Le cousin d'Amérique
KEVIN MORIZUR, UN BRETON À VALPARAISO
KEVIN MORIZUR, UN BRETON À VALPARAISO
par Damien Stein et Meryl Hugues (2019 - 5’)
Des parallélépipèdes destinés au voyage
Des parallélépipèdes destinés au voyage
par Damien Stein et Meryl Hugues
Nous avons eu la chance, l’un comme l’autre, de beaucoup voyager, travail ou recherches, plaisir ou quêtes… de nombreuses manières fantastiques de quitter régulièrement cette terre d’aventuriers qu’est la Bretagne, pour chaque fois mieux y revenir… ou pas.
Ainsi, certains choisissent de quitter le foyer, qu’il soit familial ou social, pour se construire une vie ailleurs. Que ce soit pour enrichir leur connaissance de l’autre et/ou proposer leur savoir-faire là où il n’existe peut-être pas, il faut une bonne dose de culot pour oser partir. Il faut une bonne dose de culot pour s’expatrier. Que les liens tissés soient solides, que les raisons soient valables. C’est le cas de Kevin Morizur, installé à Valparaiso, Chili.
Ce dernier vit là-bas depuis quelques années. Il y est arrivé par le théâtre de rue, et y est resté à cause d’une destinée familiale qu'il ignorait jusque-là. Après avoir travaillé avec la compagnie d’arts de rue Generik Vapeur à Marseille, il s’installe à Valparaiso et continue d'y développer des projets artistiques en compagnie de l’équipe de Teatro Container. Heureux hasard de la vie, il découvre qu’un vieil oncle breton s’est installé au Chili après avoir été réformé de la Première guerre mondiale… l’oncle d’Amérique n’était pas à Miami mais à Valparaiso, la ville aux 42 collines.
Suivant les traces chiliennes de son oncle, il y fait des allers-retours pendant six ans avant de s’y installer et d’y travailler comme photographe.
Teatro Container
Depuis 2008, le Centre culturel Teatro Container est une association basée à Valparaíso, dont l’objectif est de promouvoir l’usage artistique du container maritime, en le transformant en salle de théâtre, de danse, de musique ou comme espace d’interventions artistiques.
Elle propose des dispositifs de création expérimentale établissant un dialogue entre la ville et ses habitants. Sa proposition, imprévisible et innovatrice, permet d’élargir l’accès aux manifestations artistiques au moyen de l’installation de containers dans l’espace public. Elle organise tous les deux ans un festival : Festival Teatro Container, qui fêtait ses dix ans en 2018.
Kevin a tissé un jumelage de trois ans entre le Teatro Container et Le Fourneau, Centre National des Arts de la Rue et de l’Espace public, à Brest.
Le projet nourrit une réflexion sur l’impermanence de l’art, l’instabilité (recherchée) du voyageur, et la promesse d’une universalité. À travers le container, un lien se déploie d’un pays à l’autre. Les acteurs, tels des globules voyageant d’un bout à l’autre d’un corps/monde, offrent une représentation au spectateur, qu’il soit sédentaire ou seulement de passage. Que le spectacle soit proposé par des gens venus d’une autre partie du globe ou par une troupe locale, il y a nécessairement une impression d’ailleurs, le sentiment de côtoyer des contrées lointaines.
Les propositions du festival nous ont particulièrement touché, redéfinissant avec pertinence la dimension humaine attribuée à la principale activité de la ville, ici le port, vecteur de communication avec le monde. Il devient une manifestation de l’identité culturelle de Valparaiso. C’est une manière idoine de rester en lien avec ses racines. Peut être Kevin a-t-il quitté sa Bretagne natale, mais il recrée chaque année une transversalité culturelle dans ce port fascinant à l’âge d’or révolu.
TALLER EL LITRE
TALLER EL LITRE
par Damien Stein et Meryl Hugues
Notre rencontre avec Kevin se fait dans les bâtiments qu’occupe le Centre Culturel Teatro Container, des hangars en friche sur le front de mer. La réhabilitation de la façade maritime met l’accent sur le développement immobilier du secteur de Barón, avec un projet de construction de tours d’habitation, d’hôtels et d’équipements touristiques, le tout sur 20 hectares. En s’implantant ici, Teatro Container porte l’étendard de la résistance, tentant de préserver la poésie des lieux et le lien des habitants avec la mer.
