Nous autres, cochons

Néon bébé cochon qui s'en dédit Jean Louis Le Tacon

Pendant trois ans, poussé par Jean Rouch, Jean-Louis Le Tacon filme la raison économique comme une machine de mort, l’histoire d’un type qui doit d’abord sauver sa peau. Mais lui appartient-elle encore, sa peau ? C’est le sujet : un corps souillé, essoré, sous une peau de porc.
Patrick Leboutte

FILM

COCHON QUI S'EN DÉDIT

Jean-Louis Le Tacon (1979-37′)

Cochon qui s'en dédit est l’œuvre audacieuse d’un étudiant en ethnographie, Jean-Louis Le Tacon. Récompensée par le prix Georges Sadoul 1980, l’on peut dire aujourd’hui qu’elle fait date dans l’histoire du cinéma. Le film n’a pas pris une ride et mérite qu’on le revisite, après que les éleveurs aient mis le feu, bloqué les routes et déversé des tonnes de déjections dans les cours de préfectures et les parkings de centres commerciaux.

ENTRETIEN

Conserver le contact humain

tableau cochon  qui s'en dédit Jean Louis Le Tacon

avec Jean-Louis Le Tacon

Comment est venue l'idée de ce film ?

J’ai été invité à un repas chez un jeune éleveur qui venait depuis deux ou trois ans de se mettre à son compte après son mariage… je me suis rendu compte qu’il n’avait de cesse de parler de son travail. Son travail l’obsédait. Non seulement le jour il était tracassé par la gestion de son élevage et l’aspect financier de la production, mais la nuit il faisait des cauchemars hallucinants. Lorsqu’il se retournait dans son lit, ce n’était plus sa femme qui était là mais une truie. Nous avons mis en scène ce rêve dans le film. Le point de départ était bien de mettre en scène l’imaginaire, les inquiétudes et les fantasmes, c’est-à-dire tout ce qui se passe dans la tête d’un éleveur de cochons. C’est donc parti comme ça, en rupture avec le cinéma militant. Il n’y avait pas d’analyse préconçue ni de message à transmettre. Il s’agissait d’aller avec le micro et la caméra explorer ce nouveau système de production et l’envie de faire des mises en scène. Pour mettre en scène le travail, il faut se préparer en donnant des indications précises. Dans le film, il y a même des passages de portes extrêmement étudiés. Je lui disais : Tu es prêt, Maxime? On y va. Clap ! Il passe, il sort par un côté et je le retrouve à l’extérieur. C’est ce qu’on appelle de la mise en scène documentaire. Le film comporte aussi des scènes oniriques dont on n’a pas l’habitude dans le documentaire. Elles sont dues à l’influence de Buñuel. J’avais envie de choquer, en référence aux films de Pier Paolo Pasolini dans lesquels il y a une réalité et une cruauté qui m’ont toujours impressionné.


A quoi tient la complicité avec le principal protagoniste du film ?

Ce qui est compliqué dans un documentaire, c’est d’impliquer les gens que vous filmez….. C’est la question de la rencontre. Nous filmons des gens qui vont avoir les effets-retour du film. Jean Rouch appelait ça l’anthropologie partagée, c’est-à-dire que les gens filmés participent directement à l’émergence d’une vérité sur eux-mêmes.

Quelle a été votre implication auprès de l’éleveur ?

Avec des amis nous avons trouvé un travail pour Maxime qui était dans une situation catastrophique avec des dettes à régler. C’était important de ne pas partir en se disant : J’ai fait mon film, je le diffuse, et puis maintenant Maxime, je m’en fous. Ce type de cinéma implique de conserver le contact humain.

Dans quelles conditions s’est déroulé le tournage ?

Nous avons tourné pendant trois ans. Jean-Pierre Charpentier, le preneur de son et moi, nous entrions, nous mettions les bleus de chauffe et les bottes blanches. Nous suivions les consignes sanitaires et comme nous faisions quand même perdre du temps à Maxime, nous venions passer des demi-journées de travail où nous l’aidions à nettoyer. Tout ce temps-là nous permettait aussi d’observer, d’écouter et de préparer les séquences suivantes.

