L'amour sans paroles

femme qui chante et signe harmonies

Laura, chanteuse lyrique qui a perdu la voix, rencontre Lorenzo, un comédien sourd. Entre la mélancolie de l’une et l’appétit de vivre de l’autre, une étincelle se produit, que la réalisatrice Eurydice Calméjane filme avec une attention portée à la sensualité des gestes et aux moments où l’émotion gagne les cœurs. Harmonies raconte l’histoire sans paroles d’un amour naissant. L’on y voit comment le langage des signes amène les locuteurs à se dévoiler. Car, au-delà de l’apprentissage des signes, Laura va se trouver encouragée par Lorenzo à laisser venir sur son visage et son corps l’expression de ses sentiments, pour finalement laisser à sa voix la possibilité de vibrer à nouveau dans un magnifique final : la chanson Oh my love de John Lennon.

Coup de chapeau à Rosemary Standley - la chanteuse de Moriarty ! - et Martin Cros, dont la grâce et la générosité donnent à ce film toute son épaisseur.

FILM

HARMONIES

d’Eurydice Calméjane (2015 - 21’)

Laura, chanteuse lyrique, a perdu sa voix. Elle rencontre Lorenzo, un comédien sourd qui s’exprime en langue des signes.

>>> un film produit par Lucie Portehaut et Sandrine Pillon des Fées Productions

INTENTION

S’exprimer autrement

homme et femme prennent le thé - harmonies

par Eurydice Calméjane

Harmonies est avant tout une histoire d’amour, celle de deux personnes qui sont en apparence des contraires. L’une est figée quand l’autre est souple et mobile, l’un est sourd quand l’autre a l’oreille musicienne, l’une a été obligée d’abandonner la scène, tandis que l’autre s’y exprime avec aisance. La surdité de Lorenzo n’est donc pas envisagée comme un handicap mais comme une autre façon d’être au monde et de communiquer. Une altérité qui offre à Laura la possibilité de s’exprimer autrement qu’avec la parole et de décaler son regard sur le monde. Parler avec des gestes, c’est une façon de mobiliser autrement son corps, ses souvenirs, ses émotions. Les mots ne peuvent plus servir d’écran fourre-tout. Il faut retrouver leur sens, et l’essence même de ce que l’on veut dire. Il faut investir son corps.


Ce déplacement du langage produit en même temps un déplacement du corps et de la pensée. Bref, un déplacement de l’être qui permet à Laura d’envisager de reprendre le dialogue avec le monde qui l’entoure, de renouer avec elle-même et finalement de retrouver sa voix.
Harmonies est donc une histoire d’amour sans mots. Mais sans mots ne veut pas dire sans dialogue. Même s’ils ne sont pas sous la forme parlée classique, il y a bien dans cette histoire des dialogues, et même des monologues, en langue des signes, en mime, ou bien dans un mélange des deux. Il faut d’ailleurs bien faire la distinction entre la langue des signes française (LSF), qui est une langue à part entière, subtile et complexe, avec une structure grammaticale élaborée, et le mime qui est une forme d’expression instinctive et innée.
Pour rendre compte de ces dialogues gestuels, il m’était cependant impossible de décrire de façon systématique les gestes utilisés. J’ai donc fait le choix de livrer dans le scénario les grandes lignes de ce que les personnages se disent, en donnant parfois quelques aperçus des gestes qu’ils utilisent, afin de donner des pistes visuelles aux comédiens.
Par ailleurs, j’ai décidé qu’aucun de ces échanges gestuels ne serait sous-titré. En effet, il me semblait nécessaire que l’attention du spectateur soit complètement focalisée sur le visage et le corps des personnages sans que des écritures ne détournent son regard. L’absence de sous-titrage permet de placer le spectateur dans la même position que Laura et Lorenzo. Pour que lui aussi décale son mode de compréhension. Qu’il soit attentif à l’énergie des corps, aux métaphores, aux échanges d’émotions. Qu’il s’installe dans cette bulle de concentration toute particulière que produisent les échanges gestuels. Les regards ne peuvent pas fuir, l’esprit ne peut pas divaguer, l’entendement est totalement mobilisé. Pour autant, j’ai eu soin de faire en sorte que les éléments narratifs nécessaires à la compréhension du fil de l’histoire soient le plus clair possible. Pour le monologue de Lorenzo en LSF dans la scène de la rencontre, il est évident qu’un spectateur ignorant de la LSF ne peut pas saisir avec précision le fond de ce qui est dit. Mais parce que la langue des signes utilise de nombreux signes iconiques, issus du mime, et parce qu’elle s’appuie sur une grande expressivité du visage, il peut néanmoins saisir des bribes, des indices, et reconstituer les grandes lignes de ce qui est dit. En tous les cas, il peut percevoir les émotions qui sont exprimées. En effet, lors de mes différentes rencontres avec des personnes sourdes, et avec la langue des signes, j’ai été étonnée de l’aisance avec laquelle certains sourds se font comprendre. Ils utilisent des signes iconiques très lisibles qu’ils agrandissent et accompagnent d’expressions du visage.
Au final, pour chaque individu, les perceptions, les sensibilités et le rapport au monde sont uniques. L’enjeu de la communication est donc de transcender ces différences, pour se comprendre et peut-être s’aimer.

