Gueule de bois
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SOMMAIREDiffusion terminée
Avec Gros chagrin, Céline Devaux s’arrête un quart d’heure sur le déchirement d’un couple. Elle nous raconte cette pâte humaine ruisselante de larmes avec un peu de hauteur, dans une représentation qui mêle fiction et animation et le dessin qui distancie. Deux registres visuels donc, couplés à une bande son qui de même se situe sur plusieurs niveaux : un narrateur, une voix intérieure (le héros) et le son synchrone, qui émane des scènes.
Les personnages font le compte de tout ce qui les sépare désormais. Crudité dans le propos et dans les images dessinées, un peu grossiers même, si poétiques aussi. L’histoire se passe au lendemain de son anniversaire à lui. Trop d’alcool. Les anciens amants accèdent ainsi à une double gueule de bois, éthylique et émotionnelle ; l’écriture de Céline Devaux restitue magnifiquement ce rapport un peu décomplexé, sans filtre, à soi, aux autres.
GROS CHAGRIN
GROS CHAGRIN
de Céline Devaux (2017 - 15')
Ça va passer. On s’en remet. Jean fête son anniversaire, boit trop et se souvient du week-end désastreux qui a mené à sa rupture avec Mathilde.
>>> un film produit par Sacrebleu Productions
Capturer l'amour perdu
Capturer l'amour perdu
par Céline Devaux
Gros chagrin est un film qui parle d’amour et d’inquiétude avec humour. Le protagoniste, Jean, est assailli par l’anxiété depuis sa récente rupture. En marchant dans la ville, il se souvient de la dernière dispute. Des scènes réalisées en animation permettent de représenter l’analyse qu’il tente de faire de son agitation. La prise de vue met en scène la dispute spectaculaire qui a mené Jean et Mathilde à la rupture, lors d’un week-end à la campagne. Je souhaite parler de la difficulté que l’on peut éprouver à dire adieu à une relation amoureuse, aussi toxique soit-elle.
Le vide qui emplit Jean après cette rupture, c’est aussi la perte de son être social, car sans Mathilde il est seul, certes, mais surtout sans elle, étymologiquement privé de celle qui désormais lui manque. Il me semble que cette impasse repose parfois sur la représentation que l’on s’en est fait et aussi que les autres autour de nous s’en sont fait. On peut donc être obsédé par l’idée de perdre quelque chose, comme si le couple était une vue de l’esprit, mais aussi une sorte de construction, témoin d’efforts communs et d’une vie sociale que l’on a partagée, qui a constitué aussi le couple en tant que tel. En sont symptomatiques les phrases telles que ils allaient tellement bien ensemble ou c’était vraiment l’idée que je me faisais d’un couple. C’est cette projection extérieure et intérieure, dépassant les sentiments, qui m’intéresse.
En introduisant l’humour propre au dessin pour décrire l’anxiété et en faisant en sorte que la scène de la dispute soit explosive, à la limite du comique, je voudrais parvenir à capturer l’absurdité des sentiments et les vaines tentatives que l’on peut mener pour essayer de les comprendre. Je souhaite aussi parler d’un personnage qui se fait surprendre par l’anxiété, qui est un sentiment nouveau pour lui. Qu’est ce que c’est que cette façon de se dissoudre, se demande-t-il, en appelant aux gens qui ont de vrais problèmes, topos moral qui revient aussi dans la dispute avec Mathilde. En tentant de résister à la déprime, il va chercher des solutions d’abord comiques puis touchantes à la peur du vide. Afin de mieux exprimer le désarroi auquel le héros fait face entre passé et présent, je choisis de faire appel à deux techniques : car l’amour n’est à mon goût pas vraiment une histoire de faits, d’actions, d’étapes factuelles qui pourraient être racontées au spectateur par un flashback classique. Il s’agit au contraire d’une extraordinaire confusion de points de vues, de projections et de souvenirs partiaux qui semblent parfois ne jamais avoir existé tant les situations ont été enchevêtrées dans les sentiments.