Quel regard portent sur lui les éleveurs et le monde rural en général ?

Le film n’est jamais bien reçu par les éleveurs ou les paysans. Il y a un effet de rejet. Par contre le film prépare bien le public pour un débat lié au problème en question. Là, il a toujours son actualité.

BIOGRAPHIE

Jean-Louis Le Tacon

Jean Louis le tacon bio cochon qui s'en dédit

Né en 1945 en Bretagne, Jean-Louis Le Tacon passe d’une formation à la théologie catholique à la sociologie marxiste (Licence à l’Université de Haute-Bretagne puis maîtrise à Paris VIII Vincennes). Du film militant il passe ensuite au film ethnographique, initié par Jean Rouch. Tourné en Super 8, Cochon qui s’en dédit est sa thèse de doctorat à Paris X Nanterre. Par la suite, il dérive vers des formes d’expression multiples en expérimentant le support vidéo : clip de mode pour Jean-Paul Gaultier, clips musicaux pour Carte de Séjour, Tuxedo Moon, DAF…


Il initie avec des amis vidéastes la coopérative de diffusion Grand Canal et organise le festival Vidéocéanes de Brest. Il réalise également les séquences subaquatiques du spectacle chorégraphique de Daniel Larrieu à l’origine de Waterproof. Il fait aussi des excursions à la télévision, pour Canal Plus et pour ZDF-Arte (Bleu Passion, Éloge de la lenteur). Il explore par ailleurs les potentialités de l’écriture électronique, s’aventure dans les installations vidéo, expérimente les effets visuels numériques, réalise des journaux de voyage… Il fonde ainsi avec Alain Jomier le département Images Composites à l’École des beaux-arts de Poitiers.

FILM

DE L’ART ET DU COCHON

Jean-Louis Le Tacon (2010 - 40')

Jean-Louis Le Tacon invite l’essayiste belge Patrick Leboutte à commenter Cochon qui s’en dédit.

FILM

L’HOMME COCHON

Jean-Louis Le Tacon (2000 - 11′)

Jean-Louis Le Tacon retrouve Maxime Duchemin dans les ruines de sa porcherie, dévorée par les ronces et les orties. Vingt ans après, qu’est devenue sa vie ? Maxime revient sur l’expérience qu’il considère comme une véritable thérapie.

REVUE DU WEB

La crise porcine

MÉDIAPART >>> Analyse du film Cochon qui s'en dédit de Jean-Louis Le Tacon, un film gore à en juger par la définition du Petit Robert.

INA >>> Dans un élevage des Côtes d'Armor des professionnels du milieu analysent la crise porcine en cours.

DANACTU RESSISTANCE >>> Trois bonnes raisons de voir Cochon qui s'en dédit ! De prime abord si on vous dit que ce documentaire a une trentaine d'années, qu'il porte sur une porcherie et qu'il est tourné en super 8, vous allez vous enfuir... Et bien vous auriez vraiment tort !

LIBERATION >>> Portraits de deux éleveurs de cochon qui s'en sortent, ayant fait le choix du bio et de l'agriculture raisonnée.

INA >>> Trois familles de paysans vivant à Plumelec, dans le Morbihan, témoignent des difficultés de leur activité, de leur quotidien et de leurs aspirations.

COMMENTAIRES

  • 4 février 2021 22:08 - jeanne

    Incroyable ce travail documentaire!
    Merci à KUB!

  • 27 novembre 2019 08:12 - gauthier

    prefiguration de ce qui nous attend demain orwell et pasolini en prime ,réunis

  • 3 octobre 2019 18:12 - LEBORDAIS

    Pour info, mon article datant de 2011 quand le film est sorti en DVD : http://danactu-resistance.over-blog.com/article-cochon-qui-s-en-dedit-un-film-de-jean-louis-le-tacon-en-dvd-65455498.html

  • 28 mai 2018 09:51 - daunis

    je découvre votre espace en cherchant notes sur "Cochon qui s'en dédit"...

CRÉDITS

réalisation Jean-Louis Le Tacon

Artistes cités sur cette page

Jean Louis le tacon bio cochon qui s'en dédit

Jean-Louis Le Tacon

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