La mort en ce dessin
En 1914, Mathurin Méheut n'est pas encore l'icône de l’identité culturelle bretonne qu'il deviendra par la suite, mais il est déjà reconnu en tant qu’artiste. Il a 32 ans, séjourne au Japon grâce à une bourse de la Fondation Albert Kahn ; en quelques jours, il passe de Kyoto à Arras, de la cérémonie du thé à la mitraille qui hache les corps et les paysages.
Hubert Budor s’empare de ce moment-clé de la vie du peintre pour tramer un récit où se mêlent ses œuvres croquées sur le vif, sa correspondance avec Marguerite, son épouse, et des archives de 14-18. Budor reconnaît en Méheut l’homme d’extraction modeste qui vit en empathie avec ses semblables, peu enclin au fanatisme guerrier.
Des fragments de la guerre sont ainsi relatés : l’exécution d’un tire-au-flanc, un village de cahutes à flanc de coteau où s’organise une vie ouvrière (aspect peu connu du conflit), une unité de spahis marocains… mais surtout le déluge qui s’abat sur ces hommes de boue, comme le dit Méheut : Nous sommes de la terre vivante, de la terre plein la bouche, les oreilles et les vêtements… (une image qui n’est pas sans rappeler Le jour de gloire de Bruno Collet).
Quand l’occasion se présente, l’artiste tourne le dos aux tranchées pour dessiner des hirondelles, des guêpes… revenant ainsi à la veine animalière qu’il avait développée au centre de biologie marine de Roscoff, avant guerre. Le bois de la Gruerie dans la forêt d’Argonne est son terrain d’exploration au commencement d’une bataille qui le transformera, début 1915, en un monceau d’éclats de bois, de fer et de chair.
LE SOLDAT DE BOUE
LE SOLDAT DE BOUE
d’Hubert Budor (2017-52')
Mathurin Méheut et Jean-Julien Lemordant sortent des Beaux-arts de Rennes à quelques années d'intervalle. En 1914, leurs jeunes carrières sont lancées. Lemordant réalise le plafond du théâtre à l'italienne de la ville de Rennes tandis que Méheut expose à Paris les planches de la faune et de la flore maritimes réalisées à Roscoff. Il excelle tant dans cette discipline que le mécène Albert Kahn lui octroie une bourse. Celle-ci lui offre l'occasion d'aller au Japon pour un voyage d'étude en compagnie de sa femme Marguerite. Là-bas, son œil de peintre s'aiguise au contact du raffinement et de l'art de vivre des japonais. C'est alors qu'il apprend la déclaration de guerre. Il rentre aussitôt. Lemordant est sur le front de Belgique, grièvement blessé à la tête, il est fait prisonnier.
Mathurin Méheut accomplit son devoir en première ligne, du côté d’Arras. Il découvre l'affreuse réalité de la guerre, les corps déchiquetés, ses compagnons tués. Il entreprend une correspondance ininterrompue avec sa jeune épouse et leur fille Maryvonne. Il leur décrit la guerre, leur dit son amour et enlumine ses lettres de dessins. Il ne leur cache rien. Marguerite le soutient, l’informe, lui envoie des habits, des crayons, des tubes de peinture… Tout ce qui peut le réjouir et lui permettre de créer. En poursuivant son travail de peintre, Méheut ne fuit pas la guerre, il l'affronte, en fait l'œuvre d'un pan de sa vie. Ses croquis rendent compte de son goût profond pour la composition. On y retrouve en filigrane l'influence du Japon et des estampes. Parfois il se prend à rêver de retourner là-bas et d'exposer à nouveau, mais il est brutalement rattrapé par la réalité. Trop d’hommes de valeur périssent autour de lui alors que les chefs restent à l'arrière. Méheut apprend alors la résurrection de Lemordant qui, malgré une balle reçue en pleine tête et sa cécité, parvient à écrire et à dessiner. Ce dernier, considéré comme un héros national, est décoré de la Légion d'honneur ! Quand Méheut apprend l'inauguration officielle d'une exposition Lemordant à Paris, il presse Marguerite de s'y rendre, afin qu'elle lui en rende compte. Le travail de Lemordant, ses lavis et ses encres noires, témoigne si puissamment de la violence des tranchées et de destins brisés qu'il lui vaut le surnom de Goya breton. Une jalousie s’esquisse.
Avec cette guerre qui n'en finit pas, Méheut se console en dessinant ses compagnons. Son empathie pour ses frères d'armes, les poilus, forge peu à peu la conviction que son destin de peintre est là. Alors que la victoire s’annonce, il renonce à l’idée de retourner au Japon. Il veut dédier sa vie d'artiste à peindre ses semblables dans leur quotidien.
>>> Un film produit par Aber Images et distribué par .Mille et Une. Films
L'ATELIER DOCUMENTAIRE
L'ATELIER DOCUMENTAIRE
Hubert Budor, auteur et réalisateur du Soldat de boue, revient sur la genèse et le processus de fabrication de son film.