BIOGRAPHIE

Eurydice Calméjane

portrait Eurydice Calmejane

Eurydice Calméjane est née à Paris en 1977 et vit aujourd’hui à Nantes. Elle partage son temps entre la réalisation, la production, l’accompagnement d’auteur.e.s et l’implication au sein d’associations promouvant le cinéma en région. En 2015, après plusieurs années comme chargée puis administratrice de production, elle réalise Harmonies, son premier court métrage de fiction, qui connaît de nombreuses sélections en festivals. Puis elle coproduit en 2020 Les graines que l’on sème avec le réalisateur Nathan Nicholovitch, et achève l’année suivante son second court métrage de fiction, Anna la bonne.

REVUE DU WEB

Développer la LSF

LE FIGARO >>> Brigitte Garcia, professeure à l’université Paris 8 et spécialiste de la langue des signes explique pourquoi ce langage visuel et gestuel constitue une grande richesse linguistique.

LIBÉRATION >>> Les classes mixtes, qui mêlent les enfants entendants et sourds, se raréfient.

FRANCE INFO >>> L’accès aux médias et à l’information est parfois le parcours du combattant pour les personnes sourdes, qui dénoncent les traductions de mauvaise qualité et la LSF qui peine à s’imposer à la télévision.

LIBÉRATION >>> Les chansigneurs se battent pour développer leur pratique, et ainsi rendre accessible les lieux de spectacle aux sourds. Le défi pour ces interprètes d'un genre un peu particulier est de faire accepter le chansigne comme une véritable performance auprès de l'industrie de la musique et du public.

COMMENTAIRES

  • 11 décembre 2023 21:11 - Blanpain Jean-Pierre

    il y a plus de 10 ans j'ai vu en concert RoseMary Standley avec son groupe Moriarty. C'était au Palais Idéal du Facteur Cheval, dans la Drome. Quelle déception! On aurait dit qu'elle faisait la gueule. Tout au long du spectacle. Après, nous avons causé quelques minutes, mais elle était limite sympa. Alors que j'aimais son boulot. Et là, dans ce court métrage, elle est rayonnante. Elle est remonté dans mon hit parade.

CRÉDITS

avec Rosemary Standley, Martin Cros

réalisation et scénario Eurydice Calméjane
assistant réalisateur Jules Raillard
image Julien Roux, Matthieu Agius, Jonas Dutouquet
son Pablo Salaun Jérémy Morvan
chant Rosemary Standley, Dom La Nena

montage Julien Ngo Trong
mixage Xavier Marsais
décors Juliette Bigoteau
maquillage Fabienne Le Goff
costumes Gabrielle Tromelin

production Lucie Portehaut et Sandrine Pillon - Les Fées Productions
distribution Manifest
avec l’aide de la Région Bretagne et du Département du Finistère
avec le soutien du CNC et de la Procirep

Artistes cités sur cette page

portrait Eurydice Calméjane

Eurydice Calméjane

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