Au jardin-fouillis
25/06/2025
Madame Lulu, c’est une journée de la vie de Lucienne en son jardin, un jardin qu’elle qualifie de fouillis, une anarchie modestement revendiquée, pas un capharnaüm. Quand Lucienne se raconte, en breton, ce sont les restes d’une douleur qui s’expriment, la douleur de ne pas avoir été aimée par sa mère. Enfant surnuméraire, elle n’avait droit à rien, pas même à la dignité. À Mellionnec, sa famille faisait partie des sous-développés, ceux qui ne vivaient pas au bourg où apparemment se cantonnait la civilisation.
Le temps est passé, Lucienne est devenue une dame et s’est émancipée du déterminisme maternel. Et au fil du tournage de ce portrait filmé par la réalisatrice Morgane Lincy-Fercot, c’est comme un lien de parenté qui s’est établi entre les deux femmes.
MADAME LULU
MADAME LULU
de Morgane Lincy-Fercot (2022 - 17’)
Lucienne, 94 ans, est une femme restée au pays. Haute comme trois pommes, toute menue, elle porte des chemises fantaisie et une jolie canne en bois. Au cœur de son jardin fouillis, accompagnée de son fidèle chat Bambi, elle fend elle-même son bois de chauffage à la hache avec une habileté saisissante. Son secret de longévité ? Un verre de malaga et quatre huîtres tous les jours.
Sourire aux lèvres et nostalgie dans les yeux, Lulu nous amène sur les traces de son enfance où, en haut d'une colline, les habitants de Gwerz ar goalenn chantaient des nuits entières.
>>> Les Portraits de Mellionnec, une collection produite par Ty Films et à retrouver sur notre page dédiée.
Le temps de se rencontrer
Le temps de se rencontrer
par Morgane Lincy-Fercot
Lorsque je rencontre Lucienne pour la première fois dans sa petite maison en pierre de Resthouanet, je ne peux m'empêcher de penser qu'il est fou que nos chemins se croisent aujourd'hui. Lucienne parle un breton magnifiquement riche, poétique et imagé, lié à la terre et à la nature qui l'entoure. Moi, je parle le breton appris à l'école, compact et net. Mais, petit à petit, nos langues se comprennent. Lucienne passe du rire aux larmes, comme elle passe de l'ombre de sa petite maison à la lumière de son jardin. La lenteur et la précision de ses gestes remettent tout à leur place. Et si on prenait le temps ? Le temps de marcher jusqu'aux fleurs du printemps, de monter, en se pliant en quatre, en voiture pour sillonner les routes de son pays. Le temps de retourner dans le hameau de son enfance, si proche pourtant, mais qu'elle ne fréquente plus depuis qu'elle ne peut plus conduire. C'est dur de vieillir, mais on ne va pas se plaindre, dirait-elle. Nous prenons le temps de nous rencontrer.
Elle m'appelle la jeunesse et fredonne la chanson On n'a pas tous les jours 20 ans. Je décide de raconter une journée avec elle, une journée où le rythme de vie de cette grande dame nous est imposé dès le début. On va faire semblant, dit-elle. Mais, en jouant la comédie, Madame Lulu nous donne mille et une leçons de vie. Celle à qui on a répété qu'elle n’était pas l'enfant aimé, qu'elle chantait faux, qu'elle n'aurait jamais de maison… Lulu chante, et elle s'en fiche si c'est faux. Elle fait du bruit, et c'est beau. Ce film est pour elle une expérience qu'elle n'aurait jamais imaginé vivre du haut de ses 94 ans. Je garde le souvenir puissant d'une Lucienne tout sourire qui me dit au creux de l'oreille : je ne t'oublierai jamais.
Le titre, Madame Lulu, est par ailleurs une référence à la chanson des Ours du Scorff, Mademoiselle Lulu, écrite par Gigi Bourdin et citée dans le film. C'est aussi un clin d'œil à la première fois où la jeune Lucienne s'est rendue à Paris et qu'une vendeuse lui a dit : Bonjour Madame. Ce n'est pas à Mellionnec qu'on l'aurait appelée Madame à cette époque-là.
Morgane Lincy-Fercot
Morgane Lincy-Fercot
Née en Bretagne, Morgane Lincy-Fercot réalise toute sa scolarité en breton. Elle étudie le journalisme d’images et de sons ainsi que le cinéma documentaire. Après une première expérience en tant que journaliste reporter d'images au sein de diverses rédactions, elle se lance dans la réalisation d’une web-série documentaire, Yezhoù, sur les langues minorisées en Europe. À la suite de cette expérience, elle travaille à la communication et à la programmation pour des festivals de cinéma documentaire (Montréal, Berlin), au sein d’une école populaire de cinéma (Santiago du Chili), puis d'un média participatif européen multilingue (Bruxelles). En parallèle, elle coréalise un web-doc sur un voyage au Rojhelat (Kurdistan iranien), et une série sonore sur la génération des Peace process babies (Irlande du Nord). Aujourd’hui de retour en Bretagne, elle travaille à la diffusion du cinéma documentaire pour des festivals et sociétés de production. En parallèle, elle développe ses premiers projets de documentaires.
10 juillet 2024 13:40 - isabelle
Très beau film qui m'a rappelé ma grand mère du morbihan, très touchant, très poétique, grosse bise à Madame Lulu!
24 juin 2024 19:12 - Anne Le Corre
Je suis ravie d’avoir enfin vu ton film avec Lulu, tu m’avais fait tellement envie quand tu me l’as raconté(e) (le film et Lucienne 😊)
J’ai adoré, je retrouve des bruits et des sons de mon enfance. Je t’embrasse