Starving
Ce que ces quatre garçons nous livrent, c’est un amour pour leur mode de vie, fait de musique, de potes, de fêtes, de virées et de bonne humeur. L’argent ? Sans façon.
GENRE : TRAGÉDIE DE SALADE GRECQUE
« It all began as a mistake ». Le nouveau clip des Kaviar Special s’ouvre par les confessions d’un garageux sur le divan d’un psychanalyste à moustaches et pattes de velours. Le ton et le flash-back qui s’en suivent ne viendront en aucun cas changer de registre. Retour sur les mésaventures psychées de ce clip sucré-salé-acide mais surtout pas amer, où il y en a pour tous les coups et où tous les goûts sont permis. Une vidéo qu’on vous sert sur un plateau d’argent, décoré de mégots de cigarettes et de traces de bouteilles de bières.
Diantre ! Les quatre garçons sont en proie à une misère sans précédent : ils ont fini les fonds de tiroir et n’ont plus rien dans leur frigo. Leur nouveau menu pour remplir les ventres vides : potée de mégots, nouilles aux cheveux, crumble de litière, bouillon de baignoire… Un vrai menu gastro pour qui a le cœur bien accroché. Pour se tirer de ce faux-pas, le groupe ouvre la « boîte de la dernière chance », remplie de peluches, de légumes et de pain de mie. Sûrement ce que l’on trouve à la définition d’ « artillerie » dans le dictionnaire zinzin des Kaviar, puisque les garçons s’en parent et s’en emparent pour le hold-up d’une banque rennaise qu’ils dynamitent à grands coups de TNT-saucisses. Une fois leur larcin terminé, et puisque les vrais ne se retournent jamais sur leurs explosions, les quatre rockeurs prennent la fuite sans un regard sur leur crime et s’envolent loin de la capitale bretonne. Une vie de pacha commence alors, où les Kaviar ne savent plus quoi faire de leurs centimes ; mais leur répit est de courte durée et prend fin avec la trahison de l’un des membres. La vengeance a sonné. Un plat qui se mange froid, et même cru ici, puisque l’Inspecteur Harrys, traître-général-militaire-néo-déjanté, est anéanti à grands coups de concombre et de tomates-grenades. Une vengeance végé faite d’un gore qui ne convoque ni le sang ni les tripes mais de la purée de banane et des épluchures de pastèques. Le vilain finira par gagner, et l’image par littéralement voler en éclat ; de rire ou de larmes ça dépend de vous…
Dérisoire mais pas du tout médiocre, absurde au possible mais avec une bonne louche de plaisir contagieux en proportions généreuses, on touche ici au Béluga du garage. Il y a un côté Gondry dans cet atelier vidéo fait de bric, de broc et d’idées saugrenues, à renfort de fonds vert et d’explosions en carton. Et comme la faim justifie les moyens, c’est avec plaisir qu’on se laisse emporter dans les folies des quatre musiciens aux noms – pas d’oiseaux – mais de légumes, qui nous rappellent que les images sont bien un terrain d’expérimentation, et surtout un terrain de jeux. On en dira ce que l’on voudra, le but est avant tout de réaliser une franche déconnade DIY, super bien calibrée par Damien Stein, qui prouve que le clip pourrait bien être un art… ou un nanar en soi. Et même si l’on retrouve par moment quelques plats un brin réchauffés, on ne s’en formalisera pas tant le groupe vient nous montrer avec une frénésie joviale qu’il serait dommage de se priver des bonnes choses. Et lorsqu’ils ouvrent la « boîte de la dernière dernière chance », il y a même un goût de trop peu !
On peut aussi lire entre les lignes grasses de ce clip une certaine illustration du garage d’aujourd’hui. Ce que ces quatre garçons nous livrent avant tout, c’est un amour pour leur mode de vie, fait de musique, de potes, de fêtes, de virées et de bonne humeur. L’argent ? Sans façon, puisque de toute évidence il leur tournerait la tête – qu’ils gardent au contraire bien sur terre, en témoigne ce clip barjo taillé sur mesure et totalement à leur image. Il y est question d’une famine tout sauf musicale, car le nouveau single du groupe est au contraire d’une énergie grisante.
Insolent, ironique, subversif ou absurde, chacun peut y aller de son adjectif, du plus au moins conquis, mais on restera quoi qu’il en soit dans le champ lexical de l’humour pour qualifier le nouvel ovni vidéo des Kaviar Special. Si eux n’ont plus rien à se mettre sous la dent, nous, on sait quoi mettre dans nos oreilles ! Et si les films peuvent être « plus harmonieux que la vie », ils peuvent être aussi franchement plus bordéliques. Starving, ce n’importe quoi collé sur du grand foutoir, c’est bien l’illustration que – plus – s’annulent pour former un très gros +. À la semaine prochaine, je vais me faire une tisane aux miettes et aux moutons de poussière.
Margaux Dory
STARVING de Kaviar Special
STARVING de Kaviar Special
Réalisé par Damien Stein (2016 – 3’28)
Kaviar Special c’est 25 ans de moyenne d’âge, un premier album salué par la presse spécialisée en 2013, un maxi à l’été 2015 et une avalanche de live. Depuis leur premier album, le quatuor rennais a pris du galon : quatre tournées européennes et une prestation remarquée aux Transmusicales pour devenir l’une des têtes de liste d’un rock garage français toujours plus dynamique.
Très judicieusement illustré par le belge Elzo Durt, leur nouvel album sobrement intitulé #2 et enregistré au studio Cocoon à Rennes, franchit un cap en assumant une production plus riche et maitrisée. Le groupe y dévoile des influences plus variées et se permet un grand écart entre une pop débridée, un rock garage nerveux et un psychédélisme sombre et brutal. Déferlantes fuzz, guitares surf, balades réverbérées et mid-tempo dansants font l’hétérogénéité de cet album dont les thèmes et refrains imparables restent en tête.
DAMIEN STEIN
DAMIEN STEIN
Après des études d’audiovisuel à l’université, Damien Stein enchaîne les jobs de technicien « cinéma », puis dans la production, entre Rennes et Paris.
En parallèle, il écrit scénarios, nouvelles, musiques… avant de s’essayer à la réalisation, avec un premier court métrage intitulé Une balade à la mer, primé en Festivals internationaux.
Il se lance dans le clip avec Lilly Wood and the Prick, Alphabet, Monsieur Roux… et pour diverses structures culturelles rennaises : les Trans Musicales, ElectroniK… tout en continuant à mener ses projets personnels.
Ses nouveaux films sont disponibles sur son site.
Depuis 2014, il enseigne à l’ESRA, école de cinéma, à Rennes.
Une déferlante orchestrée au pays de la galette-saucisse
Une déferlante orchestrée au pays de la galette-saucisse
Xavier Ridel LES INROCKS >>> Exclu : Kaviar Special livre un très bon album de pop psychédélique
Pierre Jouan NOISEY >>> Dans la famille incestueuse du garage breton, Kaviar Special est le fils droit dans ses bottes
Théo Chapuis KONBINI >>> Jeunesse sonique : Kaviar Special nous raconte son adolescence en chansons
HARTZINE >>> Une telle déferlante orchestrée au pays de la galette-saucisse, il faut le dire, ça force un poil l’admiration !
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