La rue vers l'art
Villeglé, retour à Saint-Malo
À l’été 2016, Hervé Portanguen est parti à Saint Malo, rencontrer Jacques Villeglé dans sa maison de famille. Célèbre pour ses affiches lacérées et sa guérilla des signes, le vieil homme au chapeau, toujours vaillant, est considéré comme le père du street art. La galerie Vallois à Paris, venait de célébrer son 90e anniversaire en exposant une suite d'affiches lacérées, aux tons verts et orange fluo. Parmi elles des portraits de l'artiste que la ville de Quimper (sa ville natale) avait placardés dans les rues en 2006 et que Villeglé s'était amusé à collecter. Autre curiosité, un film abstrait inabouti, PÉNÉLOPE (©Centre Pompidou CNAM) coréalisé avec son ami Raymond Hains, entre 1950 et 1954, avec des verres déformants, dont nous relatons ici la genèse.
LA RUE VERS L'ART
LA RUE VERS L'ART
un sujet de Hervé Portanguen (2017- 7')
Jacques Villeglé par Danielle Robert-Guédon
Jacques Mahé de La Villeglé, dit Villeglé, naît en 1926 à Quimper, fait des études aux Beaux-arts de Rennes où il rencontre Raymond Hains en 1945. L'été 1947, à Saint-Malo, il commence à collecter des objets trouvés tels fils d'acier, débris du mur de l'Atlantique, échantillons de catalogues. Fin 1949, il s'installe à Paris et oriente ses collectes vers les affiches lacérées par des mains anonymes, donnant comme titre à ses appropriations le nom du lieu où le rapt est commis.
Il fait partie de ces artistes qui fondent en octobre 1960 le groupe des Nouveaux Réalistes, à l'initiative de Pierre Restany, groupe au sein duquel Raymond Hains, François Dufrêne et Villeglé représentent les affichistes. Depuis lors, une impressionnante bibliographie accompagne l'œuvre de Villeglé, désigné tour à tour comme révolutionnaire du regard, promeneur, artiste collectionneur, ravisseur, chapardeur ou lacérateur/littérateur.
À cette dernière épithète, nous ajouterions volontiers homme de lettres afin de ne pas perdre de vue son intérêt pour le Lettrisme et la poésie sonore, pour insister sur la formidable érudition présente dans ses propres écrits et sur l'invention de son Alphabet socio-politique. Mais la simple chronologie ne suffit pas pour comprendre et circonscrire une telle démarche. En opérant des allers-retours permanents entre les œuvres de Villeglé, en bousculant les dates, de nouvelles analogies surgissent, tels les strates et les croisements révélés par chacun de ses rapts. Rien d'étonnant pour un artiste disant de la Bretagne (qu'elle) est une région d'inter-signes. Cela oblige tout observateur de son œuvre à une gymnastique de l'esprit constituée de rapprochements subjectifs, faisant de chacun d'eux un Lacéré Anonyme élargissant encore la déchirure. Car il y a de l'entourloupe facétieuse chez Villeglé, comme dans l'exposition de Rennes, en 1985, intitulée Le Retour de l'Hourloupe, selon les assonances que Jean Dubuffet associait à ce mot. Entourloupe, raccourci d'entourloupette, n'apparaissant qu'en 1947, l'année décisive pour les collectes d'objets. Entourloupe, par exemple, avec l'affiche Rue du Départ, datée du 12 juillet 1968, sur laquelle nul signe n'indique la rue, et Gaité-Montparnasse , de mai 1987, sur laquelle on lit très distinctement rue du départ, titre du film de Tony Gatlif. De quoi y perdre son (quartier) latin. De même qu'il y eut l'exposition en 1965 De Mathieu à Mahé, puis en 1995, Prix choc, travail à quatre mains entre Villeglé et Gilles Mahé, on pourrait ainsi multiplier les correspondances de noms, de dates ou d'événements. Non seulement Villeglé collectionne l'addition des gestes aléatoires, comme le dit Bernard Lamarche-Vadel (écrivain, poète, critique d'art, et collectionneur), mais il permet à tout un chacun de renouer avec le hasard, de revendiquer le moindre regard et de le signer anonymement.
Portrait paru dans Critique d'art #30 - automne 2007
Danielle Robert-Guédon est écrivain. Elle a publié Le désespoir du singe, Le grand abattoir, Je reçois aux éditions Balland, Les vivants, les morts et les marins aux éditions Joca Seria ainsi que de nombreux textes pour des revues d'art et de littérature.
PÉNÉLOPE
PÉNÉLOPE
Hervé Portanguen : Nous marchons dans les rues de Saint-Servan, un quartier de Saint-Malo, avec Jacques Villeglé, ses filles Valérie et Adeline, en direction de la maison familiale habitée par l’une de ses sœurs. Je lui ai demandé de me montrer la terrasse où avec Raymond Hains, dans les années cinquante, ils expérimentaient la représentation de la couleur sur pellicule, profitant, sur plusieurs étés, de la vive lumière marine (quand leurs finances le leur permettaient). Ces travaux devaient marquer l’Histoire de l’Art.
