Téhéran mon amour
Jasmine est le premier long métrage d’animation d’Alain Ughetto, le réalisateur d'Interdit aux chiens et aux Italiens. Documentaire poétique qui raconte l’histoire d’amour de son auteur avec une jeune Iranienne dans les années 1970, quand le régime du shah vacille et que l’ayatollah Khomeiny prépare son retour au pays. Jasmine est une œuvre singulière et magistrale, qui mêle prises de vue réelles et images en stop motion. Sous nos yeux, les marionnettes en pâte à modeler d’Alain Ughetto sortent littéralement de ses mains, se mettent à palpiter sous ses doigts. Il nous raconte son histoire personnelle prise dans la grande histoire, comment la sensualité du rapport amoureux se heurte à la brutalité de la répression policière. L’abstraction des figures et du décor – Téhéran sous une chaleur étouffante que brassent les pales d’un hélicoptère/ventilateur –, cette abstraction ne fait qu’amplifier la force du récit entrelardé d’images d’archives et porté par les voix émouvantes de Jean-Pierre Darroussin et Fanzaneh Ramzi.
JASMINE
JASMINE
de Alain Ughetto (2013 - 70’)
Dans le Téhéran de Khomeiny, mystérieux et oppressant, dans le tumulte de l’Histoire, des êtres luttent comme bien d’autres pour l’amour et la liberté. Du frémissement de la pâte modelée surgit la plus incroyable des histoires mêlant l’amour et la révolution : en France, à la fin des années 1970, Alain rencontre Jasmine, une Iranienne ; elle change le cours de sa vie.
>>> un film produit par Alexandre Cornu des Films du Tambour de Soie
La violence d’une histoire vécue
La violence d’une histoire vécue
par Alain Ughetto
Tout a commencé par un mauvais rêve : je l’ai crue morte. J’ai retrouvé sa trace sur le net, j’ai téléphoné. J’ai appris qu’elle était mariée, mère de deux enfants et enseignante en Suède. Les nouvelles étaient rassurantes et ses rires joyeux. Du coup, j’ai replongé dans les lettres, les dessins, les bobines de films super-huit que j’avais conservés de cette époque. À la lecture des lettres qu’elle m’adressait 30 ans plus tôt, en 1978 et 1979, la puissance et la force de son amour contenu m’ont troublé. J’y sentais le flottement de ses sentiments, ses interrogations, mais qu’en était-il de moi ? Ce qui m’interrogeait, me dérangeait, c’était le creux, le creux de ma présence : j’avais la trace de ses écrits, elle n’avait pas conservé les miens. Au fil du temps, ses lettres s’étaient peu à peu espacées, puis plus rien. De mon côté, j’avais abandonné la pratique du cinéma d’animation et ce jouet de gosse qu’est la pâte à modeler pour aller vers le documentaire. J’ai voulu revenir sur cet épisode de ma vie, en retracer l’histoire.
J’ai d’abord fait un inventaire du matériel que j’avais pour la mettre en place. Dans l’humidité d’une cave, j’ai retrouvé des films super-huit muets tournés en Iran, de longues lettres de Jasmine, aérogrammes sur papier bleu, trois films d’animation en pâte modelée et, dans le désordre, beaucoup de souvenirs emmêlés, joyeux et tristes. Mais le plus émouvant a été de retrouver dix secondes de son image brouillée par l’humidité et tournée par moi. Et des images de moi, dans le même état, tournées par elle.
À l’Institut national de l’audiovisuel, je suis allé confronter le chaos de mes souvenirs aux actualités de l’époque. Dans la chronologie des actualités (de septembre 1978 à mars 1979), j’ai revécu les émeutes et les manifestations demandant le départ du shah, l’intérim de Chappour Bakhtiar comme Premier Ministre, le retour d’exil de l’ayatollah Khomeiny, la révolution et l’instauration de la République islamique d’Iran.
