dans ce cadre elle réalise Bleu, une pièce sonore autour de son père, qui obtient la mention Coup de cœur du jury lors du festival Longueur d'Ondes, dans la catégorie Petites Ondes, à Brest en 2017. Bleu a également été diffusé au festival Les yeux ouverts, à Paris en 2018.
Elle a par ailleurs eu l'occasion de réaliser un projet à France Culture pour l'émission Création on air. Derrière la vitre le désir est un documentaire qui, à travers le portrait d'une femme, évoque la difficulté à désirer lorsque que l'on a été atteint d'un cancer.
Aujourd'hui elle vit à Brest et continue d'écouter et d'enregistrer des gens.
ALEXANDRE DUVAL
ALEXANDRE DUVAL
Réalisateur pour Arte Radio, France Culture (Les passagers de la nuit), responsable de la production sonore au Créadoc, master d'écriture et de réalisation documentaire à Angoulême.
Minoritaire sur son propre territoire
Minoritaire sur son propre territoire
L'OUEST EN MÉMOIRE >>> Enquête réalisée par Fañch Broudig sur l'usage du breton. Les intervenants partagent leurs avis divergents sur son utilité et son devenir
L'EXPRESS, Boris Thiolay >>> De son ancrage dans l'ouest de la péninsule, dès le Ve siècle, à nos jours, l'une des dernières langues celtiques a connu bien des pérégrinations. Honni sous la IIIe République, le brezhoneg retrouve peu à peu ses droits. Et ses locuteurs, leur fierté.
1 décembre 2018 19:26 - DE KERDREL
J'adore ! Bravo Mathilde et Alexandre ! Sans connaître Philippe Tanguy, j'avais découpé dans Le Télégramme son départ en retraite. J'aime beaucoup entendre tes grands-parents, le lien entre vous et puis ton frère Mathilde. C'est un vaste sujet que vous abordez là. Ce que vous avez ressenti à Angoulême, je le vis au quotidien dans mon exil stupide depuis 13 ans. Je vais avoir 56 ans dans 29 jours, je suis de Lannilis via St Pol du côté de mon père, mais c'est surtout du côté de ma mère de Plouigneau que j'ai entendu parler breton et qui m'a marqué pour la vie. Mais, c'est un débat que je viens d'avoir aujourd'hui sur FB avec Mikael Madeg, mon vieux camarade Jean-Michel Sanner (fondateur de la Redadeg avec Katelin Al Lann sa femme) et ma vieille copine Sarah Chediffer-Bonneau, sur Grall et le fait qu'il n'a pas appris le breton. J'aime beaucoup Xavier Grall. Je viens juste de me replonger dans certains de ses livres, parce que j'allais mal et j'avais besoin de sentir les odeurs de Bretagne, de varech, d'entendre le bruit de l'océan, voir les grands vents, les goélands et les fous de Bassan dessiner des arabesques.... Et ça m'a fait un bien fou. J'ai fait tout ce qu'on peut réaliser en breton, pour l'apprendre : tous les stages et cours du soir, par correspondance, etc... Finalement, moi qui ai arrêté mes études en 3°, j'ai repris des étude à la trentaine et obtenu une Licence de/en breton à 35 ans. J'ai été secrétaire, puis Président de Diwan Rennes, à la fin des années 90 . Mes deux fils ont effectué une partie de leur scolarité dans cette école, avant de partir avec leur mère en Normandie où je suis actuellement comme un con, puis à Paris. Et maintenant qu'ils sont jeunes adultes, Mael est à Nice et Tangi à Paris. On se voit peu ou pas du tout. J'ignore ce qu'il leur en reste réellement. Sont-ils bretons comme dit Morvan Lebesque, que je suis en train de relire ? C'est en lisant "Le cheval couché" de Grall que tout à coup en août 1981, je me suis senti breton. Un coup de foudre. Je lisais tranquillement et puis tout à coup, j'ai lu : "Et les filles et les garçons du pays de Bretagne se lèvent ils envahissent les travées, ils dansent et les voici sauvés...". BOUM ! Mon coeur a fait boum, j'ai cru que j'allais avoir une crise cardiaque. J'ai cru que j'allais mourir, alors que je venais de naître au breton et à la Bretagne. Et je n'en sortirais plus jamais. J'eusse bien aimé faire comme vous et enregistrer ma vieille Mammig de presque 92 ans, qui elle avait suivi les cours par correspondance de Skol Ober avec Marc'harid Gourlaouen et qui connaissait bon nombre de chansons, mais hélas, sa mémoire lui fait défaut désormais, il est trop tard... Merci à vous. Emmanuel