Le lendemain, Kevin nous donne rendez-vous à l’Atelier El Litre, quartier général de la troupe, atelier communautaire et point de départ des créations de spectacles. Il est géré par Willy, qui officie dans le théâtre, le cirque, les ateliers sociaux, les chars de carnaval,
dont le réseau s'étend sur toute le continent, et sa compagne Mayra, costumière et créatrice, tous deux fervents défenseurs de la culture populaire et alternative. Pour aller jusqu’à la maison, il faut grimper. Après le portail vient l’ascension périlleuse des escaliers de bois, aux largeurs inégales et hauteurs aléatoires. À mi-chemin on passe devant l’entrée du jardin merveilleux de Mayra, terrasse à flanc de colline, qui cache aussi son atelier de couture (costumes, sérigraphie..). Les plantes grasses dégoulinent, plantées dans de petits objets, chaussures, verreries…
Willy et Mayra tirent les chaises, nous tendent les verres. Mille histoires rocambolesques à conter, Willy comprend le français et le parle un peu, après plusieurs tournées européennes de la compagnie. Fascinés par le nombre incalculable d’objets installés sur des petites étagères, il nous explique que tout a été trouvé et collecté : clés, petites bouteilles, pièces… la cuisine est aussi un cabinet de curiosités. Quelques jours plus tard, ce sont les gens du Sitio Eriazo, autre lieu alternatif, qui nous parleront de Willy comme un des meilleurs inventeurs qu’ils aient rencontré, bricoleur de rêves, ingénieur-bidouilleur de machins rouillés… Un artiste, de ceux qui font pour les autres, sans relâche, toute une vie.
L’atelier, en bas, a pignon sur impasse. Il regorge de vélos, d’outils et matériaux de récup’. On y croise des mécanos, des gens du quartier, des amis d’amis… Le débat est omniprésent, les individus qui composent ce tableau sont tous en résistance : le vivier créatif du Taller El Litre est aujourd’hui menacé par la gentrification et la voracité des spéculateurs immobiliers.
DAMIEN STEIN
DAMIEN STEIN
Damien Stein a d'abord passé quatre ans en Arts du spectacle à la fac de Montpellier puis de Rennes, il en retire une forte connaissance cinéphilique et une envie redoublée d’allier théorie et mise en pratique.
Au sortir de cette expérience, il passe les années suivantes à découvrir les différents postes du cinéma : électro et décorateur sur des moyennes et grosses productions, cadreur pour de nombreux projets indépendants, ingénieur du son sur un documentaire tourné en Chine, assistant réalisateur, directeur de production sur des fictions télé... Au terme de ces multiples et enrichissantes expériences, il choisit de se concentrer sur la mise en scène.
MERYL HUGUES
MERYL HUGUES
Costarmoricaine des bords de Rance, Meryl passe un an en Argentine en 2010 et y réalise un mémoire de sociologie sur la musique folklorique.
Même latitude, autre continent, elle poursuit son chemin en Afrique du Sud à la coordination artistique d’une Alliance Française pendant près d’un an. Secteur culturel oblige, le chemin se trace ensuite au gré des formations et petits contrats : Festival du Cinéma Brésilien de Paris, Lyon 2, Le Voyage à Nantes avant de revenir à Rennes et se lancer dans l’aventure musicale et humaine du 1988 Live Club. Après 3 ans à construire le projet et sa communication elle est aujourd’hui indépendante (Festival Maintenant, Biennale Internationale de la Percussion…) et continue à se former aux techniques de l’audiovisuel.
Jumelage
Jumelage
LE TÉLÉGRAMME >>> Il était connu dans la famille comme l'oncle d'Amérique et il s'appelait Henri Colin-Le Gall, de Plouhinec. C'est lorsqu'il a annoncé à ses proches son départ pour le Chili que Kevin Morizur a appris qu'en fait, l'Amérique, c'était celle du sud.
LE FOURNEAU >>> Le Fourneau et le Centro Cultural Teatro Container sont à la fois structures d’accueil de résidences artistiques sur Brest et Valparaiso et opérateurs de temps forts artistiques, de festivals sur des territoires établis, à l’échelle régionale ou nationale.
DEMI SEL PRODUCTION >>> Port de Valpo 2016 – un voyage artistique au Chili depuis le port de Brest.
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