Mes souvenirs, mes émotions émergeaient et s’agençaient, les images super-huit s’y intercalaient, les lettres de Jasmine y reprenaient toute leur place chronologique. S’y découvrait un tour du destin, une histoire d’amour impossible. Elle, forte de caractère, prise dans la révolution de son pays, corps et âme, elle s’engage. Lui, en Iran, se laissant guider. Ne comprenant ni la langue, ni les signes, perdu dans son monde, pris dans une révolution qui ne le concerne pas, il n’a d’yeux que pour elle. Au final, ils se séparent.
J’ai décidé d’en faire un film. Et de l’inscrire sur ce fond d’histoire toujours d’actualité. J’ai repris la pâte à modeler et je l’ai malaxée. Et, sous mes doigts, c’est toute une mémoire qui remontait. En revenant à mes premières amours, en modelant des bonshommes, à cette lumière, les émotions contenues dans ces aérogrammes devenaient plus intenses. Les personnages abstraits en pâte en faisaient une traduction indirecte. Dans leur matière, mes personnages racontent, mais aussi fondent, volent, se mélangent, s’incrustent sur du réel, se révoltent, vibrent, s’aiment… Les mouvements de la pâte répondaient aux aérogrammes d’il y a trente ans.
Un bonhomme de pâte de couleur jaune, la mémoire d’Alain, assis sur l’aérogramme s’envole vers Téhéran. Au souvenir de ces moments, une multitude d’autres bonshommes de même forme, mais de couleur bleue se dressent. L’un d’entre eux représente Jasmine. Elle a trouvé un appartement, elle l’attend. Le seul but de ces personnages est de se retrouver. Pour que ce récit documentaire puise sa force dans la violence d’une histoire vécue, il me fallait en incarner le propos. Pas jouer, mais être au travail. Les mains dans la matière malléable, c’est comme ça qu’il convenait de raconter. Je désirais composer un film de moi qui ne pourrait exister sans elle. Un film inventé, entièrement conçu par moi, comme un magnifique cadeau pour elle. Je voulais faire de ce film un lieu à part : une rencontre, une conjonction à laquelle, allez savoir pourquoi, on peut vouer sa vie.
Alain Ughetto
Alain Ughetto
Alain Ughetto a hérité de son père et de son grand-père un goût prononcé pour le bricolage, qu’il infuse dans son cinéma par l’animation, un vecteur pour explorer l’intime. En 1985, Alain Resnais lui décerne le César du meilleur court-métrage d’animation pour La Boule. Il devient ensuite journaliste et documentaliste pour de nombreuses chaînes de télévision. Puis, en 2013, il renoue avec sa passion du cinéma d’animation et réalise Jasmine, où se joue son histoire d’amour dans le tumulte de Téhéran à la fin des années 1970. Son dernier film d’animation, Interdit aux chiens et aux Italiens, retrace quant à lui l’histoire de son grand-père et, à travers elle, celle de nombreux immigrés italiens.
La révolte iranienne
La révolte iranienne
LE BLOG DOCUMENTAIRE >>> Analyse du film d’animation Jasmine, d’Alain Ughetto, un essai documentaire poétique et attachant, sélectionné au Festival du film d’animation d’Annecy en 2013.
FRANCE INTER >>> Affaires sensibles revient sur la chute du shah d’Iran en 1979, un des bouleversements les plus importants du XXe siècle.
TELERAMA >>> C'est pour nous, et de loin, le plus beau film d'animation pour adultes de l'année 2013. Il est signé du documentariste marseillais Alain Ughetto, qui dans sa jeunesse folle, réalisait des films d'animation en volume, avec de la pâte à modeler.
COURRIER INTERNATIONAL >>> Le blog de Courrier international nous propose une Géopoétique de l’amour à l’iranienne. Aimer en Iran, c’est d’abord chercher un lieu pour s’aimer. Il faut mettre en place des parades, déambuler dans la ville ou draguer dans les embouteillages.
RADIO FRANCE >>> La BD Love story à l’iranienne est née de la rencontre des auteurs avec des jeunes Iraniens et Iraniennes, avec qui ils ont discuté amour, famille, couple, sexualité, régime politique… et comment tout cela se conjugue en Iran.
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