Peste immobilière
Des chiens errants déchiquettent un homme dans la banlieue de Bogotá, l’occasion de réveiller le mythe du canis lupus, loup mangeur d’hommes. Or lupus est aussi le nom d'une maladie du système immunitaire qui se retourne contre son hôte pour le détruire de l’intérieur. Lupus, le film, décrit l’expansion urbaine galopante de Bogotá en Colombie, comme une maladie dont les crocs acérés déchirent la terre pour y déployer des projets immobiliers sans fin.
Le réalisateur Carlos Gómez Salamanca fait le parallèle entre l’anatomie prédatrice du loup et celle de la ville qui s’étend au profit d’un système alliant les milieux d’affaires et une caste politique corrompue. Ensemble ils étendent leur emprise maléfique sur le territoire et leurs habitants, confirmant l’adage : l’homme est un loup pour l’homme.
Une page en partenariat avec Films en Bretagne dans le cadre du festival d'animation d'Annecy
LUPUS
LUPUS
de Carlos Gómez Salamanca (2016 - 8')
En décembre 2011, un vigile est tué par une meute de plus de 20 chiens errants qui rodent dans un quartier défavorisé de la banlieue de Bogotá. Autour de ce fait divers, Carlos Gómez Salamanca construit un film d’animation sur les notions de corps et de territoire propres à la ville de Bogotá.
>>> un film produit par JPL Films
Une expansion urbaine incontrôlée
Une expansion urbaine incontrôlée
par Carlos Gómez Salamanca
Depuis des décennies en Colombie, la violence a laquelle sont exposés les habitants des campagnes entraine une migration massive vers les villes, entraînant l'expansion incontrôlée de ces dernières, l’expansion de la pauvreté, de délinquance, de corruption et l’instabilité politique. Dans le cas de Bogota, cette situation révèle de manière tragique les failles d’un modèle qui, loin d’être à la hauteur du défi social que représentent ces migrations, aggrave les conditions de vie de ses citoyens les plus pauvres.
La croissance démesurée de Bogotá s’est faite au détriment de la nature qui l’entoure : épuisement et contamination de points d’eau, déforestation sauvage, etc. Ainsi se sont créées des zones de HLM que beaucoup appellent ceintures de misère, empilement de constructions précaires et inachevées, entourées de rues non pavées et de terrains à construire.
À Bogotá existe aussi un sentiment d’insécurité croissant, lié à l’expansion urbaine, qui dépasse les autorités publiques.
S’engouffrant dans la brèche, de nombreuses sociétés de sécurité privée sont apparues. Il n’est donc pas rare de voir dans les rues des caméras de surveillance et des gardes dans leur petite cabine (à l’entrée de résidences, ou de terrain en construction), donnant une image de sécurité plus symbolique que réelle.
Le phénomène des chiens errant à Bogotá quant à lui est une des conséquences de la pauvreté et du délitement du tissu social. Une grande majorité de chiens ont en effet été abandonnés par des maitres qui n’avaient plus les moyens de les nourrir. Leur taux élevé de reproduction rend difficile le contrôle de leur population. Dans les zones périphériques et peu peuplées de la ville, livrés à eux-mêmes, ils s’éloignent progressivement des humains et retrouvent les comportements inhérents à leurs ancêtres, les loups, formant des meutes définissant et défendant un territoire qu’ils considèrent comme leur.
L’idée de Lupus est née d’un fait divers que j’ai vu au journal télévisé : en décembre 2011 un veilleur de nuit a été dévoré par une meute de plus de 20 chiens errants qui rodait dans les rues de Bosa. Le fait divers est un véritable phénomène dans la culture colombienne depuis la fin du 19e siècle, un genre littéraire de revues spécialisées, avec des histoires fondées en grande partie sur des rumeurs, permettant aux chroniqueurs de laisser libre cours à leur imagination. Le fait divers, toujours plus cru et plus explicite, est aujourd’hui en ouverture des journaux télévisés de toutes les chaines, regardés par des millions de Colombiens.
C’est en regardant l’un de ces journaux que j’ai entendu parler de ce fait divers pour la première fois et c’est pourquoi j’ai choisi de reconstruire ce paysage médiatique qui offre un contexte cohérent à la nouvelle. À travers différents formats télévisuels stéréotypés (journaux télévisés, documentaires scientifiques, films institutionnels) j’ai tissé une histoire où des voix différentes se mêlent, paraissant, au premier abord, étrangères les unes aux autres, puis se mêlant et se synchronisant jusqu’au dénouement tragique.
Carlos Gómez Salamanca
Carlos Gómez Salamanca
Le travail de Carlos Gómez Salamanca est axé sur la peinture et les langages audiovisuels. Dans ses travaux récents, il reconstruit des images et des archives visuelles pour créer des animations qui explorent d’un point de vue critique les différents aspects sociaux et culturels de son pays. Carne, son premier court métrage d'animation est composé de séquences animées qui révèlent des actions isolées et tangentielles autour du sacrifice d'un animal lors d'une fête paysanne. Lupus est son deuxième film.
Du fait divers au véritable genre littéraire
Du fait divers au véritable genre littéraire
TÉLÉRAMA >>> En Colombie, la télé chasse le fait divers. Passeport pour le crime s'interroge sur ce traitement médiatique de la violence.
INA >>> En Colombie, les histoires ne manquent pas, encore faut-il pouvoir les raconter. Depuis 1977, plus de 160 journalistes ont été assassinés dans ce pays, sans compter tous ceux qui vivent sous la menace quotidienne et parfois sous escorte depuis des années
FABULA >>> La fascination des écrivains contemporains pour le fait divers s’exerce selon des modalités bien différentes.
L’EXPRESS >>> Immense romancier, le Nobel colombien de littérature, Gabriel García Márquez, décédé à l'âge de 87 ans, a aussi laissé en héritage une vision originale du journalisme qu'il n'a cessé de pratiquer.
AA >>> En 1955, García Márquez, jeune journaliste, publie dans le quotidien colombien, El Espectador, 20 épisodes sur la catastrophe du Caldas. Ce destroyer de la marine colombienne surchargé de marchandises de contrebande, avait perdu huit membres d'équipage en haute mer lorsque les câbles de cette cargaison avaient lâché. García Márquez apprend la vérité de la bouche du seul marin militaire rescapé. Ce récit sera repris en 1970 dans un livre intitulé Récit d’un naufragé qui fera date.
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