Écrire en prison
15/12/2025
L’expérience menée par Laurence Vilaine avec les détenus de la maison d’arrêt de Saint Brieuc permet de concrétiser deux choses : l’intérêt d’une résidence en milieu carcéral - une écrivaine peut y faire œuvre d’utilité publique - et l’écriture comme moyen, pour chacun, de se reconstruire, seul-e et avec les autres.
ÊTRE DANS LE NOIR
ÊTRE DANS LE NOIR
par Hervé Portanguen (2017 - 12'21)
Laurence Vilaine a abordé un travail d'écriture avec les détenus de la maison d'arrêt de Saint-Brieuc, une façon pour eux de s'évader et d'oublier la prison, le temps d'un atelier de création.
Sonia Naudy et les prisonnières afghanes
Sonia Naudy et les prisonnières afghanes
La photographe Sonia Naudy, est venue présenter son reportage sur les femmes en prison en Afghanistan aux détenus de la Maison d’arrêt de St Brieuc lors de Photoreporter 2012. Cette rencontre a débouché sur la création d’un atelier photo.
Pendant plusieurs semaines, huit détenus ont appris les bases de la photographie et ont réalisé un reportage sur leur vie carcérale. Dans le même temps, j’ai photographié le quotidien de cette petite Maison d’arrêt des Côtes d’Armor. Détenus et personnel pénitentiaire m’ont permis de saisir des instants de leur vie, m’ont fait partager leurs joies et leurs peines. Une immersion carcérale photographique Sonia Naudy.
LETTRE DE LAURENCE VILAINE
LETTRE DE LAURENCE VILAINE
aux détenus, au personnel, aux familles
Je m’appelle Laurence Vilaine, je suis écrivain. J’ai écrit un roman, qui parle du silence et des souvenirs (en deux mots, pour faire vite) ; un deuxième paraîtra bientôt, je vous en parlerai plus tard si vous voulez. Au printemps, entre avril et juin, je viendrai vous rencontrer plusieurs fois par semaine.
J’aurai dans mon sac des carnets et des crayons, non pas pour faire l’école, ce n’est pas mon métier. Le mien c’est d’écrire, et je viendrai vous proposer de faire pareil : écrire, tout simplement, comme on peut jouer au football, faire de la peinture, de la danse ou du théâtre.
Avant de venir la première fois, puis avant chacune de mes visites d’ailleurs, j’aurai écrit quelques lignes que je vous lirai, une petite réflexion ou une histoire, une question, et peut-être aurez-vous envie d’y répondre. Ainsi, on fera conversation. Et on écrira ces petites conversations.
Au fil des jours, nos carnets se rempliront de ce qu’on pense, de ce qu’on n’ose pas dire peut-être parfois, ce qu’on imagine. Peut-être que votre carnet parlera de vous, ou pas du tout ; peut-être qu’il enfermera des histoires vraies ou pas vraies, ou des poèmes, ou des morceaux de rêves, ou des petits mystères. On ne sait jamais à l’avance ce qu’on va écrire – sinon, je crois qu’on n’écrirait pas.
On se lira aussi des livres à voix haute, des pages attrapées ici et là. On fera ça chaque fois, avant même de commencer à écrire. On en prendra dans la bibliothèque et j’en aurai aussi dans mon sac – dans les livres, on trouve souvent des tas de choses à partager.
Je n’ai jamais mis les pieds dans la maison où vous vous trouvez.
J’ai l’habitude d’écrire, seule, dans mon coin. Cette fois sera différente. Je vous propose qu’on écrive ensemble.
LAURENCE VILAINE
LAURENCE VILAINE
Laurence Vilaine est née à Tours en 1965. Après des études d'anglais et plusieurs années à l'étranger, elle vit aujourd’hui à Nantes et se consacre à l’écriture. Le silence ne sera qu'un souvenir (Gaïa, 2011) est son premier roman, qui soulève le poids des non-dits. La Grande Villa (Gaïa, 2016) ouvre la porte sur le vertige de l’absence et de l’écriture, un texte poétique sur ces lieux qui nous habitent. En parallèle de ses chantiers romanesques, Laurence Vilaine conduit des ateliers d’écriture et, au fil de ses résidences, développe des projets artistiques en lien avec le territoire qui l'accueille – à Alger notamment, une création théâtrale est en cours avec trois femmes algériennes.
Les mots ne servent pas qu'à juger, à condamner
Les mots ne servent pas qu'à juger, à condamner
Quartier Livre >>> un projet de prévention de l’illettrisme à l’échelle régionale.
Le Télégramme >>> Je ne savais pas que je savais lire, s'étonne l'un des détenus. À la maison d'arrêt de Saint-Brieuc, l'atelier d'écriture proposé par Laurence Vilaine, dans le cadre du dispositif Quartier livre, a fait l'unanimité. Ils étaient quatorze, deux à trois fois par semaine. C'est rare en prison d'avoir autant de participants qui vont au bout d'un projet, se réjouissent l'auteure nantaise et Cyrille Cantin, coordinateur des actions socioculturelles à la maison d'arrêt. À l'issue de la première séance, ils voulaient même garder leurs cahiers d'écriture, se souvient l'intervenante.
Télérama >>> Ces hommes joyeux ont entre 20 et 60 ans. Ils essaient de se reconstruire. Et prennent lentement le chemin de la liberté en apprivoisant l'écriture. La veille au soir, autour d'un gratin de courge maison, René a longuement parlé de son respect, de sa tendresse aussi, pour ces hors-la-loi de la société comme de l'orthographe, qui puisent dans l'écriture une force, une rédemption que d'autres vont chercher dans la religion. Le principe de l'atelier est simple. En fin de séance, René distribue les devoirs, propose une phrase (la vie est un fruit ; notre but est de le manger ; vivre n'a pas d'autre sens que cela ) ou des mots (passion ; résistance ; révolte, etc.). Le lundi suivant, chacun lit à voix haute son texte puis écoute les critiques des copains. René pousse les débats, encourage les apprentis, les nourrit avec des textes d'auteurs.
À propos d’un atelier d’écriture en milieu carcéral in Horizons philosophiques #102, Annie Leclerc, philosophe. >>> Ce que les détenus me semblent retirer de l'atelier. D'abord une accumulation de textes écrits de leur main, généralement dans un cahier ou plusieurs qu'ils gardent précieusement. Ce n'est pas rien d'avoir un cahier pour soi, ce n'est pas rien de découvrir qu'on peut à l'aide des mots écrits, ranimer les images, analyser les émotions, ouvrir des perspectives, fixer le sens apparu, approcher le monde et les autres. Quand tout concourt à vous faire passer — et souvent depuis l'enfance — pour un moins que rien, il est bon d'apprendre de quel savoir on est riche, mais aussi de quelle intelligence, de quelle générosité on est capable. La langue, les mots ne servent pas qu'à légiférer, juger, condamner, exclure, ils servent aussi à libérer, à chanter, à partager, à inclure.
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