Des hommes et des bêtes
Des hommes et des bêtes
Quelques œuvres saisies au fil de Soldat de boue :
- Le chabot de mer, Centre de biologie marine (Roscoff, 1913)
- La cérémonie du thé (Kyoto, 1914)
- Lettre à Marguerite (Arras, 1914)
- Camarade tué (1914)
- Le bois de la Gruerie après la bataille
- L’exécution du tire-au-flanc (1915)
- Les guêpes au bois de la Gruerie
- Retour au pays (après guerre)
Mathurin Méheut
Mathurin Méheut
Mathurin Méheut est fils de menuisier. Il grandit dans la campagne proche de Lamballe, dans les Côtes d'Armor. Doué pour le dessin, il intègre l'École des beaux-arts de Rennes avant de monter à Paris à l’École des arts décoratifs. Nous sommes en 1902 et il a vingt ans. Plus tard, diplôme en poche, il séjourne à la station de biologie marine de Roscoff où travaillent scientifiques et chercheurs. Il croque sur le vif la faune et la flore qu’il observe dans les aquariums du centre de recherches et au milieu des rochers du littoral. Il s'échappe de temps en temps pour rencontrer les pêcheurs, goémoniers, iliens des alentours. Passionné par les formes que prend la vie en milieu naturel, il réalise un ouvrage composé de magnifiques planches dans l’esprit des encyclopédistes : L'étude de la mer. Ces planches sont exposées à Paris, au pavillon de Marsan, en octobre 1913. Le tout-Paris artistique découvre un dessinateur d’exception doublé d’un fin coloriste.
Jean-Julien Lemordant
Jean-Julien Lemordant
Le père de Jean-Julien Lemordant était maçon, peut-être marin à l'occasion, et sa mère femme au foyer. D'après ce qui a été raconté au moment du retour triomphal du peintre dans sa ville natale en janvier 1923, son grand-père aurait été ancien corsaire. Orphelin dès l'adolescence, sans ressource, Jean-Julien Lemordant réussit à étudier la peinture à Rennes puis à Paris dans l'atelier de Léon Bonnat.
Ancien élève des Beaux-arts de Rennes où il est le condisciple de Camille Godet, Pierre Lenoir et Albert Bourget, Jean-Julien Lemordant perd la vue durant la Première Guerre mondiale, en octobre 1915 durant la bataille de l'Artois, mais la recouvre en 1935.
Hubert Budor
Hubert Budor
par Bretagne & Diversité
Hubert Budor émet l’hypothèse qu’il s’est lui-même construit à travers le cinéma. Jeune rennais, il allait voir pratiquement tous les films à l’affiche, de Bergman aux westerns, seul dans les salles… histoire de découvrir le monde. Et de revenir ensuite vers les siens, ceux de la campagne rennaise notamment, avec, bien ancrée en lui, l’idée qu’on pouvait raconter les paysages humains armé d’une seule caméra. Ce qu’il continue à faire, au fil de belles rencontres, des années plus tard.
J’étais sûrement un adolescent timide et plutôt que de traîner en bande ou d’apprivoiser les jeunes filles, je préférais m’enfermer dans les salles de cinéma de Rennes. Tout mon budget, notamment ce que je gagnais en bossant sur les marchés les samedis, y est passé. Tout le répertoire cinéphile de cette fin des années 1970 aussi !
Un artiste combattant
Un artiste combattant
L'Ouest en mémoire >>> Mathurin Méheut (1982-13’) un reportage de France 3 Bretagne avec Maryvonne Méheut, la fille de l’artiste, et Pierre Quiniou, le conservateur du Musée de Quimper.
OUEST-FRANCE>>> Silence ! Gaston Duveau va prendre la parole. Lemordant, c’est devant la Bretagne que je parle. Elle est ici représentée par les hautes personnalités qui nous entourent, représentée aussi par ces associations accourues avec tant d’empressement à notre appel et dont l’affectueuse solidarité – qui vient de s’exprimer sur la tombe du Soldat inconnu – s’affirme aujourd’hui devant vous. Elle est ici. Venue de partout.
Musée Mathurin Méheut >>> Entre chaque assaut, l'artiste consacre l'essentiel de son temps libre à croquer ses braves poilus. Quotidiennement et par tous les temps, en première ligne, dans les tranchées comme au cantonnement, il fait des croquis, peint des gouaches et des aquarelles.
24 juin 2022 21:22 - Anne HUCK
Merci à tous pour ce film poignant, si éloquent! je découvre Mathurin Méheut grâce à vous! Jais parler de votre travail à mes collègues profs d'histoire!
17 juin 2022 14:51 - Benoît Gallet
Je découvre votre film, plein d’émotions en cette période où la guerre revient en Europe.
Cela m’a bouleversé.
Bravo pour votre superbe travail, et merci!
6 novembre 2018 20:30 - Chantal T
Un documentaire d'une très grande sensibilité qui touche au coeur. Merci de nous avoir donné à voir une si belle réalisation.
30 octobre 2018 09:17 - Didier M
Documentaire très intéressant.
16 janvier 2018 12:12 - DIDIER M
Le soldat de boue. Puissant. Intelligent et émouvant. Un grand moment.