Le Monde (23 avril 2016) >>> À la galerie Vallois se dévoile un trésor méconnu : un film expérimental intitulé Pénélope, que Villeglé a tenté de réaliser aux côtés de son complice Raymond Hains (1926-2005), entre 1950 et 1954, sans qu’ils parviennent jamais à l’achever. Les deux gamins, qui n’étaient pas encore ces monstres du nouveau réalisme qu’ils sont devenus dix ans après, ont en effet eu recours à mille techniques : collages et lentilles de verre cannelé, dessin animé ou peinture glycérophtalique… Leur Pénélope se trouve ici magnifiquement retissée.
VILLEGLÉ PAR FRANÇOIS POIVRET
VILLEGLÉ PAR FRANÇOIS POIVRET
En 2013, le photographe raconte dans une vidéo son parcours commun avec Villeglé, tout en montrant les différents portraits qu’il a fait de lui.
Ce livre (Filigranes éditions) présente un ensemble de portraits de Jacques Villeglé réalisé entre 1985 et 2013. Vingt-huit années durant lesquelles le photographe a suivi l’artiste de renommée internationale Jacques Villeglé. Ce dernier contribua activement à la constitution du groupe des Nouveaux réalistes, mouvement d’avant-garde fondé en 1960, qui prône le retour à la réalité et à l’utilisation d’objets trouvés dans le processus de création (assemblage, accumulation, lacération…). Il met en avant les réalités collectives urbaines et rend un témoignage historique original de la société moderne. Dans ce livre, François Poivret dévoile d’une façon chronologique l’émergence d’œuvres de Jacques Villeglé à travers ses séances d’arrachage, ses découpages de lettres constituant son alphabet socio-politique mais également ce qui sous-tend son œuvre : des traces, des indices (tags, graffitis, signalétiques…) captés dans les villes où évolue l’artiste. Il rend compte enfin des déambulations de l’artiste à Rome, Istanbul, New-York, San Francisco mais aussi à Paris, Saint Malo…
Danielle Robert-Guédon
François Poivret est né en 1959. Il est devenu le photographe attitré de grands artistes de notre époque : César, Olivier Debré, François Bouillon, Antonio Saura, Brice Marden, Jacques Villeglé. Avec ce dernier, il a développé une collaboration étroite qui, depuis 1985, englobe le reportage sur les lieux d’arrachage, le travail à l’atelier et des portraits.
JACQUES VILLEGLÉ
JACQUES VILLEGLÉ
Jacques Mahé de La Villeglé, dit Villeglé, naît en 1926 à Quimper, fait des études aux Beaux-arts de Rennes où il rencontre Raymond Hains en 1945. Dès l'été 1947, à Saint-Malo, il commence à collecter des objets trouvés tels fils d'acier, débris du mur de l'Atlantique, échantillons de catalogues. Fin 1949, il s'installe à Paris et oriente ses collectes vers les affiches lacérées par des mains anonymes, donnant comme titre à ses appropriations le nom du lieu où le rapt est commis.
Il fait partie de ces artistes qui fondent en octobre 1960 le groupe desNouveaux Réalistes, à l'initiative de Pierre Restany, groupe au sein duquel Raymond Hains, François Dufrêne et Villeglé représentent les affichistes. Depuis lors, une impressionnante bibliographie accompagne l'œuvre de Villeglé, désigné tour à tour comme révolutionnaire du regard, promeneur, artiste collectionneur, ravisseur, chapardeur ou lacérateur/littérateur.
Plus de détails sur la vie et l'oeuvre de Villeglé sur sa fiche artiste !
L'AUDACE FOLLE
L'AUDACE FOLLE
BEAUX ARTS >>> Jacques Villeglé vient de nous quitter, à l’âge de 96 ans. Ses affiches lacérées conservent en leurs lambeaux soixante-dix ans de vie parisienne. Célébré au MoMA de New York dès 1961, il laisse derrière lui une carrière aussi unique que prolifique. En 2019, nous l’avions rencontré chez lui, dans son atelier parisien chargé de souvenirs autant que d’œuvres… Retour sur ces quelques instants partagés avec l’artiste.
KONBINI ARTS >>> Qui était Jacques Villeglé, le grand-père de l’art urbain mort à 96 ans ? Membre fondateur du groupe des Nouveaux Réalistes en 1960, avec Arman et Yves Klein notamment, Jacques Villeglé, de son nom complet Jacques Mahé de la Villeglé, est né le 27 mars 1926 à Quimper et a étudié aux Beaux-Arts de Rennes puis de Nantes.
Le JDD >>> Le court métrage baptisé Pénélope évoque les reflets de l’eau, ou une tapisserie abstraite mouvante, tissée par Villeglé et son ami Raymond Hains (1926-2005). Imaginez l’audace folle de ces deux jeunes gens de vingt ans, qui se lancent dans un tel chantier, une telle folie, estime Georges-Philippe Vallois.
Libération >>> A 90 ans, Jacques Villeglé a l’œil malicieux et se marre encore d’avoir fait œuvre en travaillant avec les idées et les mains des autres.
Huffington Post >>> Au sortir de la guerre, le jeune Breton sera architecte. Les murs, les palissades, la comédie urbaine deviennent son terrain de jeu, donnant libre cours à sa passion pour la typographie.
Télérama (entretien) >>> Villeglé : Le street art est un fait de société, un mouvement qui me plaît pour son côté ludique et éphémère. Exactement comme les grandes peintures que les Incas créaient pour les cérémonies et qu'ils effaçaient une fois la fête finie.
Survoler l’œuvre de Villeglé dans Documents d'Artistes Bretagne
Présentation de l'expo de la galerie Vallois par le critique Jean-Marc Huitorel
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