No pasaran
02/06/2025
Voici une réjouissante fable bolivienne qui se déroule au grand air, sur les hauts plateaux andins. Ici la population s’autosuffit en cultivant le quinoa et en élevant des lamas. Les lamas fournissent de la viande, de la laine et leurs déjections fertilisent les plantations.
Le film que Claire Second a réalisé après de longs séjours sur place se nomme Mascarades, par allusion aux célébrations carnavalesques auxquelles se livre une population joyeuse, mais aussi à un autre genre de mascarade, celle des techniciens venus de la ville en 4x4 leur expliquer comment on se rend compétitif, comment on peut gagner de l’argent en exploitant par exemple le sol à coup d’intrants chimiques. Et là où le film est proprement réjouissant, c’est quand il montre comment les villageois esquivent poliment les conseils appuyés des experts. Ils laissent dire sans broncher, avant de reconduire ces messieurs et reprendre leur mascarade.
MASCARADES
MASCARADES
de Claire Second (2023 - 59’)
Sur les arides hauts plateaux boliviens, les habitant.e.s de Tomave cultivent du quinoa et élèvent des lamas. Pour appeler la pluie, ils se déguisent, chantent, rient et lancent pétards et confettis à la Terre-Mère. Mais des ingénieurs agronomes venus de la ville rôdent autour du village, des technologies plein les bras, bien décidés à rationaliser les pratiques. C’est le prélude d’une étrange mascarade.
>>> un film produit par Les Films du temps scellé
L’amour du végétal
L’amour du végétal
par Claire Second
L’Altiplano bolivien est un territoire inhospitalier, le sol y est sec, le relief, accidenté. Les plaines désertes s’étendent entre quelques monts arrondis ou falaises acérées. Dans les carrés de verdure qui enserrent les maisons d’un village, les végétaux sont foisonnants. Une plante y est plus haute que les autres, la tige plus droite : le quinoa. Dans cet environnement exposé aux UV, au gel et à la sécheresse, il arbore nonchalamment les plus belles couleurs du règne végétal.
Tomave est perché à 4 000 m d’altitude, au milieu d’un immense désert. L’église qui le surplombe et la grande cheminée de briques rouges, points culminants de la plaine, sont les vestiges d’un passé où les villageois furent christianisés et détournés de leurs occupations agricoles pour travailler dans la mine d’argent. Il y a quelques décennies, la mine a fermé. Les restes de maisons de torchis fondues sous les pluies témoignent de l’épisode d’exode rural qui a suivi. Entre deux ruines fleurissent parfois de grandes bâtisses flambant neuves aux couleurs vives : celles des cultivateurs de quinoa.
En 2013, le village était entouré de champs. C’était « l’année internationale du quinoa », décrétée par les Nations Unies sous l’impulsion du président Evo Morales. Son prix était à son plus haut niveau, les cultivateurs de quinoa, appelés quinueros, s’enrichissaient. Depuis, les aplats de rouges et d’orangés qui s’étendaient entre les murs des champs vont en se rétrécissant. Le succès de la graine a été tel que sa culture a dépassé les frontières de l’Amérique latine. Beaucoup de pays se sont mis à en produire, avec plus de moyens que la Bolivie. Les États-Unis sont devenus le quatrième pays exportateur et la France produit assez pour couvrir sa propre consommation. Le prix a chuté, il ne couvre même plus les coûts de production pour les paysans andins.
L’ex-président Evo Morales, dans un idéal de souveraineté nationale, a inauguré en 2015 la première usine de nitrates du pays, allant à l’encontre des objectifs écologiques qu’il affichait auparavant. L’urée est un engrais chimique proscrit de l’agriculture biologique à cause de la forte pollution engendrée par sa fabrication, et des déséquilibres qu’il peut générer dans les sols.
L’intérêt de l’usine est de faire baisser le prix de ces engrais indispensables à la production agricole de masse, dont l’usage est intensif dans les plaines du pays mais rare dans les montagnes. Les ingénieurs de l’usine se chargent de faire connaître ces produits dans les villages de l’Altiplano, même à Tomave où, pour augmenter la production, les sacrifices et les offrandes sont plus pratiqués que les intrants chimiques.
En 2013, j’ai voulu voir le quinoa. Passionnée de botanique, je venais d’écrire, lors de ma licence de biologie, un mémoire sur ses caractéristiques exceptionnelles, et j’ai été frappée par la beauté de ses couleurs. Un ami chercheur, qui avait fait le tour des communautés de l’Altiplano pour inventorier les variétés de quinoa, m’a mise sur le chemin de Tomave. J’y suis restée six mois, partageant le quotidien agricole de Jhanett ou de David qui sont vite devenus des amis. Nous avons l’amour du végétal en commun.
En 2018 j’y suis retournée. Jhanett et David vendaient à présent leur quinoa à perte. Ils recevaient les visites régulières des ingénieurs agronomes de l’usine d’urée, venus les convaincre d’utiliser leurs engrais. Ce face-à-face m’a marquée : au-delà d’une confrontation entre deux types d’agriculture, c’étaient deux conceptions qui se faisaient face. Dans la salle de réunion, les différends éclataient au grand jour : la singularité du rapport à la Terre, l’identité indienne, les relations aux puissances occidentales, l’héritage colonial - tout cela était invoqué, nous éclairant sur tout un pan de la vie paysanne andine contemporaine, et sur ses relations au reste du monde.
Claire Second
Claire Second
Claire Second a étudié les Beaux-Arts à Angoulême, l'écologie à Montpellier et le documentaire de création à Lussas en 2016. Portée par son vif intérêt pour le monde végétal et la botanique, elle explore le genre du film scientifique dans son film de fin d'étude, L’Algue et le Champignon, qui évoque les lichens des montagnes ardéchoises. Après un an et demi passé dans l'Altiplano bolivien, elle réalise son premier film, Mascarades, sur une communauté de cultivateurs de quinoa.
Essuyer les tempêtes
Essuyer les tempêtes
FRANCE INTER >>> Dans l'Altiplano bolivien, la région d’origine de ce que l’OMS a appelé la graine d’or, la culture du quinoa n’a pas fait la fortune de tous les paysans, malgré sa popularité internationale. Alors certains s'organisent pour tenter de faire face ensemble aux règles du marché global.
HUMUNDI >>> Pérou, Bolivie, le quinoa victime de son succès. Les consommateurs européens paient-ils le quinoa à un prix juste ? La production croissante de quinoa partout dans le monde est-elle inéquitable pour ses producteurs originels en Bolivie et au Pérou ?
LE MONDE (article de mars 2013) >>> La ruée vers le quinoa, la graine d’or bolivienne. Les graines de la plante, dont la Bolivie est le premier exportateur, sont sur les tables bio du monde entier. Son prix s’envole.
KAIZEN MAGAZINE >>> Aliment tendance par excellence, le quinoa que nous consommons n’a-t-il pas un goût amer pour ses producteurs d’Amérique latine ? Ne devrions-nous pas privilégier une production française ? Autant de questions qui soulignent nos contradictions quand notre bien-être est en jeu dans notre assiette.
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