Éden factice
15/06/2026
L'on connaissait les méfaits des pays riches à l'assaut des ressources naturelles africaines, l'on connaît moins celle de l'exploitation des parcs naturels, bâtis sur le mythe d'une survivance du paradis terrestre avec un accès fortement tarifé. Le scandale, c'est que ces parcs ont fait l'objet d'un nettoyage préalable, chassant les autochtones vers la périphérie des villes, pour que le touriste blanc puisse se rêver en ultime Adam avant l'Apocalypse. Encore un de ces marchés de dupe dont l'historien Guillaume Blanc nous détaille les principes économico-politiques.
une page en coédition avec Les Champs Libres
Rencontre avec Guillaume Blanc
Rencontre avec Guillaume Blanc
par Arnaud Wassmer (2021 - 41’)
L’invention du colonialisme vert alerte sur les ravages d’une vision de l’Afrique par les pays riches, encore bien ancrée aujourd’hui, celle d’un continent vierge, sauvage, animal... Or, selon Guillaume Blanc, l’Éden africain est une création artificielle de l’esprit occidental, une notion absurde qui justifie l’injustice et la criminalité dans le seul but de s’approprier ces terres convoitées. La préservation se mue en consommation sous notre regard indifférent. Une vérité dérangeante, mais nécessaire.
Un mythe criminel
Un mythe criminel
par Guillaume Blanc
Cette histoire commence par un rêve : l'Afrique. Des forêts vierges, des montagnes majestueuses entourées de savanes, des oasis luxuriantes, des plaines désertiques évoluant au rythme de la vie animale, des lions, des éléphants, des girafes, des rhinocéros qui règnent en maître sur la nature, loin de la civilisation. Nous avons tous ces images en tête. Il s'en dégage un sentiment d'éternité, une émotion rassurante face aux dégâts que cause partout ailleurs la modernité, la nôtre. Mais cette Afrique n'existe pas, elle n'a jamais existé et le problème c'est que nous sommes convaincus du contraire.
Plus la nature disparaît en Occident plus nous la fantasmons en Afrique. Plus nous détruisons la nature ici et plus nous essayons de la sauver là-bas. Avec l'Unesco, le WWF ou l'Union internationale pour la conservation de la nature, nous croyons protéger dans les parcs naturels africains les dernières traces d'un monde autrefois vierge et sauvage. En réalité, ces institutions organisent à marche forcée la naturalisation de toute une partie du continent. Par ce mot, j'entends la déshumanisation de l'Afrique, mettre des territoires en parc, y interdire l'agriculture, exclure les hommes, faire disparaître leurs champs et leurs pâturages pour créer un monde prétendument naturel ou l'homme n'est pas. Et ce combat pour une Afrique fantôme ne change absolument rien à la destruction de la biodiversité. Pire, ces effets sont désastreux pour tous les occupants de la nature. Déplacements forcés de population, amendes, peines de prison, déstructuration sociale, passages à tabac, parfois viols et même meurtres… telles sont les conséquences catastrophiques de la vision occidentale de l'Afrique. Ce livre interroge les mécanismes de cette violence, il raconte l'histoire et l'actualité de cette injustice qui rythme la vie de celles et ceux qui vivent à l'intérieur et aux alentours des parcs nationaux africains.
Les parcs nationaux en trompe-l’œil
Les parcs nationaux en trompe-l’œil
L’Afrique compte environ 350 parcs nationaux. Au 20e siècle, plus d’un million de personnes ont été expulsées afin de faire du mythe de l’Éden africain, une réalité. Dans son ouvrage, Guillaume Blanc prend l’exemple du parc national du Simien en Éthiopie. Considéré en péril à cause de l’érosion des sols par les paysans, l’Unesco a recommandé l’expulsion des 2500 habitants du lieu. Une démarche mise en place par le gouvernement en 2016. Le lieu a alors obtenu le titre de Patrimoine mondial de l’humanité.
Cet exemple, loin d’être unique, dénote l’hypocrisie des institutions environnementales telles que l’Unesco ou le WWF qui véhiculent la croyance selon laquelle l’Afrique serait dégradée par les Africains. Paradoxalement, ces parcs, une fois vidés de leurs habitants, sont ouverts aux touristes dont 90% d’entre eux viennent d’Occident. Transport en avion, smartphones, tentes… l’impact écologique est énorme. Ces parcs agissent comme des trompe-l’œil afin de redorer l’image de l’Afrique à l’international. Pour les chefs d’États indépendants africains, ils représentent également un moyen efficace de planter le drapeau national dans des territoires que l’État peine à contrôler. La violence liée à l’expulsion des habitants est ainsi dissoute derrière une volonté de préservation de la nature.
Guillaume Blanc
Guillaume Blanc
Guillaume Blanc est maître de conférences en Histoire contemporaine à l’université Rennes 2. Il est également chercheur à Tempora et chercheur associé au Centre Alexandre Koyré et à LAM (Les Afriques dans le monde, Science po Bordeaux). Ses recherches portent principalement sur les experts et militants circulant entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe au 20e siècle. Il dirige la collection Histoire environnementale aux Éditions de la Sorbonne, où il a notamment publié Une histoire environnementale de la nation (2015) et co-dirigé Humanités environnementales, enquêtes et contre-enquêtes (2017). Son dernier livre, L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain., est paru chez Flammarion en 2020.
Déshumaniser la nature
Déshumaniser la nature
FRANCE CULTURE >>> Aux racines de l’injustice sociale et de l’absurdité écologique, il y a l’histoire : celle des premiers explorateurs, à la recherche d’un Eden qu’ils ne trouveront jamais.
NONFICTION >>> Le mouvement Wilderness aux États-Unis consiste à préserver la nature face à l’industrialisation. Il repose sur un mensonge : ces espaces sauvages ne sont pas inhabités.
THE CONVERSATION >>> Voilà ce qu’est le colonialisme vert. Une entreprise globale qui consiste à naturaliser l’Afrique par la force, c’est-à-dire à la déshumaniser.
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