Il ne s’agit pas de raconter deux versions d’une même histoire d’amour, où la subjectivité du héros (animation) et la réalité des faits (prise de vue) seraient en conflit. Il s’agit de se saisir avec humour et poésie de la détresse que les sentiments vont créer chez un personnage, au moment de l’amour puis au moment où l’amour est perdu. Dans mon précédent film, l’amour familial se doublait d’une sourde violence, celle de la cohabitation entre l’affection que l’on porte à sa famille et la personne que l’on devient à la sortie de l’enfance. Ici, c’est d’amour choisi dont il s’agit : pourquoi, se demande Jean, ne parvient-il pas à accepter la perte de celle qu’il a décidé de quitter ?
CÉLINE DEVAUX
CÉLINE DEVAUX
Céline Devaux est réalisatrice et illustratrice. Après des études de lettres et d'histoire, elle intègre l'École nationale des arts décoratifs de Paris. Son court métrage de fin d'étude, Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch Raspoutine, est sélectionné dans de multiples festivals en 2013 et est récompensé à plusieurs reprises, notamment au Festival international de Clermont-Ferrand et au festival Premiers plans d'Angers. Elle vit et travaille à Paris sur différents projets plastiques, films, films d’animations et illustrations (notamment pour l’hebdomadaire Le 1).
Son court métrage, Le repas dominical (2015), soutenu par Arte France, le CNC et la Mission Paris cinéma de la mairie de Paris, est sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes en 2015 et récompensé à de nombreuses reprises depuis, y compris par le César du meilleur court-métrage d’animation en 2016. En 2017, Gros chagrin obtient le prix du meilleur court métrage à la Mostra de Venise. Son travail est présenté en 2018 dans le cadre d'une exposition intitulée Repas chagrin à la Maison Fumetti à Nantes. En 2018, elle intègre le jury du festival Premiers plans d'Angers dans la catégorie courts-métrages. Elle est également membre du collectif 50/50 dont l'objectif est de promouvoir l'égalité des hommes et des femmes ainsi que la diversité dans le monde du cinéma et de l'audiovisuel.
Swann Arlaud, l’acteur qui monte
Swann Arlaud, l’acteur qui monte
BREF CINÉMA >>> Sur une bande originale composée par le fidèle et génial bricoleur de l’électro Flavien Berger, Céline Devaux réalise avec Gros chagrin un remake du Mépris de Jean-Luc Godard. Outre le fameux lit à barreaux, on y retrouve cette même atmosphère froide, lyrique et mélancolique.
CNC >>> Making of de la fiction gros chagrin, meilleur court métrage à la Mostra.
FORMAT COURT >>> Cécile Devaux organise la vie et la duplicité complice des images réelles et des scènes animées sans souffrir d’aucune compétition entre les deux. Et ce mariage des genres ne passe pas sans un certain éclat.
La première scène du film en deux plans expose le conflit majeur posée par cette état de faiblesse à la fin d’une histoire d’amour : le sentiment amoureux se nourrit de paradoxes. Jean et Mathilde sont dans le même lit, d’abord allongés l’un près de l’autre puis Jean arc-bouté autour de la taille de Mathilde, au son, Jean délivre un : Tu veux que je te quitte ? Je le fais. Jean sera victime d’une chute libre qu’il a décidé d’entreprendre. Parce qu’il a raison et Mathilde aussi : il/elle peut la/le quitter.
ARTE >>> Swann Arlaud est l’acteur qui monte. À l’affiche de Gros Chagrin, film mi-animé, mi en prises de vues réelles, il était aussi le comédien principal de Petit paysan de Hubert Charuel, sorti en septembre 2017 en France après avoir été présenté à la Semaine de la critique du Festival de Cannes.
Entretien avec Swann Arlaud l’acteur qui monte (César 2018 du meilleur acteur pour Petit paysan). Il joue le rôle principal de Gros chagrin.
14 juin 2021 13:00 - DEIANA. M
Oh là là... Original, bien senti, bien joué. Merci pour ce casting et pour cette symbiose entre les genres. Bonheur!
27 mars 2018 11:20 - baylacq
Swann a tourné en Bretagne un film superbe passé un peu inaperçu : Crowl. peut-être son premier premier rôle. Je vous le recommande si on le trouve encore.